Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau


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gens des environs qui le connaissaient l’assaillaient de questions indiscrètes.

      De tous côtés Paris signait des pétitions en faveur de son maire. Il y en eut une, celle des ouvriers du bâtiment, qui réunit quarante mille signatures. On en faisait circuler une dans notre quartier: j’y mis mon nom, et nos trois garçons, ne sachant pas écrire, y apposèrent leur croix.

      Pour un empire je n’aurais pas manqué la séance où Pétion parut à la barre de l’Assemblée.

      Il s’avança la tête haute. Jamais homme ne ressembla moins à un accusé qui vient se disculper.

      «Mon crime, commença-t-il, est d’avoir empêché le sang de couler…»

      On ne le laissa pas poursuivre…

      Il avait été disgracié par la cour, l’Assemblé l’admit aux honneurs de la séance, et décréta «que le maire de Paris serait rétabli dans ses fonctions, et que le pouvoir exécutif serait tenu d’exécuter le décret dans la journée même.»

      C’était le 13 juillet 1792.

      Le lendemain allait avoir lieu la fête de la Fédération.

      Instituée pour perpétuer le souvenir de la prise de la Bastille, cette fête du 14 juillet inspirait aux meilleurs patriotes les plus vives appréhensions.

      Paris était alors comme un baril de poudre, et chacun sentait bien qu’il suffirait de la moindre étincelle pour déterminer une formidable explosion.

      Or, quel serait le résultat d’une explosion?.. C’est ce que nul n’était capable de dire avec quelque certitude.

      Qui pouvait garantir que l’ivresse ne tournerait pas à la fureur et qu’on ne compromettrait pas en un jour le patrimoine précieux des libertés conquises!

      Ce qui augmentait l’anxiété, c’était la présence à Paris d’un certain nombre de Fédérés de la province.

      Les cinq cents Marseillais qu’on attendait n’étaient pas arrivés encore, mais il était venu des Bretons et des Lyonnais.

      Presque tous étaient jeunes et brûlants d’un enthousiasme chauffé à blanc par les démonstrations patriotiques dont ils avaient été l’objet tout le long de leur route.

      Ils étaient logés, quelques-uns chez des patriotes, le plus grand nombre rue de la Pépinière, à l’ancienne caserne des gardes françaises.

      Déjà, depuis quelques jours, on les rencontrait par bandes dans les rues. Ils se promenaient, hantaient les clubs et se multipliaient si bien qu’on les eût cru dix mille.

      Déjà, même, ils avaient occasionné quelques rires.

      Le soir du 13 juillet précisément, huit ou dix d’entre eux voulurent tout casser chez le restaurateur Cerni, dont l’établissement faisait le coin de la rue des Moulins. Il est juste d’ajouter qu’ils avaient été imprudemment provoqués.

      Trouvant mauvais le vin qu’on leur servait, ils en avaient demandé de meilleur, et Cerni leur avait répondu qu’il en avait, mais qu’il le gardait pour les Prussiens.

      C’est notre voisin l’épicier qui, ayant été témoin de l’algarade, accourut nous la raconter.

      Il trouva chez nous cinq ou six commerçants de la rue, qui agitaient la question de savoir s’ils ouvriraient leur boutique le lendemain.

      En digne femme de Jean Coutanceau ma mère dit:

      – Je ne fermerai pas, quoi qu’il arrive, un boulanger ne doit jamais fermer.

      Mais son courage n’alla pas jusqu’à me donner, tout d’abord, la permission d’aller voir la fête.

      Elle ne pouvait oublier que l’année précédente, le 27 juillet, le Champ-de-Mars avait été le théâtre d’une collision sanglante.

      – Que veux-tu aller faire là, me répétait-elle; tu es encore trop jeune, ce n’est pas ta place…

      Cependant, j’insistai tant qu’elle finit par céder, mais à la condition que je me ferais accompagner de notre premier geindre, et que je ne le quitterais pas…

      Ce geindre, nommé Fougeroux, âgé d’une quarantaine d’années, était chez nous depuis vingt ans, et faisait en quelque sorte partie de la famille. Il mangeait à notre table, logeait dans notre maison, et c’était ma mère qui raccommodait ses hardes.

      C’était un hercule, avec des épaules larges comme un dressoir, et des bras qui, à battre la pâte, avaient pris des proportions véritablement colossales.

      Son intelligence n’était pas très développée et il était têtu comme une mule, mais il était honnête et bon.

      Dire qu’il nous était dévoué serait dire trop peu. Son affection pour mon père, pour ma mère et pour moi surtout, qu’il avait vu naître, tenait du fanatisme. Quand il avait parlé de son jeune bourgeois, il n’y avait plus qu’à tirer l’échelle. Et malheur à qui se fût avisé de ne me point trouver parfait.

      Avec cela, Fougeroux était un déterminé sans-culotte. Les affaires publiques le préoccupaient à un degré d’autant plus étonnant qu’il n’avait pas la plus vague idée de la révolution qui s’opérait. Son incessant désespoir était de n’avoir jamais pu apprendre à épeler ses lettres. Aussi n’était-il sortes de cajoleries qu’il ne me fît pour me déterminer à lui lire le journal.

      Je lui lisais souvent, amplement payé de ma peine par le plaisir que j’avais à le voir écouter bouche béante et les yeux écarquillés, tout ces mots qui se suivaient, auxquels il ne comprenait absolument rien mais qui l’enchantaient.

      Son autre passion, dès qu’il avait une heure de libre, était de courir à une guinguette du quartier, où on serinait, à raison de deux sous la séance, des chansons patriotiques, la Carmagnole ou Ça ira

      L’idée de m’accompagner ne pouvait manquer de ravir Fougeroux.

      – Je réponds de lui, bourgeoise, dit-il à ma mère, en retroussant ses manches, pour montrer ses bras d’athlète, geste qui lui était familier.

      Et en effet, le lendemain, 14 juillet, sur les six heures du matin, nous nous mîmes en route après avoir mangé une bouchée.

      Nous nous attendions à trouver les rues pleines de monde; point. Jamais je n’avais vu Paris si morne.

      Nul bruit; pas de marchands comme d’habitude, ni laitières, ni maraîchers, pas un garçon de boutique lavant le seuil de sa maison.

      A peine, de loin, en loin, apercevions-nous un petit groupe de bourgeois suivant le même chemin que nous…

      Lorsque nous arrivâmes au Champ-de-Mars, ou au Champ de la Fédération, comme on disait alors, il était absolument vide.

      Fougeroux n’en revenait pas.

      – Et dire, répétait-il, qu’il y a deux ans à pareille date, dès quatre heures du matin, la foule était si drue, que si on eût jeté une épingle en l’air, elle ne serait pas tombée par terre.

      Pour la première fois de ma vie, mes amis, j’allais assister à une grande solennité populaire. J’étais ému. Tout, dans cette journée, devait me frapper extraordinairement. Soixante-dix-huit ans se sont écoulés depuis, eh bien! il n’est pas un détail de cette fête de la Fédération qui ne soit présent à ma mémoire, comme si elle datait hier.

      Sur des monticules de sable disposés en cercle, on avait monté quatre-vingt-trois petites tentes, ombragées chacune d’un peuplier.

      C’était le symbole des quatre-vingt-trois départements, c’était la France entière, campant en présence de l’ennemi.

      Deux bourgeois, qui examinaient comme nous, ne comprirent pas cette idée, ou ne l’approuvèrent pas, car il y en eut un qui dit tout haut:

      – On aurait dû, pendant qu’on y était, planter quarante-quatre mille peupliers, pour figurer les quarante-quatre mille municipalités…

      Il


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