Tamaris. Жорж Санд

Tamaris - Жорж Санд


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M. Aubanel venir à ma rencontre.

      – Retournons, me dit-il; vous voilà, sans le savoir, tout près de votre propriété; je vais vous y conduire.

      – Oh! grand merci! m'écriai-je, j'en viens, et j'en ai assez!

      Et je lui racontai mon aventure, sans lui parler de ce que je croyais devoir lui taire; mais il me prévint.

      – Ne vous inquiétez pas tant de sa position, me dit-il; mademoiselle Roque a une liaison. J'en suis sûr à présent, la fille de son fermier a causé avec la femme du mien. On ne sait pas encore le nom du personnage. Il vient, le soir, bien emmitouflé; mais, quoiqu'il ne soit pas très-assidu, il paraît qu'il a l'intention d'acheter votre part pour la lui donner. Attendez les événements, et ne vous montrez pas trop coulant avant de savoir à qui nous avons affaire. Or donc, venez vous reposer chez moi et vous rafraîchir.

      Au bas de la colline de Tamaris, nous vîmes accourir Paul, l'enfant de la charmante locataire de M. Aubanel. Il se jeta dans mes bras, et je le portai jusqu'en haut en excitant son babil. Il était beau comme sa mère, aimable et sympathique comme elle. Aubanel me fit l'éloge de madame Martin, dont il était déjà l'ami, disait-il. Aimable et sympathique lui-même, il pouvait être cru sur parole; mais je remarquai qu'en prononçant son nom, il eut un certain sourire de réticence: elle ne s'appelait pas réellement madame Martin, cela devenait évident pour moi.

      Comme je souriais aussi, il ajouta:

      – Vous croyez donc qu'elle ne s'appelle pas Martin?

      – Vous ne le croyez pas plus que moi.

      – C'est vrai, je sais son nom; mais j'ai promis de ne pas le dire.

      Il me fit entrer dans le pied-à-terre qu'il s'était réservé dans sa maison et qui avait une entrée du côté opposé aux appartements de sa locataire.

      – Savez-vous, me dit-il en me forçant à boire du vin de Chypre, que votre ami la Florade est déjà venu faire l'Almaviva sous les fenêtres du rez-de-chaussée? Mais il a perdu son temps, et le voisin Pasquali s'est fièrement moqué de lui!

      – C'est donc un séducteur, ce lieutenant?

      – Eh! oui, et dangereux même!

      – Ce n'est pourtant pas un roué, je vous jure; il a trop de cœur et d'esprit…

      – C'est pour cela. Je le sais bien, qu'il est charmant, et il a un grand attrait pour les femmes, c'est qu'il les aime toutes.

      – Toutes?

      – Toutes celles qui sont jolies.

      – Et il les aime toutes à la fois?

      – Ça, je n'en sais rien. On le dit, mais j'en doute; seulement, je sais que la succession est rapide, et qu'il s'enflamme comme l'étoupe.

      – Mais vous pensez que madame Martin…?

      – N'est pas pour son nez, je vous en réponds!

      – Elle est trop haut placée?..

      – Vous voulez me faire parler, vous n'y réussirez pas!

      – Est-ce que j'insiste?

      – Non; mais vous courez des bordées autour de moi; or, je suis un rocher, vous ne pourrez pas m'attendrir.

      M. Aubanel était vif et enjoué, et le secret n'avait sans doute pas une grande importance, car il mourait d'envie de me le confier; mais, au moment de profiter de l'occasion, je m'arrêtai, saisi d'un respect instinctif pour cette femme que j'avais vue un quart d'heure et qui m'avait pénétré de je ne sais quel enthousiasme religieux.

      Aubanel remarqua ma réserve subite, s'en amusa, et prétendit que j'étais amoureux d'elle.

      – Je ne crois pas, répondis-je en riant; pourtant, depuis que vous me faites pressentir qu'elle appartient à une région inaccessible, je ne suis pas assez fou pour souhaiter de la revoir souvent, et j'aime autant…

      – Vous sauver chez Pasquali? Il est trop tard, mon cher, et vous êtes perdu, car la voilà!

      Elle accourait pâle et agitée. Paul venait de se blesser en jouant. Une pierre lui avait foulé un doigt. J'y courus. L'enfant gâté criait et pleurait.

