Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron
effet, – on n'ose répondre ici qu'à la torture, on n'ose interroger que ceux-
Femme imprudente! songez-vous où vous êtes en ce moment?
En ce moment! – je suis où fut le palais du père de mon époux.
Vous êtes dans le palais du Doge.
Et dans la prison de son fils. – Non, je ne l'ai pas oublié; et si je n'en trouvais pas ici des souvenirs plus intimes et plus amers, je rendrais grâce à l'illustre Memmo de me rappeler les délices de cet endroit.
Soyez calme!
Je le suis; mais toi, Dieu tout-puissant, peux-tu bien l'être également, en voyant un monde pareil?
Votre mari peut encore être absous.
Il l'est, mais dans le ciel. Je vous en prie, seigneur sénateur, ne parlez pas de cela. Vous êtes un homme d'état, ainsi que le Doge; en ce moment même il a sur le chevalet un fils, et moi un époux: ils sont là, face à face, l'un comme juge, l'autre comme accusé. – Pensez-vous qu'il le condamne?
Je ne le crois pas.
Mais s'il ne le fait pas, les autres ne les condamneront-ils pas tous deux?
Ils le peuvent.
Et pour eux, quand il s'agit d'un crime exécrable, pouvoir et vouloir sont la même chose: – mon époux est perdu!
Ne dites pas cela; à Venise, c'est la justice qui juge.
Ah! s'il en était ainsi, il n'y aurait plus aujourd'hui de Venise! Qu'elle existe, mais du moins que les hommes de bien ne meurent pas avant l'heure prescrite par la nature. Pourquoi faut-il que les Dix soient plus impatiens qu'elle, et qu'ils décident en ce moment de notre sort? Ah ciel! un cri de détresse!
Écoutez!
C'est un cri de-Non, non, ce n'est pas mon mari, ce n'est pas la voix de Foscari.
Cependant-
Non, ce n'est pas la sienne. Non, non; lui, pousser des cris! c'est le rôle de son père: mais lui-il mourra en silence.
Comment! encore?
C'est bien sa voix! je crois la reconnaître: je ne l'aurais pas cru. Toutefois se plaindrait-il, je ne puis cesser de l'aimer; mais-non, non. – Hélas! ce doit être une bien terrible angoisse, celle qui put lui arracher un gémissement.
Mais vous qui sentez les injures de votre mari comme les vôtres, voudriez-vous qu'il supportât en silence des douleurs plus que mortelles?
Chacun de nous a ses douleurs. Grâce à moi, et quand ils arracheraient la vie au Doge et à son fils, la grande maison de Foscari ne s'éteindra pas. En donnant la vie à ceux qui leur succéderont, j'ai enduré des douleurs comparables à celles qui la leur feront perdre: mais les miennes étaient de douces angoisses; et cependant, telle était leur violence que j'aurais pu jeter des cris. Je ne l'ai pas fait, car j'avais l'espoir d'enfanter un héros, et je n'aurais pas voulu l'accueillir avec des larmes.
Tout se tait maintenant.
Tout est fini peut-être; mais je ne veux pas le croire: il a réuni toutes ses forces, et sans doute il les défie en ce moment.
Eh quoi! mon ami, que cherchez-vous?
Un médecin. Le prisonnier s'est trouvé mal.
Vous feriez bien, madame, de vous retirer.
Je vous en prie, suivez ce conseil.
Non, non; je veux le secourir.
Vous, madame? oubliez-vous que personne n'a le droit de pénétrer dans ces chambres, à l'exception des Dix et de leurs familiers?
Oui, je sais que nul de ceux qui entrent ne revient comme il est entré, – que la plupart ne retournent jamais; mais ils ne pourront refuser de me voir.
Hélas! vous n'éprouverez qu'un dur refus, une incertitude plus grande encore.
Et qui m'arrêtera?
Ceux que leur devoir y oblige.
Est-ce leur devoir de fouler aux pieds tous les sentimens de l'humanité, et tous les liens qui enchaînent l'homme à l'homme; de rivaliser ici-bas avec les démons qui plus tard réclameront le droit de les plonger dans un abîme de tortures! Quoi qu'il en soit, j'avancerai.
C'est impossible.
C'est ce que l'on verra. Le désespoir peut défier jusqu'au despotisme. Il y a quelque chose dans mon cœur qui braverait les fers croisés d'une armée entière; et vous croyez qu'une poignée de geôliers pourront arrêter mes pas? Laissez-moi passer. C'est ici le palais du Doge; je suis la femme du fils du Doge, de l'innocent fils du Doge: il faudra bien qu'ils m'entendent!
Vous ne parviendrez ainsi qu'à irriter ses juges davantage.
Eh quoi! ceux qui le forcent à gémir sont des juges! ils ne sont que des assassins. Laissez-moi passer.
Pauvre dame!
C'est l'effet de son désespoir; elle ne sera pas admise.
Elle le serait qu'elle ne parviendrait pas à sauver son mari. Mais voyez, l'officier revient.
A peine si j'eusse supposé que les Dix eussent assez de pitié pour permettre qu'on portât quelque assistance au patient.
De la pitié! c'est une pitié qui consiste à rappeler au sentiment l'infortuné trop heureux d'échapper à la mort, par cette faiblesse, dernière ressource de notre pauvre nature contre la tyrannie de la peine.
Je suis surpris qu'ils tardent tant à le condamner.
Ce n'est pas là leur politique: ils le retiennent vivant parce qu'il ne redoute pas la mort; ils l'avaient banni, parce que toute la terre, à l'exception de sa patrie, est pour lui une immense prison, parce que chaque souffle d'air étranger semble pour sa poitrine un dévorant poison, qui, sans le tuer, le consume.
L'ensemble des circonstances atteste ses crimes, cependant il n'en fait pas l'aveu.
On ne peut lui opposer que la lettre qu'il a écrite, et qu'il n'a, dit-il, adressée au duc de Milan que dans la pleine conviction qu'elle tomberait entre les mains du sénat, et qu'elle déciderait ses juges à le transporter à Venise.
Comme accusé?
Oui; mais enfin dans sa chère patrie: c'est là, s'il faut l'en croire, tout ce qu'il désirait.
L'imputation des présens est bien prouvée.
Non entièrement, et la charge d'homicide a été annulée par la confession de Nicolas Erizzo, qui déclara