Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890. Wilde Oscar
muette semble murmurer: χαιρε. (Salut.)
L'art romain est différent.
Il introduit le portrait vigoureux et réaliste et il traite la pure vie de famille beaucoup plus fréquemment que ne le fait l'art grec.
Ils sont fort laids, ces Romains, à la physionomie dure, hommes et femmes, dont les portraits sont représentés sur leurs tombes, mais ils paraissent avoir été aimés et respectés de leurs enfants et de leurs serviteurs.
Voici le monument d'Aphrodiscus et Atilia, un noble romain et sa femme, morts en terre britannique il y a bien des siècles, et dont la pierre tombale a été trouvée dans la Tamise.
Tout près se voyait une stèle venant de Rome, avec les bustes d'un vieux couple d'époux qui étaient certainement d'une étonnante laideur.
Le contraste entre la représentation abstraite par les Grecs de l'idée de la mort et la réalisation concrète, par les Romains, des individus défunts, est extrêmement curieux.
Outre les pierres funéraires, la nouvelle salle de Sculpture contient de très charmants spécimens de l'art décoratif romain sous les Empereurs.
Le plus merveilleux de tous, et qui vaut à lui seul une excursion à Bloomsbury, est un bas-relief représentant une scène de mariage.
Juno Pronuba unit les mains d'un beau et jeune noble et d'une dame fort imposante.
Il y a dans ce marbre toute la grâce du Pérugin, et même la grâce de Raphaël. La date en est incertaine, mais la coupe soignée de la barbe du fiancé paraît indiquer l'époque de l'empereur Hadrien.
C'est manifestement l'œuvre d'artistes grecs, et c'est un des plus beaux bas-reliefs de tout le Musée. Il y a en lui je ne sais quoi qui rappelle l'harmonie et la douceur de la poésie de Properce.
Puis, ce sont de délicieuses frises où sont figurés des enfants.
L'une d'elles qui représente des enfants jouant d'instruments, aurait pu inspirer une bonne partie de l'art plastique florentin.
A vrai dire, quand nous passons en revue ces marbres, nous n'avons pas de peine à voir d'où sortit la Renaissance et à quoi nous devons les formes diverses de l'art de la Renaissance.
La frise des Muses, dont chacune porte piquée dans sa chevelure une plume prise aux ailes des sirènes vaincues, est extrêmement belle.
Sur un charmant petit bas-relief, deux amours se disputent le prix de la course en char et la frise des Amazones couchées a quelques splendides qualités de dessin.
Une frise d'enfants, qui jouent avec l'armure du Dieu Mars, mérite aussi d'être mentionnée.
C'est plein de fantaisie et d'humour délicat.
En somme, Sir Charles Newton et M. Murray méritent d'être chaudement félicités du succès de la nouvelle salle.
Nous espérons toutefois que l'on cataloguera et qu'on exposera encore d'autres pièces du trésor caché.
Actuellement, dans des sous-sols, il y a un bas-relief très remarquable qui représente le mariage de l'Amour et de Psyché, et un autre où l'on voit des pleureurs de profession se lamentant sur le corps d'un mort.
Le beau moulage du Lion de Chéronée devrait aussi en être retiré, ainsi que la stèle où se voit l'admirable portrait de l'esclave romain.
L'économie est une excellente vertu publique, mais la parcimonie qui laisse séjourner de belles œuvres d'art dans l'atmosphère farouche et sombre d'une cave humide n'est guère moins qu'un détestable vice public.
Un Écossais, à propos de la poésie écossaise 9
Un éminent critique, qui vit encore et qui est né au sud de la Tweed, confia un jour, tout bas, à un ami que les Écossais, à son avis, connaissaient réellement fort mal leur littérature nationale.
