La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt

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      La maison d'un artiste, Tome 2

      CABINET DE TRAVAIL

(Suite)

      Après la cheminée, le mur reprend avec la littérature, avec la poésie.

      Avouons-le franchement, la poésie du temps ne vaut quelque chose que par les estampes des dessinateurs qui l'ont illustrée. Parlons donc des poètes à images.

      C'est en première ligne Dorat et ses Baisers et ses Fables, et ses petits poèmes, avec ses illustrateurs ordinaires, Eisen et Marillier.

      Puis, prenant au hasard dans la rangée de livres, il nous tombe sous la main la «Pucelle d'Orléans», avec les figures de Gravelot; les insipides «Héroïdes» de Blin de Sainmore à la pompeuse illustration; les trois volumes des «A-propos de société», où Moreau a fait tenir de si charmantes sociétés dans des carrés, grands comme une carte de visite; les «Saisons» de Saint-Lambert, avec les figures de Leprince et les en-tête de Choffart; «Mon Odyssée», décorée de dessins de Desfriches, gravés par Cochin, qui a dessiné incontestablement les figures des dessins; le rare petit poème, intitulé: «les Bienfaits du Sommeil», dont les Moreau sont si finement gravés par De Launay; les «Historiettes ou nouvelles en vers», par M. Imbert, dont le titre est à la fois dessiné et gravé par Moreau; les «Idylles» de Berquin, aux mièvres petites images, se payant aujourd'hui un prix si déraisonnable; le «Temple de Gnide» mis en vers par Colardeau, avec les estampes d'après Monnet; les «Amusements d'un Convalescent», dont le frontispice de Gravelot est la merveille des frontispices passés, présents et à venir; les «Quatre Heures de la toilette des Dames», poème dédié à la princesse de Lamballe, et princièrement illustré de vignettes et de culs-de-lampe de Leclerc; enfin un exemplaire des «Chansons de la Borde», en veau, il est vrai, mais payé 25 francs, et chez Sieurain, – il y a trente ans.

      Gardons-nous de passer sous silence, parmi ces livres, l'édition de 1760, des «Poésies de M. Sedaine», qui renferme le rare et artistique portrait du poète et de l'ami, gravé par Gabriel de Saint-Aubin.

      Et n'oublions pas encore les méchants vers badins du Joujou des demoiselles, aux deux titres dessinés par Eisen, et dont chaque page a un en-tête gravé; et les méchants vers polissons du Bijou de Société ou l'Amusement des Grâces, A Paphos, l'An des plaisirs: petits volumes au texte gravé, aux eaux-fortes maladroites.

      Mais il faut encore donner place ici à ces almanachs chantants, qui font rage aujourd'hui, à ces almanachs illustrés de minuscules vignettes anonymes, mais souvent spirituelles, et qui s'appellent de ce titre: Calendrier de Paphos, ou bien de cet autre: la Fleur des plaisirs, «Étrennes chantantes à la mode, dédiées aux Grâces, enrichies de figures, et suivies du gazetier chantant avec tablettes économiques, Perte et Gain, petit secrétaire à l'usage des dames. Chez le sieur Desnos.» L'un de ces petits volumes intitulé: les Délices de Cérès, contient des vues de promenades, des bals de Paris, du Salon de peinture.

      Après les poésies, les romans. Ils sont nombreux, les romans, et nombreux dans tous les genres. J'en cite, un peu au hasard, quelques-uns:

      «La Vie de Marianne, ou les Aventures de madame la comtesse de *** par M. de Marivaux»: un roman publié en 1731, en ces années où la critique professait que, seules, les aventures de la noblesse pouvaient intéresser le lecteur, et où l'auteur avait le courage de dire dans sa préface: «Il y a des gens qui croient au-dessous d'eux de jeter un regard sur ce que l'opinion a traité d'ignoble, mais ceux qui sont un peu plus philosophes, qui sont un peu moins dupes des distinctions, que l'orgueil a mis dans les choses de ce monde, ces gens-là ne seront pas fâchés de voir ce que c'est que l'Homme dans un cocher, et ce que c'est que la Femme dans une petite marchande.»

      De Crébillon fils, les éditions originales du Hasard du coin du feu et de la Nuit et le Moment, ces analyses parlées, et dans la langue la plus subtile qui soit, des mouvements de l'âme de l'homme et de la femme du temps, ces jolies et spirituelles révélations de l'infiniment secret des tentations des sens et des caprices de cervelle de la créature des vieilles civilisations, ces petits romans de génie qui, un jour, prévaudront sur tout le fatras officiel du temps, et auxquels M. Villemain n'a pas même accordé l'honneur de nommer leur auteur, dans son «Cours de littérature du dix-huitième siècle».

