La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt
à prendre la bouillie des mains de nymphes au jupon court.
Viennent ici les ouvrages spirituels, qu'il faut lire cependant: les Lettres de la Fillon, 1751, la Correspondance de madame Gourdan, 1784, et les Canevas de la Paris ou Mémoires pour servir à l'histoire de l'hôtel du Roulle. Ce dernier in-douze mérite qu'on s'y arrête un moment. Il nous montre la maison de prostitution de l'aristocratie et de la finance, avec sa file de carrosses à la porte, sa cour d'honneur, ses remises, ses écuries, son grand salon aux fenêtres ouvertes sur un parterre de fleurs, ses boudoirs aux peintures voluptueuses, ses dégagements, et là dedans la maigre et couperosée Paris1, ayant à ses côtés la Fatime et la Richemont. Il nous donne aussi une liste curieuse, la liste authentique, «des filles roulantes au Palais-Royal» en plein dix-huitième siècle, et qui étaient: la Boismilon, la Dalais, la Mortagne, la Petit, les deux Raton, la Jacquet, la Boufreville, la Dupont, la Delécluse, la Vitry, la Blanchard, la Delaunay, la Pichard, la Duvergier, la Deschamps, la Langlois, la Beaumont, la Désiré, la Dupuis, la Carville, la Rochebrune, la Valois.
C'est maintenant le tour des petits poèmes spéciaux, des «Réclusières de Vénus, 1750», des «Très Humbles Remontrances adressées à Monseigneur le Contrôleur Général, par les Filles du monde», du «Brevet d'apprentissage d'une fille de mode, 1769», du «Testament d'une fille d'amour mourante, 1769», des «Sultanes nocturnes contre les reverbères, 1788», des «Ambulantes à la brune contre la dureté des temps, 1789»: méchants poèmes, détestables vers, qui fournissent une touche de couleur locale, un détail, une expression: c'est ainsi que les «Ambulantes» ont conservé la jolie phrase, avec laquelle les filles attaquaient dans la rue le passant: Petit cœur, petit roi.
Et nous voici arrivés aux romans qui sont tous le même: le saut d'une fille de la bergame et de la coiffeuse au damas et au coiffeur, et dont les moins mauvais sont: «Mademoiselle Javote, histoire morale et véritable», «Histoire nouvelle de Margot des Pelotons, 1775,», l'exemplaire de Pixérécourt, «Margot la Ravaudeuse, 1777», et enfin l'introuvable «Histoire de mademoiselle Brion, dite Comtesse de Launay, honnête P… Imprimée aux dépens de la Société des filles du bon ton, 1783»2.
La Révolution favorise la publication d'une brochure vraiment intéressante pour l'histoire du personnel du Palais-Royal, et de la génération des filles qui succèdent aux filles citées dans «les Canevas de la Paris». C'est la Requête adressée à Monseigneur le duc d'Orléans par les demoiselles de Launay, Latierce, Labacante et autres pour obtenir l'entrée du Palais-Royal qui leur a été interdite. Cette brochure nous donne les noms des abbesses en renom, la Langlois, la Masson, la Labady, le Destival, la Macarre, et, avec les matrones, les signalements des prostituées populaires. La Latierce: figure fine, lèvres rosées, taille svelte, pied pointu, cheveux bruns, front large, main délicate. La Bacchante, baptisée ainsi à cause de sa ressemblance avec une figure de bacchante, exposée au Salon: figure agaçante, jambe leste, chute de taille admirable. La Saint-Maurice: ton badin, figure vive, œil étincelant, voix charmante, démarche fière. Thévenin, dit l'As de Pique: œil bleu, figure large, nez long, gorge plate; et à la suite de ces coryphées de la prostitution, la Blondy, la Delorme à la tête de Maure, la Delorme à la tête de mouton, la Duhamel, Victoire Gobet, la du Have, la Blonde Élancée.
Et, en ces années révolutionnaires, avec l'accroissement de la prostitution amené par la misère, par la ruine de beaucoup de travaux de femmes, et même par la fermeture des couvents, Paris est inondé de brochurettes et de feuilles volantes relatives aux filles. Ce sont les: «Doléances des femmes publiques», les «Lettres de ces dames à monsieur Necker», «l'Arrêté des demoiselles du Palais-Royal, confédérées pour le bien de leur chose publique», la «Ressource qui reste aux demoiselles du Palais-Royal», «l'Œuf de Pâques des demoiselles du Palais-Royal au Clergé», les «Très sérieuses Remontrances des filles à Messieurs de la Noblesse»; petits factums plaisants, où le monde du Camp des Tartares pleure la diminution des revenus de la noblesse et du clergé. La brochurette la plus rare est: La G… en pleurs, ornée d'une figure libre, et classée comme un pamphlet contre Marie-Antoinette3, et qui n'est, dans une langue à la Grécourt, que la lamentation du chœur des filles du Palais-Royal sur leur détresse.
