Oeuvres complètes de Guy de Maupassant, volume 08. Guy de Maupassant
fasciné par ce mouvement doux, que coupe sans cesse la brusque convulsion des doigts.
Elles vont ainsi, l’une vers l’autre. Quand elles se rencontrent, leurs mains se touchent; elles semblent frémir; leurs tailles se renversent, laissant traîner un grand voile de dentelle qui va de la coiffure aux pieds. Elles se frôlent, cambrées en arrière, comme pâmées dans un joli mouvement de colombes amoureuses. Le grand voile bat comme une aile. Puis, redressées soudain, redevenues impassibles, elles se séparent; et chacune continue jusqu’à la ligne des spectateurs son glissement lent et boitillant.
Toutes ne sont point jolies; mais toutes sont singulièrement étranges. Et rien ne peut donner l’idée de ces Arabes accroupis au milieu desquels passent, de leur allure calme et scandée, ces filles couvertes d’or et d’étoffes flamboyantes.
Quelquefois elles varient un peu les gestes de leur danse.
Ces prostituées venaient jadis d’une seule tribu, les Oulad-Naïl. Elles amassaient ainsi leur dot et retournaient ensuite se marier chez elles, après fortune faite. On ne les en estimait pas moins dans leur tribu; c’était l’usage. Aujourd’hui, bien qu’il soit toujours admis que les filles des Oulad-Naïl aillent faire fortune au loin par ce moyen, toutes les tribus fournissent des courtisanes aux centres arabes.
Le propriétaire du café où elles se montrent et s’offrent est toujours un nègre! Dès qu’il voit entrer des étrangers, cet industriel s’applique sur le front une pièce de cinq francs en argent, qui tient collée à la peau par on ne sait quel procédé. Et il marche à travers son établissement en jouant férocement de sa flûte sauvage, montrant avec obstination la monnaie dont il s’est tatoué pour inviter le visiteur à lui en offrir autant.
Celles des Oulad-Naïl qui sont de grande tente apportent dans leurs relations avec leurs visiteurs toute la générosité et la délicatesse que comporte leur origine. Il suffit d’admirer une seconde l’épais tapis qui sert de lit pour que le serviteur de la noble prostituée apporte à son amant d’une minute, dès qu’il a regagné sa demeure, l’objet qui l’avait frappé.
Elles ont, comme les filles de France, des protecteurs qui vivent de leurs fatigues. On trouve parfois au matin une d’elles au fond d’un ravin, la gorge ouverte d’un coup de couteau, dépouillée de tous ses bijoux. Un homme qu’elle aimait a disparu; et on ne le revoit jamais.
Le logement où elles reçoivent est une étroite chambre aux murs de terre. Dans les oasis le plafond est souvent fait simplement de roseaux tassés les uns sur les autres et où vivent des armées de scorpions. La couche se compose de tapis superposés.
Les gens riches, Arabes ou Français, qui veulent passer une nuit de luxueuse orgie, louent jusqu’à l’aurore le bain maure avec les serviteurs du lieu. Ils boivent et mangent dans l’étuve, et modifient l’usage des divans de repos.
Cette question de mœurs m’amène à un sujet bien difficile.
Nos idées, nos coutumes, nos instincts diffèrent si absolument de ceux qu’on rencontre en ces pays qu’on ose à peine parler chez nous d’un vice si fréquent là-bas que les Européens ne s’en étonnent ni ne s’en scandalisent même plus. On arrive à en rire au lieu de s’indigner. C’est là une matière fort délicate, mais qu’on ne peut passer sous silence quand on veut essayer de raconter la vie arabe, de faire comprendre le caractère particulier de ce peuple.
On rencontre ici à chaque pas ces amours antinaturelles entre êtres du même sexe que recommandait Socrate, l’ami d’Alcibiade.
Souvent, dans l’histoire, on trouve des exemples de cette étrange et malpropre passion à laquelle s’abandonnait César, que les Romains et les Grecs pratiquèrent constamment, que Henri III mit à la mode en France et dont on suspecta bien des grands hommes. Mais ces exemples ne sont cependant que des exceptions d’autant plus remarquées qu’elles sont assez rares. En Afrique cet amour anormal est entré si profondément dans les mœurs que les Arabes semblent le considérer comme aussi naturel que l’autre.
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