Le morne au diable. Эжен Сю

Le morne au diable - Эжен Сю


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s’irisaient au soleil en tombant des rames, lui faisaient songer aux sacs de perles fines que possédait la terrible habitante du Morne-au-Diable.

      Le père Griffon était aussi profondément absorbé: après avoir songé à ses amis du Morne-au-Diable, il pensait, avec un mélange d’inquiétude et de joie, à son petit troupeau de fidèles, à son jardin, à sa simple et pauvre église, à sa maison, à sa vieille haquenée favorite, à son chien, à ses deux nègres, auxquels il rendait la servitude presque douce. Et puis, faut-il le dire? il pensait aussi à certaines conserves de ramiers qu’il avait faites quelques jours avant son départ, et dont il ignorait le sort.

      En trois heures le canot arriva au Macouba.

      Le père Griffon n’était pas attendu; la pirogue mouilla dans une petite anse, non loin de la rivière qui arrose ce quartier, l’un des plus fertiles de la Martinique.

      Le père Griffon s’appuya sur le bras du chevalier.

      Après avoir quelque temps suivi la grève où venaient se rouler les hautes et pesantes lames de la mer des Antilles, ils arrivèrent au bourg du Macouba, à peine composé d’une centaine de maisons construites en bois, et couvertes de roseaux ou de planchettes de palmier.

      Le bourg s’élevait sur un plan demi-circulaire qui suivait la courbure de l’anse du Macouba, petit port où venaient mouiller plusieurs pirogues et bateaux de pêche.

      L’église, long bâtiment en bois, du milieu duquel s’élevaient quatre poutres surmontées d’un petit auvent où pendait la cloche; l’église, disons-nous, dominait le bourg et était elle-même dominée par des mornes immenses, recouverts d’une puissante végétation, qui s’élevaient en amphithéâtre de verdure.

      Le soleil commençait à décliner rapidement.

      Le prêtre gravit la seule rue qui coupât le bourg de Macouba dans sa largeur et qui conduisit à l’église. Quelques petits nègres absolument nus se roulaient dans la poussière, ils s’enfuirent à l’aspect du père Griffon en poussant de grands cris; plusieurs femmes créoles, blanches ou métisses, vêtues de longues robes d’indienne et de madras de couleurs tranchantes, accoururent aux portes; en reconnaissant le père Griffon, elles témoignèrent leur surprise et leur joie; jeunes et vieilles vinrent lui baiser respectueusement les mains en lui disant en créole:

      – Bien béni soit votre retour, bon père, vous manquiez au Macouba.

      Quelques hommes sortirent ensuite et entourèrent le père Griffon des mêmes témoignages d’attachement et de respect.

      Pendant que le curé causait avec les habitants des événements qui avaient pu arriver au Macouba depuis son départ, et qu’il donnait des nouvelles de France à ses paroissiens, les ménagères, craignant que le père ne trouvât pas de provision au presbytère, étaient rentrées choisir, l’une, un beau poisson; l’autre, une belle volaille; celle-là, un quartier de chevreau bien gras; celle-ci, des fruits ou des légumes, et plusieurs négrillons avaient été chargés de porter à la maison curiale cette dîme volontaire.

      Le prêtre regagna son logis, situé à mi-côte, à quelque distance du bourg dominant la mer.

      Rien de plus simple que sa modeste case de bois, recouverte en roseaux et élevée seulement d’un rez-de-chaussée. Des stores de toile très claire garnissaient les fenêtres et remplaçaient les vitres, qui étaient d’un grand luxe aux colonies.

      Une vaste pièce, formant à la fois salon et salle a manger, communiquait avec la cuisine, bâtie en retour; à gauche de cette pièce principale, était la chambre à coucher du père Griffon, ainsi que deux autres petits réduits s’ouvrant sur le jardin, et destinés aux étrangers ou aux autres curés de la Martinique, qui venaient quelquefois demander l’hospitalité à leur confrère.

      Un poulailler, une écurie pour la haquenée, le logement des deux nègres, et quelques autres hangars, complétaient cette habitation, meublée avec une simplicité rustique.

