La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt

La maison d'un artiste, Tome 2 - Edmond de Goncourt


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Mme du Deffand y a toutes ses éditions, et dans l'une sont encartées quelques lettres inédites de sa charmante correspondante, la duchesse de Choiseul, dont je détache celle-ci, relative aux étrennes de porcelaine, qu'elle avait l'habitude de donner à «la chère enfant»:

      Je n'ai pas pu aller souper aujourd'hui chez vous, ma chère enfant, et j'en suis bien fâchée, mais ce qui me fâche bien plus, c'est que je serai peut-être encore quinze jours sans vous voir. On dit que nous ne sortirons de Versailles qu'après les Rois. Je vous envoye d'assez vilaines choses pour vous occuper de moi en attendant. Je voudrais d'ailleurs que vous le fussiez plus agréablement. Je ne mets aucune tournure à mon vilain présent, il n'en vaut pas la peine, puis je suis si bête pour les tournures. Je vous ai demandé, l'autre jour, bien grossièrement ce que vous vouliés pour vos étrennes, vous n'avés jamais eu l'esprit de me le dire. Je vois que tout le monde vous donne, tous les ans, des porcelaines: c'est à cause de cela que je ne devrois pas vous en donner et je vous en donne toujours. Cette année, elles sont affreuses, et je vous en donne plus que jamais, afin que vous ayés des échantillons de tout, et que vous jugiés que, si ce que je vous envoie est affreux, c'est qu'il n'y a rien de joli. Vous avez une tasse de marbre, une de choux et une écuelle. M. de Beauveau ne manquerait pas de dire là-dessus que quand on est bête comme choux, on a beau jeter tout par écuelle, cela n'en est pas moins froid comme un marbre. Je ne suis pourtant pas froide pour vous, ma chère enfant: ainsi, vous ne me trouverés pas si bête, car c'est la chaleur qui fait tout, et sans elle il n'est rien.

      Mme Geoffrin, elle! la placide et apaisée bourgeoise, laisse déborder sa colère, trois pages durant, contre le duc de Montmorency qui n'a ni honneur ni bon sens, à propos de ses intérêts dans la Compagnie des Glaces, où était placée une partie de sa fortune.

      Ainsi défilent toutes les femmes, et toutes sortes de femmes, et le procès de Louise-Antoine Fontaine, condamnée à être attachée au carcan, ayant deux chapeaux comme bigame, voisine avec l'histoire des «Mesdemoiselles de Saint-Janvier, les deux seules blanches sauvées du massacre de Saint-Domingue».

      On trouve, en parcourant ces deux longues planches, où les femmes du passé semblent se tenir, un livre ou un petit bout de papier inédit à la main, on trouve de bien curieux rogatons d'histoire. On trouve le procès-verbal manuscrit de l'ouverture du corps de la Dauphine, mère de Louis XVI, par Tronchin; on trouve le précis en séparation de la comtesse d'Esparbès, la maîtresse aux jolis doigts qui épluchait les cerises de Louis XV; on trouve le fameux pamphlet, imprimé à la brosse, dans une imprimerie secrète: «les Deux Conversations de madame Necker, femme du Directeur-Général des Finances de France. A Genève, chez Cruchaut, 1781», dont l'édition publiée pendant la Révolution n'est qu'une réédition; on trouve le testament olographe de Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d'Orléans, duchesse de Bourbon; on trouve l'extrait imprimé par l'ordre du département de Paris après l'assassinat de Marat, qui peint Charlotte Corday comme une virago malpropre, à la figure érésipélateuse; on trouve la rarissime affiche sur papier bleu de Théroigne de Méricourt aux 48 sections, demandant la formation d'un tribunal de conciliation entre citoyens, composé de femmes. On y trouve, – que n'y trouve-t-on pas? – à côté du billet, où Mme Tallien sollicite l'acteur Mayeur de jouer Dorothée et Bagnolet, on y trouve: la Lettre du Diable à la plus grande P… de Paris. La reconnaissez-vous?

      Là je m'arrête, et ne veux pas revenir sur la masse des volumes du dix-huitième siècle et de la Révolution, dans tous les ordres et dans tous les genres, employés par moi, dans l'histoire que j'ai essayée de ces deux époques.

      Un petit panneau, au retour du mur, est presque entièrement consacré aux livres de théâtre.