      Et les romans philosophiques, parmi lesquels est un exemplaire d'Imirce, ou la Fille de la Nature, 1764, par Dulaurens, un exemplaire aux armes et aux initiales de Groubentall, l'ami et le collaborateur de Dulaurens, avec une grande note de sa main, nous apprenant que l'auteur du livre était encore en prison le 5 juillet 1790, et que sa captivité l'avait rendu fou.

      Et les romans historiques ou plutôt demi-historiques, dont un des plus curieux est: «Mémoires du chevalier de Ravanne, page de S. A. le duc régent et mousquetaire, Londres 1781», quatre petits volumes Cazin, reliés en maroquin rouge.

      Et les romans militaires nous renseignant sur la vie des garnisons et des camps, et nous initiant aux conquêtes du soldat en France et à l'étranger, comme les: «Exploits militaires et galants des officiers de l'armée de France, en Allemagne… Amsterdam, 1742», ou comme: «l'Académie militaire, ou les Héros subalternes, Amsterdam 1777», quatre volumes ornés de vignettes, que je crois de Lepaon.

      Et les romans de mœurs, où dans le tas je retire: «le Noviciat du marquis de ***, ou l'Apprentif devenu maître à Cythère, avec l'approbation de Vénus, 1747», petit roman rare qui raconte joliment les timidités et les embarras ingénus d'un premier amour; l'Amour décent et délicat, ou le Beau de la galanterie. A la Tendresse, chez les Amans, 1760; les Spectacles nocturnes, Londres 1756, donnant des détails sur la vie des petites maisons; «le Soupé, ouvrage moral. Londres», roman qui a toute la charmante désinvolture d'un style aujourd'hui perdu; «les Dialogues moraux d'un petit maître philosophe et d'une femme raisonnable, Londres 1774», dialogues descendant des dialogues de Crébillon fils; les Succès d'un fat, 1764, pourtraiturant l'homme auquel les femmes font la cour, et auquel elles sont reconnaissantes de l'honneur qu'il leur fait de publier, qu'il les a conquises; la Jolie Femme, ou la Femme du jour, 1769, avec son coquet titre, dont l'encadrement enferme une table à toilette; la Parisienne en province, 1769, petit livre rendant l'étonnement naïf de la femme de la capitale devant cette nature de campagne, où il n'y a pas le moindre boulingrin, et qui dit, à l'aspect de paysans conduisant une charrue: «Ah! ils labourent, je m'en étais un peu doutée; voilà donc le labourage! Il y a si longtemps que j'étais curieuse de voir labourer!» les Lauriers ecclésiastiques, ou Campagnes de l'abbé T***. «A Luxuropolis. De l'Imprimerie du clergé, 1777», récit voluptueux et espiègle par un petit-collet, de la défaite de soubrettes possédant de l'éducation et l'ensemble de visage le plus frais, de marquises au pied de la délicatesse la plus achevée, de présidentes bien en chair, d'adorables duchesses ayant le diable au corps; «l'Année galante, ou les Intrigues secrètes du marquis de L***, 1785», roman fabriqué avec les aventures de l'Étorière, officier aux gardes; «la Morale des Sens, ou l'Homme du siècle. Extrait des Mémoires de M. le Chevalier de Bar***, rédigés par MM… D. M., Londres, 1792», avec une préface que Béranger semble avoir lue: «Un palais succède à ton taudis: te souviendras-tu alors de nos petits soupers tête à tête, de notre amour, de nos plaisirs. Je dirai, en voyant ta nouvelle métamorphose: Quand j'aimais Babet, nul mortel n'était plus heureux que moi: nous ne possédions que notre amour, et nous n'avions rien à désirer. Quand sa bouche me disait: Je t'aime, son cœur en palpitant me le jurait d'une manière plus touchante. Comme tout est changé!.. quel luxe! quel fracas! Dis-moi, friponne, quand tu seras Émilie, oublieras-tu l'amant de Babet?»

      Deux romans se distinguent de tous ces romans. Le premier, c'est Angola, qui fait deux si ravissants petits volumes, dans l'édition de 1751, ornée des vignettes d'Eisen. Indépendamment de son style alerte et comme pirouettant sur un talon rouge, de sa jolie petite observation ironique à la façon d'un sourire de grande dame, indépendamment de ses croquetons sémillants, ce livre est un document curieux pour l'histoire de la langue; le soulignement de son italique nous conserve tous les néologismes, toutes les phrases que les puristes de 1750 ne voulaient pas accepter, et qui font aujourd'hui partie de la langue courante, parlée par tous. Les puristes de notre temps croiront-ils qu'on regardait alors, comme une audace de dire: chercher chicane, raconter d'un ton lamentable, l'air consterné, chanter à faire peur, caresser son jabot, être exactement informé, une attitude


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