Tamaris. Жорж Санд

Tamaris - Жорж Санд


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se dispose à faire la conversation; mais elle ne trouva rien à me dire, et ne chercha rien; ce qui, je le reconnus, valait mieux que de parler à tort et à travers. J'avais donc à faire tous les frais de la conversation. J'allai droit au but en lui parlant du projet de notre avoué dans mon intérêt comme dans le sien.

      Quand elle m'eut bien écouté sans donner le moindre signe d'assentiment ou de répugnance:

      – Que voulez-vous que je pense de cela? me dit-elle. Je n'y entends rien. Je sais que me voilà très-gênée. J'avais toujours compté sur la petite fortune de mon père. Ma pauvre mère ne savait seulement pas qu'elle ne fût pas bien mariée avec lui, et il n'y a pas longtemps que je le sais moi-même. J'ai toujours vécu sans rien comprendre à l'argent, et je ne savais pas qu'il faut en avoir beaucoup pour vivre en France. Je suis pourtant Française; mais on ne m'a rien appris de ce qu'il faudrait savoir. Mon père disait que j'en aurais assez. Je croyais qu'il avait pensé à tout; mais vous savez comment le pauvre homme est mort!

      – D'un coup de sang, m'a-t-on dit?

      – Oh! non, d'un coup de pistolet.

      – Comment! il s'est battu?

      – Mais non! il s'est tué.

      Mademoiselle Roque me fit cette réponse avec un sang-froid tout fataliste, et elle ajouta en bonne chrétienne: «Dieu lui pardonne!» du ton dont elle aurait dit la phrase sacramentelle des Orientaux: «C'était écrit.»

      – Vous ne savez donc pas? reprit-elle en voyant ma surprise. Je croyais qu'on vous l'aurait dit en confidence. On l'a caché parce que les prêtres lui auraient refusé la terre sainte, et parce que le peuple d'ici aurait peut-être brûlé la maison. Ils ont bien assez crié contre nous dans le pays, parce que ma mère était de la religion de ses pères. Ils auraient dit que c'était la cause du péché de suicide commis ici. Vous voyez qu'il ne faut pas en parler à ceux qui n'ont rien su.

      – Je m'en garderai bien! mais M. Roque avait donc quelque grand chagrin?

      – Non, il s'ennuyait. Il disait qu'il avait assez vécu. Il avait la goutte, il ne pouvait plus sortir, il n'avait plus de patience. Voulez-vous voir ce qu'il a écrit avant de mourir?

      – Oui; si c'est quelque disposition en votre faveur, je vous réponds que ma famille la respectera, fût-elle illégale.

      – Oh! il n'est pas question de moi, reprit mademoiselle Roque en tirant d'un sachet de soie parfumé un papier maculé de sang qu'elle toucha sans frémir. Je lus ces mots:

      «Cachez mon suicide, si c'est possible; mais, si quelqu'un était soupçonné, produisez cet écrit. Je meurs de ma propre main.

»JEAN ROQUE».

      – Il ne vous aimait donc pas? dis-je à mon hôtesse impassible.

      – Je ne sais pas, répondit-elle sans aucune amertume.

      Et je vis alors deux grosses larmes se détacher de ses yeux et tomber sur ses joues, qu'elle ne songea point à essuyer. Ces larmes ne rougirent pas ses paupières et ne leur imprimèrent pas la moindre contraction. Elle pleurait sans effort et sans que le cœur parût prendre aucune part à l'acte de sa douleur. Elle me paraissait si extraordinaire, que je ne pus me défendre de lui demander, bien ou mal à propos, dans quelle religion elle avait été élevée.

      – Je suis chrétienne, répondit-elle. J'ai été baptisée et j'observe la vraie religion.

      – Mais votre mère?..

      – Ma mère était de race mêlée. Elle était de l'Inde; mais elle y avait été élevée dans la loi du Coran, et mon père n'a jamais exigé qu'elle changeât sa manière d'aimer Dieu, qui était bonne aussi.

      Il fallait conclure sur nos intérêts respectifs, et je vis bien qu'elle ne le pouvait pas, faute des plus simples notions sur le monde pratique. Elle me paraissait en proie à un découragement complet de sa situation, acceptée avec la plus complète inertie. Je voulus en vain réveiller en elle quelque esprit de prévoyance; je me permis quelques questions. Elle m'apprit qu'elle ne possédait rien au monde que la terre qui entourait sa maison, les meubles et bijoux qui remplissaient la pièce où nous nous trouvions.

