Le paravent de soie et d'or. Gautier Judith

Le paravent de soie et d'or - Gautier Judith


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maison des Plumes-de-Poules3 est préférable à celui où l'avarice a réduit ce malheureux homme; le fricot que se préparent les prisonniers, de leur main un instant désenchaînée, vaut mieux encore que celui fricassé par le pauvre Cerf-Volant, son domestique, qui a bien de la vertu de ne pas dévorer, avant de la servir, la maigre pitance, dont il n'a que les restes.

      – Aïe! aïe! Tu nous épouvantes, dit l'un des jeunes gens, mais nous serons courageux. Que ne ferait-on pas pour obliger un ami?

      – Je ne veux pas votre mort, dit Bambou-Noir, en riant; n'allez pas oublier de dîner copieusement avant de vous rendre à l'invitation de cet avare.

      – Bon! bon! Nous dînerons d'avance, dirent les jeunes seigneurs, en étouffant leurs rires. – Éloignons-nous, dit l'un deux; voici que l'on commence à ouvrir les boutiques et le soleil fait étinceler le givre au bord des toits.

      Bambou-Noir poussa un soupir et leva les yeux vers les treillis d'une fenêtre.

      – Tu vas réveiller Perle-Fine, avec tes soupirs, dit le jeune homme aux belles fourrures.

      – Ah! si je pouvais voir seulement le bout de son ongle, ou l'ombre de sa petite main, sur le papier de la fenêtre.

      – Allons, patience! Si notre complot réussit, Perle-Fine sera bientôt ta femme.

      Tous les jeunes gens s'éloignèrent et, avant de disparaître à l'angle d'une rue, ils jetèrent un dernier coup d'œil à la maison de Rouille-des-Bois.

      Quelques passants s'étaient arrêtés devant les affiches et les lisaient, en se tenant les côtes de rire. L'un deux souleva le marteau de la porte et le laissa retomber bruyamment, puis tous s'enfuirent, dans toutes les directions.

II

      Une vieille tête pointue et maigre, qui semblait taillée dans un ivoire centenaire, se glissa par l'entrebâillement d'une fenêtre et regarda en dehors. Au même moment un serviteur ouvrit la porte et promena ses regards surpris sur la solitude de la rue.

      Ce serviteur était un jeune garçon, mince comme une tige de bambou, long, effaré, silencieux. Dès la première lune d'hiver, gelé jusque dans la moelle de ses os, il tremblait toujours comme un chien mouillé, mais ne s'imaginait même pas qu'on pût songer à se chauffer. Rouille-des-Bois l'avait élevé. A l'appel de son maître il se précipitait désespérément, les bras étendus, comme si un malheur était arrivé, et recevait l'ordre sans rien dire. Il remuait seulement ses grands yeux épouvantés et reparlait subitement avec le même geste de désespoir. Pour lui, la vie était quelque chose d'incompréhensible et de terrible.

      A la vue de ces affiches bariolant la porte, il sortit de son mutisme: les bras au ciel, il poussa une longue exclamation.

      – Qu'est-ce donc, Cerf-Volant? dit le vieillard qui regardait d'en haut.

      – Venez, s'écria Cerf-Volant, qui ne savait plus par quel geste exprimer son effroi.

      Rouille-des-Bois retira sa tête, ferma la fenêtre et descendit. On entendait des grincements de clefs et de verrous tirés.

      – Quoi donc? quoi donc? dit l'avare en apparaissant dans le cadre de la porte. Nous a-t-on volé la tortue de fer, ou quelque autre ornement extérieur?

      Cerf-Volant attira son maître dehors et referma à demi la porte, pour bien la mettre en lumière; puis il appuya ses mains sur ses tempes, comme s'il eût voulu empêcher sa tête d'éclater en face d'un pareil malheur.

      – Oh! oh! s'exclama l'avare, prend-on ma maison pour le pilier public, ou bien, quelque poète sans renommée a-t-il choisi ma porte pour éditeur? En ce cas, il me payera une redevance.

      Et Rouille-des-Bois, tirant de la manche de sa houppelande, en peau de mouton, râpée jusqu'au cuir, une énorme paire de lunettes, se la campa sur le nez.

      A mesure que le sens des caractères arrivait à son esprit, le visage de l'avare s'allongeait démesurément, comme s'il eût été reflété par une de ces boules en cuivre poli qui ornent les balustrades.