      Les almanachs ouvrent la série théâtrale. C'est le rare «Almanach des théatres pour l'année bissextile 1744»; c'est le «Calendrier historique des théâtres de l'Opéra et de la Comédie Françoise et Italienne, 1751», devenu en 1752 «l'Almanach historique et chronologique de tous les théâtres», et qui, sous le titre nouveau: les Spectacles de Paris, va de 1752 à 1815, sauf la lacune de 1794 à 1801; c'est le peu commun «Tableau des théatres, almanach nouveau pour l'année 1748»; c'est «l'État actuel de la musique de la Chambre du Roi et des trois spectacles de Paris», qui, sous un titre un peu modifié, paraît pendant quatorze années»; ce sont «les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, ou calendrier historique et chronologique des théâtres forains», renseignants petits volumes sur les théâtres méprisés par les autres almanachs, une suite, dit-on, de huit calendriers qui ne s'est jamais rencontrée complète, et dont je ne possède que les années 1776 et 1777. C'est enfin «l'Almanach général de tous les spectacles de Paris et des provinces», publié en 1791, et où se trouve seulement la nomenclature des nombreux cafés-concerts de la Révolution.

      A ces almanachs il faut joindre la «Lettre à madame la duchesse de ***, contenant des Observations sur les talens du Théâtre… 1745» et «les Étrennes des Acteurs des Théâtres de Paris… 1747» et les «Étrennes Logogriphes du théâtre… Sipra, 1746» et encore les «Nouveaux Logogriphes… où l'on trouvera les… danseurs, acteurs et symphonistes fameux de la France, 1744»: mauvaises brochurettes en vers, qui, en ce temps si pauvre de renseignements sur le théâtre, contiennent au moins des noms.

      Dans cette série d'almanachs rentre également une réunion de petits livres, almanachs ou autres, où à la nomenclature des noms s'ajoute un peu de critique ou de méchanceté. La Révolution y est représentée par les Miniatures, ou Recherches sur les trois grands spectacles, 1790, et par l'Almanach des grands spectacles de Paris, 1792, qui n'est que «la Chronique scandaleuse des théâtres, Thalicopolis», parue l'année dernière et dont le titre a été changé. Le Directoire grossit cette série par ses «Critique des Acteurs et Actrices des différents théâtres de Paris», ses «Melpomène et Thalie vengées», ses «Revue des Comédiens», ses «Lorgnette de spectacle», ses «Espion des coulisses».

      A ces almanachs et critiques succèdent des journaux, parmi lesquels je ne mentionnerai que le Journal des Spectacles, 1793-1794 (194 numéros), si curieux pour les représentations de la période révolutionnaire, et encore le Journal des Théatres (95 numéros), qui date de la première sans-culottide, an troisième.

      Suit une intéressante réunion sur les costumes de théâtre: «Recherches sur les costumes et sur les théâtres, tant anciens que modernes, par Le Vacher de Charnois, 1802», ouvrage orné de planches en couleur; «les Costumes et Annales des grands théâtres de Paris, 1786», quatre volumes qui contiennent de si charmants portraits d'actrices, en les légers aquarellages gravés par Janinet; «Les Métamorphoses de Melpomène et de Thalie, ou caractères dramatiques des Comédies Françoise et Italienne. Dessiné par Wirsker»; «Collection de figures théatrales, inventées et gravées par Martin, cy-devant dessinateur des habillements de l'Opéra. Chez l'auteur…», un recueil de 20 grandes planches, qui ont reparu plus tard, en mauvaises épreuves, dans l'immense suite des costumes d'Esnauts et Rapilly.

      Au milieu de ces ouvrages à figures, se trouve un manuscrit d'Alceste, ou Mémoire détaillé sur les décorations et habits envoyés à M. de Zibel, pour servir à mettre sur le théâtre de S. M. le Roy de Suède, l'Opéra du Ch. Gluck, au 15 may 1781.» Ce manuscrit est du plus haut intérêt, en ce qu'il donne la description minutieuse des costumes de tous les acteurs, actrices, figurants et figurantes de la pièce. De ce mémoire, qui commence par un grave cours sur le chiton, l'exomide, le xistis, donnons les bons costumes historiques d'Alceste, d'Admète, d'Hercule, d'une Divinité infernale: «Alceste. La tunique de dessus de satin blanc, avec des bordures de satin pourpre, broché d'or, et des émeraudes, ainsi qu'aux bracelets d'or des manches. La tunique de dessous de satin bleu anglais, avec une bande de pourpre, lisérée de deux filets d'or, garnie d'une frange de soye pourpre, d'une forme singulière; et dessous, une dernière tunique de gaze d'Italie avec une petite frange unie de soie blanche. Le voile de gaze très claire, gorge de pigeon. Le manteau de velours bleu, brodé d'or, avec deux glands d'or au devant, doublé de taffetas blanc. Le diadème de pourpre avec franges d'or aux deux bouts. La ceinture de soye verte et or avec des glands. La chaussure formée par des bandes de pourpre. Admète. La tunique de dessus de satin


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