      – A quoi évaluez-vous tout cela? me dit-elle. On m'a dit que j'en tirerais un peu d'argent.

      – Pour cela, lui dis-je, je n'en sais pas plus que vous. Avez-vous confiance en quelqu'un dans votre voisinage?

      – J'ai confiance en tout le monde, répondit-elle avec une candeur qui me toucha.

      – Me permettez-vous d'en causer avec M. Pasquali et M. Aubanel?

      – Certainement.

      – De leur confier vos intérêts comme les miens propres, et de chercher avec eux le moyen de tirer de ce qui vous reste de quoi assurer votre existence dans des conditions peut-être meilleures que celles où je vous vois?

      – Oui, oui; mais écoutez: je veux bien vendre, mais je ne veux pas quitter la bastide.

      – Comment! vous y tenez, à cette horrible masure qui vous rappelle à toute heure de si tragiques souvenirs?

      – Où voulez-vous que j'aille? Je n'ai jamais habité d'autre maison. Je me trouve bien où je suis née. Je ne suis pas loin de l'église pour dire mes prières, et, quant à mon pauvre papa, je ne veux pas l'oublier.

      Je trouvai une certaine grandeur d'âme dans cette stupidité de caractère, et, bien que cette fille de seize ans, qui paraissait en avoir vingt-cinq, n'exerçât sur mes sens aucune espèce de fascination, je me promis de la servir malgré elle du mieux que je pourrais.

      – Est-ce que vous reviendrez? me dit-elle en me reconduisant jusqu'au bas de l'escalier.

      – Si cela peut vous être utile, oui.

      – Ne revenez pas, reprit-elle sans aucun embarras. Je vous remercie d'être venu; mais, une autre fois, si vous avez quelque chose à me dire, il faudra m'envoyer le vieux Pasquali.

      – Ou vous écrire?

      – Oh! c'est inutile, reprit-elle en souriant sans confusion aucune, je ne sais pas lire!

      Je m'en allai stupéfait. Je venais de voir un être tout exceptionnel probablement, et comme une anomalie de type et de situation. Je m'expliquai ce phénomène en me rappelant que c'était la fille d'une sorte d'esclave amenée par un Turc ou un Persan à Marseille, et d'un homme atteint peut-être depuis longtemps de la monomanie la plus sinistre. Je m'expliquai pourquoi Pasquali m'avait dit d'elle:

      «C'est une grosse endormie.» Pourtant cette endormie avait un ami de cœur, un amant peut-être. N'était-ce pas à lui d'arranger ses affaires et de veiller sur son sort? Il la négligeait, au dire de la négresse; mais il ne l'abandonnait pas, puisqu'il était jaloux et que je ne devais pas revenir.

      Je quittai avec empressement cette lugubre bastide, et je ne me retournai pas pour la regarder. J'étais bien sûr de la trouver plus hideuse depuis que je savais la catastrophe dont elle avait été le théâtre, et que sans doute elle avait provoquée en partie par sa laideur. Il est des lieux qu'on n'habite pas impunément. Je me croisai dans le sentier avec le fermier ou régisseur de mademoiselle Roque et sa fille, assez jolie, vêtue de haillons immondes comme toutes les paysannes des environs. Il m'aborda en me demandant si j'étais le propriétaire de la moitié qu'il cultivait encore, et si je voulais le garder. Je lui demandai s'il avait un bail; mais il me répondit d'une façon évasive ou préoccupée. Lui aussi semblait atteint de spleen ou d'imbécillité. Sa fille prit pour lui la parole.

      – Mon père ne comprend pas beaucoup le français, dit-elle d'une voix glapissante; il ne sait que le provençal. Pauvre homme, il est en peine et nous de même! Nous avons perdu la pauvre maman il y a quinze jours. Pauvres de nous! elle nous fait bien faute, elle avait du courage, oui. Il n'y a plus que nous pour servir la demoiselle et la vieille sorcière noire, qui n'est plus bonne à rien. C'est de l'ouvrage, allez! des femmes qui ne s'aident non plus que deux pierres! Et aller aux champs, et tout faire, et gagner si peu! Bonsoir, monsieur, il faudra avoir égard à nous, qui sommes les plus à plaindre!

      Après


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