      – Hein! on m'insulte, murmura-t-il; on me couvre de honte, on me déshonore, moi, un homme vénérable, qui ai passé soixante ans et qui mérite le respect! Avare! ladre! et cela parce que je suis pauvre et économe!

      Les passants, de plus en plus nombreux, s'arrêtaient curieux.

      Rouille-des-Bois arracha les affiches et fut sur le point de les jeter dans le ruisseau; mais il se ravisa en songeant que l'on pourrait en faire du feu. Il rentra chez lui en fermant la porte avec colère.

      – Que se passe-t-il donc, mon oncle? Pourquoi sembles-tu irrité? dit une jeune fille toute pâle de froid, qui entra d'un autre côté dans le salon d'honneur, au moment où Rouille-des-Bois y pénétrait.

      – Faites donc le bien, s'écria le vieillard, très animé, recueillez des orphelins, comme j'ai recueilli Perle-Fine, soyez poli avec tout le monde, charitable comme Miaou-Chen4, – n'ai-je pas, l'an dernier, distribué un bol de riz entre toute une armée de mendiants? – pour être traité comme l'on me traite, pour recevoir cette récompense!

      Et il jeta au milieu du salon les deux affiches dont il avait fait une boule.

      Perle-Fine les ramassa et les déplia. Tandis qu'elle les lisait, en tachant de reconstruire le sens à travers les déchirures, Cerf-Volant jeta quelques charbons ardents dans un grand réchaud de cuivre, à moitié empli de cendres. Mais ce maigre feu, par un froid pareil, était une amère ironie; il semblait geler lui-même dans celte grande pièce glaciale, que cinquante réchauds eussent à peine chauffée.

      Cette salle avait été décorée, jadis, par les parents de Rouille-des-Bois, et gardait encore un air d'élégance. Une frise de bois rouge, toute découpée, courait autour des murs, près du plafond, où des poutrelles, autrefois peintes et dorées, s'entrecroisaient. La tenture était une vieille étoffe toute déteinte, mais on apercevait encore des traces de broderies. Seuls les meubles en bois de fer sculptés s'étaient embellis en vieillissant, mais quelques-uns boitaient. Dans un enfoncement, élevé d'une marche, apparaissait le banc d'honneur, sur lequel on fait asseoir les visiteurs; il était recouvert d'un petit matelas, plat comme une galette, que cachait une natte en fibre de bambou, toute effiloquée. C'était dans ce coin, un peu abrité des vents coulis, que Perle-Fine se tenait le plus souvent; elle transportait là le réchaud et déployait devant l'ouverture de l'enfoncement un vieux paravent dont la laque s'écaillait. Des poutrelles du plafond pendaient çà et là quelques grosses lanternes poussiéreuses.

      – Eh bien! mon oncle, dit Perle-Fine, en levant vers Rouille-des-Bois ses grands yeux obliques, frangés de cils superbes, il est bien facile de faire cesser cet affreux scandale; il faut rendre à vos amis la politesse qu'ils vous ont faite.

      – C'est cela que tu as trouvé? dit le vieillard, en haussant les épaules.

      – Songez à votre dignité. Oseriez-vous paraître dans la rue, avec la crainte d'être insulté par les passants?

      – Puisque j'ai arraché les affiches, on ne les lira pas.

      – Peut-être les a-t-on lues déjà, dit la jeune fille.

      Rouille-des-Bois baissa la tête un instant, mais il n'était pas encore bien convaincu.

      – Cerf-Volant! s'écria-t-il, va donc rôder sur le marché, et tâche de savoir si l'on est au courant de mon malheur.

      Cerf-Volant leva les bras au ciel et s'enfuit. L'avare se mit à marcher à grands pas par la chambre autant pour se réchauffer que pour calmer son agitation. Mais le jeune serviteur ne demeura pas longtemps absent; il rentra précipitamment, tout effaré, les vêtements souillés de neige à demi fondue.

      – Savoir, dit-il, Méchants!.. Battu!..

      Le pauvre garçon, lui, était avare de paroles; il ne prononçait jamais qu'un mot à la fois.

      – Comment! on t'a battu, mon pauvre Cerf-Volant? dit Perle-Fine.

      Cerf-Volant fit signe que oui et montra


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<p>3</p>

C'est une sorte d'asile public où dorment les mendiants et les vagabonds. Il se compose d'une seule pièce dont le sol disparaît sous un amas de plumes de poules.

<p>4</p>

La déesse de la Compassion.