Paris. Emile Zola

Paris - Emile Zola


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debout, remplir son mérite, car il se piquait d'être un grand orateur. Ce tourment secret le rendait morose. En lui s'incarnait la vieille France royaliste et boudeuse, servant la république à contre-cœur, l'ancienne magistrature, sévère, fermée à toute évolution, à tout sens nouveau des choses et des êtres. Et, d'une petite noblesse de robe, légitimiste rallié à l'orléanisme, il se croyait l'homme de sagesse et de logique, dans ce salon, où il était très fier de rencontrer le marquis.

      On causa des derniers événements. Les conversations politiques, d'ailleurs, s'épuisaient vite, se résumaient dans l'amère condamnation des hommes et des faits, tous les trois se trouvant d'accord sur les abominations du régime républicain. Ils n'étaient là que des ruines, les restes des vieux partis, réduits à l'impuissance presque absolue. Le marquis, lui, planait dans son intransigeance totale, fidèle à une morte, un des derniers de cette noblesse riche encore, haute et entêtée, qui mourait sur place. Le magistrat, qui avait au moins un prétendant, comptait sur un miracle, en démontrait la nécessité, si la France ne voulait tomber aux plus graves malheurs, à la disparition prochaine et complète. Et, quant au général, il ne regrettait des deux empires que les grandes guerres, il laissait de côté le maigre espoir d'une restauration bonapartiste, pour déclarer qu'en ne s'en tenant pas aux armées impériales, qu'en décrétant le service obligatoire, la nation en armes, la république avait tué la guerre, et tué la patrie.

      Lorsque le domestique vint demander à la comtesse si elle voulait bien recevoir monsieur l'abbé Froment, celle-ci parut un peu surprise.

      – Que me veut-il? Faites entrer.

      Elle était très pieuse, et elle l'avait connu dans des œuvres de charité, touchée de son zèle, édifiée par le renom de jeune saint que lui faisaient ses paroissiennes de Neuilly.

      Lui, tout à sa fièvre, se sentit intimidé, dès le seuil du salon. D'abord, il n'y distingua rien, il crut entrer dans un deuil, une ombre où des formes semblaient se fondre, où des voix chuchotaient. Puis, lorsqu'il eut reconnu les personnes qui étaient là, il fut dépaysé davantage, en les trouvant si lointaines et si tristes, si à l'écart du monde d'où il venait, où il retournait. Et, la comtesse l'ayant fait asseoir près d'elle, devant la cheminée, ce fut à voix basse qu'il lui conta l'histoire lamentable de Laveuve, en lui demandant son appui pour le faire entrer à l'Asile des Invalides du travail.

      – Ah! oui, cette Œuvre dont mon fils a désiré que je fusse… Mais, monsieur l'abbé, je n'ai jamais mis les pieds aux séances du comité. Comment voulez-vous que j'intervienne, n'ayant à coup sûr aucune influence?

      De nouveau, les figures unies de Gérard et d'Eve venaient de se dresser devant elle, car la rencontre première des deux amants avait eu lieu à l'Asile. Et déjà elle faiblissait, dans sa maternité toujours souffrante, bien qu'elle eût le regret d'avoir donné son nom, pour une de ces entreprises charitables à grand tapage, dont elle réprouvait les abus intéressés.

      – Madame, insista Pierre, il s'agit d'un pauvre vieillard qui meurt de faim. Ayez pitié, je vous en supplie.

      Bien que le prêtre eût parlé bas, le général s'approcha.

      – C'est encore pour votre vieux révolutionnaire que vous courez. Vous n'avez donc pas réussi près de l'administrateur?.. Dame! il est difficile de s'attendrir sur des gaillards, qui, s'ils étaient les maîtres, nous balayeraient tous, comme ils disent.

      M. de Larombardière approuva d'un hochement du menton. Depuis quelque temps, il était hanté par le péril anarchiste.

      Et Pierre recommença son plaidoyer, navré et frémissant. Il dit l'affreuse misère, les logis sans nourriture, les femmes et les enfants grelottant de froid, les pères battant le boueux Paris d'hiver, en quête d'un morceau de pain. Ce qu'il demandait, ce n'était qu'un mot sur une carte de visite, un mot bienveillant de la comtesse, qu'il porterait tout de suite à la baronne Duvillard, pour la décider à passer par-dessus les règlements. Et ses paroles, tremblantes de larmes étouffées, tombaient une à une, dans le salon morne, comme venues de très loin et se perdant dans un monde mort, sans écho désormais.