      Le jardin avait été soigneusement entretenu. Quatre grandes allées le partageaient en autant de carrés, dont les bordures se composaient de thym, de lavande, de serpolet, d’hysope et autres herbes odoriférantes.

      Ces quatre carrés principaux étaient subdivisés en plusieurs planches destinées aux légumes et aux fruits, mais entourées de larges plates-bandes de fleurs d’agrément.

      Enfin, de deux petits cabinets de verdure couverts de jasmin d’Arabie et de lianes odorantes, on découvrait à l’horizon la mer et les terres élevées des autres Antilles.

      On ne pouvait rien voir de plus frais, de plus charmant que ce jardin, dans lequel les plus belles fleurs se mêlaient à des fruits et à des légumes magnifiques.

      Ici une couche de melons côtelés, couleur d’ambre, était entourée d’une bordure de grenadiers nains, taillés comme du buis à un pied de terre, et couverts à la fois de fleurs pourpres et de fruits si lourds et si abondants qu’ils touchaient à terre.

      Plus loin, une planche de bois d’Angole aux longues gousses vertes, aux fleurs bleues, était entourée d’un rang de frangipaniers blancs et roses d’une odeur suave; des plants de carottes, d’oseille de Guinée, de guingambo, de pourpier, étaient encadrés d’un quadruple rang de tubéreuses des plus riches couleurs; enfin, un carré d’ananas qui parfumaient l’air, avait pour bordure une haie de magnifiques cactus à calices orange à longs pistils d’argent.

      Derrière la maison s’étendait un verger composé de cocotiers, de bananiers, de goyaviers, d’avocatiers, de tamariniers et d’orangers, dont les branches courbaient sous le poids des fleurs et des fruits.

      Le père Griffon parcourait les allées de son jardin avec un bonheur indicible, interrogeant du regard chaque fleur, chaque plante, chaque arbre.

      Ses deux nègres le suivaient: l’un s’appelait Monsieur, l’autre Jean. Ces deux bonnes créatures pleuraient de joie en revoyant leur maître, ne répondaient à aucune de ses questions, tant ils étaient émus, et ne pouvaient que se dire l’un à l’autre en levant les mains au ciel:

      – Bon Dieu! li ici, li ici!

      Le chevalier, insensible à ces joies naïves, suivait machinalement le curé; il brûlait du désir de demander à son hôte si, à travers les bois qui s’élevaient au loin en amphithéâtre, on pouvait apercevoir le chemin du Morne-au-Diable.

      Après avoir examiné son jardin, le bon prêtre alla voir sa haquenée, qu’il appelait Grenadille, et son gros dogue anglais, qu’il appelait Snog; lorsqu’il ouvrit la porte de l’écurie, Snog manqua de renverser son maître en sautant autour de lui. Ce n’étaient pas des aboiements, c’étaient des hurlements de joie, des emportements de tendresse si violents, que le nègre Monsieur fut obligé de prendre le chien par son collier et de le retenir à grand’peine pendant que le prêtre caressait Grenadille, dont la robe luisante, dont le ferme embonpoint témoignaient des bons soins de Monsieur, particulièrement chargé de l’écurie.

      Après cette visite minutieuse de son petit domaine, le père Griffon conduisit le chevalier dans la chambre qui lui était destinée; un lit entouré d’une moustiquaire de gaze, un canapé de paille, un grand coffre de bois d’acajou, une table, tel était l’ameublement de cette chambre, qui s’ouvrait sur le jardin.

      Pour tout ornement, on voyait un Christ suspendu au milieu de la boiserie à peine dégrossie.

      – Vous trouverez ici une pauvre et modeste hospitalité, dit le père Griffon au chevalier; mais elle vous est offerte de grand cœur.

      – Et je l’accepte avec reconnaissance, mon père, dit Croustillac.

      A ce moment, Monsieur vint avertir le curé qu’il était servi, et le père Griffon précéda le chevalier dans la salle à manger.

      CHAPITRE V.

      LA SURPRISE

      Une grande verrine, où brillait une bougie de cire jaune, éclairait la table; le couvert était mis


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