Il admettait parfaitement qu'ils aimassent leur «Robbie Burns» et leur «Sir Walter» avec un enthousiasme patriotique, qui les rend extrêmement sévères envers le malheureux homme du sud qui se hasarde à louer l'un ou l'autre en leur présence. Mais il soutenait que les œuvres des grands poètes nationaux, tels que Dunbar, Henryson, et Sir David Lyndsay sont des livres scellés pour la majorité des lecteurs à Edimbourg, à Aberdeen et à Glasgow et que fort peu d'Écossais se doutent de l'admirable explosion de poésie qui eut lieu dans leur pays pendant les quinzième et seizième siècles, alors qu'il n'existait, dans l'Angleterre de cette époque, qu'un faible développement intellectuel.
Cette terrible accusation est-elle fondée ou non, c'est ce qu'il est inutile de discuter présentement.
Il est probable que l'archaïsme de la langue suffira toujours pour empêcher un poète comme Dunbar de devenir populaire, dans le sens ordinaire du mot.
Toutefois le livre du Professeur Veitch10 prouve qu'en tout cas, il y a «dans le pays des galettes» des gens capables d'admirer et d'apprécier ses merveilleux chanteurs d'autrefois, des gens que leur admiration pour le Lord des Îles, et pour l'Ode à une pâquerette de la montagne ne rend point aveugles aux beautés exquises du Testament de Cresseida, du Chardon et de la Rose, du Dialogue entre Expérience et un Courtisan.
Le Professeur Veitch, prenant pour sujet de ses deux intéressants volumes le sentiment de la Nature dans la poésie écossaise, commence par une dissertation historique sur le développement du sentiment dans l'espèce humaine.
L'état primitif lui apparaît comme se réduisant à une simple «sensation de plein air».
Les principales sources de plaisir sont la chaleur que donne le grand soleil, la fraîcheur de la brise, l'air général de fraîcheur de la terre et du ciel, sensation à laquelle s'associe la conscience de la vie et du plaisir sensitif, tandis que l'obscurité, l'orage et le froid sont regardés comme désagréables.
A cette époque succède l'époque pastorale, où nous trouvons l'amour des vertes prairies, de l'ombre donnée par les arbres, de tout ce qui rend la vie agréable et confortable.
Vient à son tour l'époque de l'agriculture, ère de la guerre avec la terre, où les hommes prennent du plaisir dans le champ de blé et le jardin, mais voient d'un mauvais œil tout obstacle à la culture, comme la forêt, la roche, tout ce qui ne peut pas être réduit à l'utilité par la soumission, tels la montagne et la mer.
Nous arrivons enfin au pur sentiment de la nature, au pur plaisir que donnent la seule contemplation du monde extérieur, la joie qu'on trouve dans les impressions sensibles, en dehors de tout ce qui a rapport à l'utilité ou à la bienfaisance de la Nature.
Mais là ne s'arrête pas le développement.
Le Grec, dans son désir d'identifier la Nature et l'Humanité, peuplait le bosquet et les flancs des montagnes de belles formes fantaisistes, voyait le dieu tapi dans la futaie, la naïade suivant le fil de l'eau.
Le moderne disciple de Wordsworth, visant à identifier l'homme avec la Nature, trouve dans les choses extérieures «les symboles de notre vie intérieure, les influences d'un esprit apparenté au nôtre».
Il y a bien des idées suggestives dans ces premiers chapitres du livre du Professeur Veitch, mais nous ne saurions être de son avis sur l'attitude du primitif en face de la Nature.
La sensation de plein-air, dont il parle, nous paraît comparativement moderne.
Les mythes naturalistes les plus antiques nous parlent non point du «plaisir sensuel» que la Nature donnerait à l'homme, mais de la terreur que la Nature inspire.
Et de plus, les ténèbres et l'orage ne sont point regardés par l'homme primitif comme des choses «simplement répulsives». Ce sont, pour lui, des êtres divins et surnaturels, pleins de merveille, dégageant une terreur mystérieuse.
Il aurait fallu aussi dire quelques mots au sujet de l'influence des villes sur le développement du sentiment de la nature, car si paradoxale que la chose puisse paraître,
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