      Madame de Quinsac se tourna vers M. de Morigny. Mais il semblait s'être désintéressé. Il regardait fixement le feu, de son air hautain d'étranger, indifférent aux choses et aux êtres, parmi lesquels une erreur des temps le forçait à vivre. Cependant, il releva la tête, en sentant sur lui ce regard de la femme adorée; et leurs yeux se rencontrèrent, avec une infinie douceur, la douceur si triste de leur héroïque tendresse.

      – Mon Dieu! dit-elle, je sais vos mérites, monsieur l'abbé, et je ne veux pas me refuser à une de vos bonnes œuvres.

      Elle quitta le salon un moment, elle y revint, tenant une carte, où elle avait écrit qu'elle était de tout son cœur avec monsieur l'abbé Froment, dans les démarches qu'il faisait. Et celui-ci la remercia, les mains frémissantes de gratitude, et il s'en alla ravi, comme s'il emportait un nouvel espoir de salut, en sortant de ce salon, où, derrière lui, un flot d'ombre et de silence sembla retomber, sur cette vieille dame et ses derniers fidèles, au coin de leur feu, tout un monde en train de disparaître.

      Dehors, Pierre remonta allègrement dans son fiacre, après avoir donné l'adresse de la princesse de Harth, avenue Kléber. S'il obtenait de même une approbation de celle-ci, il ne doutait plus de réussir. Mais le pont de la Concorde était obstrué d'un tel encombrement, que le cheval dut aller au pas. Et, là, sur le trottoir, il revit Dutheil, qui, correct et charmant, le cigare aux lèvres, riait à la foule, dans son aimable insouciance d'oiseau, heureux de retrouver le pavé sec et le ciel bleu, au sortir de l'anxieuse séance de la Chambre. En l'apercevant si gai, si triomphant, il eut une inspiration brusque, il se dit qu'il devrait conquérir, mettre avec lui ce garçon, dont le rapport avait eu un effet si désastreux. Justement, la voiture ayant dû s'arrêter tout à fait, le député venait de le reconnaître et lui souriait.

      – Où allez-vous donc, monsieur Dutheil?

      – Mais à côté, aux Champs-Elysées.

      – Je passe par là, et comme je désire vous entretenir un instant, vous seriez bien aimable de prendre place près de moi. Je vous poserai où vous voudrez.

      – Très volontiers, monsieur l'abbé. Ça ne vous gêne pas que j'achève mon cigare?

      – Oh! pas du tout.

      Le fiacre se dégagea, traversa la place, pour monter les Champs-Elysées. Et Pierre, songeant qu'il avait quelques minutes à peine, entreprit Dutheil sans tarder, prêt à lutter pour le convaincre. Il se souvenait de la sortie que le jeune homme avait faite contre Laveuve, chez le baron. Aussi fut-il étonné de l'entendre l'interrompre, pour dire gentiment, la mine ragaillardie par le clair soleil qui se remettait à luire:

      – Ah! oui, votre vieil ivrogne! Alors, vous n'avez donc pas arrangé son affaire, avec Fonsègue? Et qu'est-ce que vous voulez? qu'on le fasse entrer là-bas aujourd'hui?.. Moi, vous savez, je ne m'y oppose pas.

      – Mais il y a votre rapport.

      – Mon rapport, oh! mon rapport, les questions changent selon les points de vue… Et, si vous y tenez, à votre Laveuve, je ne refuse pas de vous aider, moi!

      Pierre le regardait, saisi, très heureux au fond. Il n'eut plus même besoin de parler.

      – Vous avez mal pris l'affaire, continua Dutheil en se penchant, d'un air de confidence. Chez lui, c'est le baron qui est le maître, pour des raisons que vous sentez, que vous connaissez sans doute; la baronne fait tout ce qu'il demande, sans même discuter; et, ce matin, au lieu de vous lancer dans des courses inutiles, vous n'aviez qu'à vous faire appuyer par lui, d'autant plus qu'il paraissait dans d'excellentes dispositions. Aussitôt, elle aurait cédé.

      Il se mit à rire.

      – Alors, vous ne savez pas ce que je vais faire?.. Eh bien! je vais gagner le baron à votre cause. Oui, je me rends précisément dans une maison où il est, une maison où l'on est certain de le trouver tous les jours, à cette heure-ci…

      Et il riait plus haut.

      – Enfin, la maison que vous n'ignorez


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