Le titre de cette dernière brochure vous dit le caractère des brochures pornographiques du temps, elles n'ont plus le langage, rien que galant, des livres du dix-huitième siècle, le Père Duchêne a fait son entrée dans la langue de l'amour, et nous avons un terrible spécimen de ce style, dans Dom B… aux États Généraux où l'auteur, sous le voile d'un beau zèle pour le bien public et l'accroissement de la population, bougrifie de la manière la plus ordurière. Et c'est la même langue dans l'Ordonnance de police de Messieurs les Officiers et Gouverneur du Palais-Royal qui fixe le droit et honoraires attachés aux fonctions de filles de joye de la ville. Faut-il aussi parler, à propos des imprimés de ce genre, de l'Almanach des Honnêtes Femmes, qui, sous l'invocation de la fête du Bidet, inscrit des noms de femmes de la société à côté de noms de prostituées. Car, à l'heure des haines politiques, la brochure pornographique devient, des deux côtés, une arme de guerre contre les femmes du parti ennemi, et les six numéros du Petit Journal du Palais-Royal, ou Affiches et Annonces et Avis divers, sont un épouvantable échantillon de cette meurtrière et lâche diffamation. Et pendant la Révolution ce n'est pas seulement la passion politique qui a inscrit dans les listes de prostituées des femmes qui ne le méritaient nullement; ç'a été souvent le sale appétit d'un gain facile, d'un gain meurtrier, ainsi qu'il est arrivé pour ces Étrennes aux grisettes qui ont causé la mort d'une honnête jeune fille du peuple, encataloguée dans la brochure déshonorante4.
Tout en ce temps fournit matière à listes, à catalogues de filles. La Fédération, la grande fête nationale du 14 juillet 1790, fait paraître le Tarif des filles du Palais-Royal et lieux circonvoisins, petit journal qui travaille, en plusieurs numéros, à empêcher «le nombre infini d'étrangers attirés par la fête patriotique», d'être victimes de la vorace cupidité des filles. Et ce tarif est bientôt suivi de l'immonde pamphlet intitulé: les Confédérés V… et Plaintes de leurs femmes aux p… de Paris, où l'écrivain royaliste nomme, parmi les femmes qui ont gâté les députés provinciaux, les épouses des plus célèbres révolutionnaires.
L'année suivante est publié un petit agenda qui a pour titre: Almanach des adresses des demoiselles de Paris, ou Calendrier du Plaisir, contenant leurs noms, demeures, âges, portraits, caractères, talent et le prix de leurs charmes, 1791. Ce sont presque tous les noms des actrices des grands et petits théâtres de Paris, mêlés à des noms de filles du monde et de prostituées du Palais-Royal, avec des indications facétieuses semblables à celles-ci: «Buisson, dite Jeannette, rue de Richelieu; cette nymphe a les plus jolis yeux du monde, la gorge un peu basse, mais passablement ferme. Elle joint à tout cela un joli petit tempérament qui a été fort exercé par son Jeannot (Volange): un souper et 24 livres.» – «Langlade, Palais-Royal, no 35, faisant la renchérie, demandant beaucoup, et se réduisant quand on tient bon à 6 livres5.»
Le dernier document sur la prostitution est un rarissime journal, à la date d'octobre et de novembre 1796, journal qui n'a eu que trois numéros, et qui ne figure dans aucune collection de la Révolution. Il est intitulé: Journal des femmes du Palais ou tableau de l'état physique et moral des femmes publiques, «rédigé par Cars, officier de santé». Le rédacteur dit avoir pour but de tracer «une carte fidèle de la sphère épicurienne», en prémunissant ses concitoyens des dangers cachés, pour leur santé, sous les fleurs de la capitale6; et commence une série de techniques paragraphes sur les charmes de Sainte-Foix, de Boston, de la novice Émée, de l'adorable Rolando, de Julienne qui sort pour la septième fois de l'hospice des Capucins, et de la femme la mieux faite du Palais, de Fanfan, qui ferait bien de remplacer Julienne là d'où elle vient.
Il y a chez moi un certain goût pour les livres des écrivains à l'imagination
1
En 1802 a paru chez Hocquart, en trois volumes, l'ouvrage intitulé: «Les Sérails de Paris, ou Vies et portraits des dames Paris, Gourdan et Montigni et autres appareilleuses.»
2
A ces romans il faut ajouter les recueils de nouvelles très peu historiques qui suivent: Histoire des filles célèbres du dix-huitième siècle, 1781, par Desboulmiers; le Palais-Royal, 1790, par Rétif de la Bretonne; la Confession galante de six femmes du jour, 1797, par Rosny.
3
Cette attribution vient sans doute de cette phrase imprimée au bas du titre: «
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Il a paru aussi dans le même temps un Tableau
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On retrouve, sous l'Empire, quelques-unes des femmes nommées en ce calendrier du plaisir dans la Nouvelle Liste
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En 1769 avait paru une brochure intitulée: Projet raisonné