      – Oh! quel douillet! lui dis-je en le prenant sur mes genoux. Regardez donc comme maman est pâle!

      – Il se tut aussitôt, regarda sa mère, comprit qu'elle souffrait plus que lui, m'embrassa et m'abandonna sa petite main, qui n'était que légèrement blessée. Je le pansai, et, avant la fin du pansement, il s'agitait déjà sur mes genoux pour retourner à ses jeux.

      Madame Martin nous retint au salon, Aubanel et moi, comme pour nous prouver que son système de claustration ne nous concernait pas. Cette femme si rigidement ensevelie avait une grande effusion de cœur quand elle se sentait avec de bonnes gens. Elle était même gaie, et le sourire était attendrissant sur cette physionomie mélancolique. Elle semblait faite pour la vie intime et les joies de la famille. D'où vient donc qu'elle était seule au monde avec son fils?

      Au bout d'un quart d'heure, Aubanel, qui était forcé de retourner à Toulon, me proposa de m'y conduire dans sa voiture. Je le remerciai; je voulais descendre au rivage pour rendre visite au bon M. Pasquali. Je pris congé en même temps que lui de madame Martin, sentant bien qu'il serait indiscret de rester davantage. Elle me retint. Aubanel se retira en me lançant un coup d'œil malin qui n'avait rien d'offensant pour elle; mais elle ne le vit pas: toute légèreté était si loin de sa pensée!

      – Docteur, me dit-elle quand nous fûmes seuls, pouvez-vous me trouver un professeur pour mon fils? Aubanel et Pasquali n'en connaissent pas un dont ils puissent me répondre, car il me faut un être parfait, pas davantage! Je sais que vous n'êtes pas du pays; mais vous avez fait vos études à Paris, vous avez voyagé ensuite: peut-être connaissez-vous quelque part un honnête homme pauvre, instruit et bon, qui viendrait demeurer dans mon voisinage et qui tous les jours consacrerait deux ou trois heures à mon fils? Puisque je demeure ici … c'est l'histoire du grec et du latin, vous savez; pour le reste, je m'en charge.

      – J'espère trouver cela, et je vais m'en occuper tout de suite.

      – Comme vous êtes bon!.. Attendez! je l'aimerais plutôt vieux que jeune.

      – Vous avez raison.

      – Pourtant, si c'était un homme sérieux!.. Mais dans la jeunesse c'est bien rare, et puis ça ferait causer, et, bien que je me soucie peu des propos, il est inutile de devenir un sujet d'attention ou de risée quand on peut se faire oublier dans son coin.

      – Il me paraît difficile qu'on vous oublie, et je m'étonne de la tranquillité dont vous jouissez.

      – On est toujours tranquille quand on veut l'être. Pourtant j'ai à me débattre un peu contre mon ancien monde!

      – Votre ancien monde?

      – Oui, un monde avec lequel je n'ai pas de raisons pour rompre, mais dont j'aimerais à me délier tout doucement. Je ne suis pas madame Martin, je suis la marquise d'Elmeval.

      – Ah! mon Dieu, oui! Je vous reconnaissais bien! Je vous ai vue … une seule fois … un instant, chez…

      – Oui, oui, vous me connaissiez de vue, j'ai vu cela dans vos yeux l'autre jour. Je ne fais réellement pas mystère de mon nom; mais j'ai beaucoup de personnes de ma connaissance à Hyères, à Nice, à Menton et sur toute la côte, sans compter celles qui vont en Italie ou qui en reviennent. Toulon est un passage: je l'ai choisi parce que ce n'est pas la mode de s'y arrêter; mais, à force de venir me voir en passant on ne me laisserait plus seule, et que de questions, que de persécutions pour m'arracher à cette solitude! Vous savez! les gens qui ne comprennent la campagne qu'avec la vie de Paris ou la vie de château! On me trouverait bizarre d'avoir les goûts d'une bourgeoise; peut-être irait-on jusqu'à me traiter d'artiste, c'est-à-dire de tête folle, ou bien l'on supposerait que j'ai quelque intérêt de cœur bien mystérieux pour vivre ainsi dans une villa de troisième ordre, loin de toute région adoptée par la mode. – Et toutes ces questions, toutes ces insinuations,


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