Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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que celle A, de manière à former lambourdes pour recevoir les solives du plancher. L'armature consiste en une pièce de bois courbe assemblée dans la poutre B et reliée à la flèche par deux boulons de fer serrés au moyen de clavettes 16. Nous avons vu aussi, dans des constructions civiles, et entre autres dans l'ancien hôtel de la Trémoille à Paris, élevé pendant les dernières années du XVe siècle, des poutres de planchers d'environ 12m,00 de portée armées, ainsi que l'indique la fig. 40; les deux pièces B B, posées bout à bout, étaient noyées en partie dans l'épaisseur de la poutre A recevant les solives, ainsi que l'indique la coupe en C. Les pièces A et B étaient reliées entre elles par des boulons avec clavettes.

      Un des caractères particuliers à l'art de la charpenterie du moyen âge, c'est sa franchise d'allure, sa connaissance des bois et son respect, dirons-nous, pour leurs propriétés. Les assemblages des charpentes du moyen âge méritent d'être scrupuleusement étudiés; ils sont simples, bien proportionnés à la force des bois ou à l'objet particulier auquel ils doivent satisfaire. La prévision qui fait réserver, dans une longue pièce de bois, certains renforts, certains épaulements qui ajouteront à la force d'un assemblage, le choix des bois ou leur position suivant la place qu'ils doivent occuper, l'attention à ne pas les engager dans les maçonneries mais à les laisser libres, aérés, indiquent de la part des maîtres la connaissance parfaite de leur art, des qualités des matériaux, l'étude et le soin; de même que la pureté et la juste proportion des assemblages indiquent chez les ouvriers une longue habitude de bien faire. Le charpentier du moyen âge n'appelle pas à son aide le serrurier pour relier, brider ou serrer les pièces de bois qu'il met en oeuvre, si ce n'est dans quelques cas particuliers et fort rares; il se suffit à lui-même, et le fer ne vient pas, comme dans les charpentes modernes, suppléer à l'insuffisance ou à la faiblesse des assemblages.

      L'art de la charpenterie est un de ceux auxquels les perfectionnements modernes ont peu ajouté; il était arrivé, pendant le XVe siècle, à son complet développement. Le bois, à cette époque, entrait pour beaucoup dans les constructions civiles, publiques et privées, et les charpentiers formaient une corporation puissante, instruite dans l'art du trait, qui conserva longtemps ses anciennes et bonnes traditions. En effet, des diverses branches de la construction, l'art de la charpenterie se plia moins que toute autre aux idées émises par la renaissance, et pendant le cours du XVIe siècle on suivit, sans presque les modifier, les principes développés au XVe siècle. Un architecte seul apporta une modification fort importante aux systèmes conservés jusqu'alors. Philibert De Lorme inventa le mode de charpente qui a conservé son nom et qui présente de notables avantages dans un grand nombre de cas, en ce qu'il permet de couvrir des vides considérables sans le secours des entraits, sans poussées, et en n'employant qu'un cube de bois relativement très-minime. Nous n'avons pas besoin de développer ici le système adopté par cet artiste; il est connu de tous et encore pratiqué de nos jours avec succès. Nous renvoyons nos lecteurs à son oeuvre si recommandable.

      Pendant le XVIIe siècle, l'art de la charpenterie déclina; les charpentes que cette époque nous a laissées sont souvent mal tracées, lourdes, et exécutées avec une négligence inexcusable après de si beaux exemples laissés par les siècles précédents. Avant la reconstruction de la charpente de la Sainte-Chapelle de Paris, dans ces derniers temps, il était intéressant de comparer la souche de la flèche reposée sous Louis XIV après l'incendie, avec la souche de la flèche de Notre-Dame qui date du XIIIe siècle. Cette dernière est aussi savante dans l'ensemble de sa composition et aussi pure dans son exécution, que celle de la Sainte-Chapelle était barbare sous le rapport de la combinaison et grossière au point de vue de l'exécution.

      Dans le cours de cet ouvrage, nous avons l'occasion de revenir souvent sur les ouvrages de charpenterie. Nous n'indiquons, dans cet article, que certains principes généraux qui font connaître la marche progressive de cet art pendant trois siècles; nous renvoyons nos lecteurs aux mots BEFFROI, ÉCHAFAUD, FLÈCHE, HOURD, MAISON, PAN-DE-BOIS, PLAFOND, PLANCHER, PONT, etc.

       CHÂTEAU, chastel. Le château du moyen âge n'est pas le castellum romain; ce serait plutôt la villa antique munie de défenses extérieures. Lorsque les barbares s'emparèrent du sol des Gaules, le territoire fut partagé entre les chefs conquérants; mais ces nouveaux propriétaires apportaient avec eux leurs moeurs germaines et changèrent bientôt l'aspect du pays qu'ils avaient conquis; le propriétaire romain ne songeait pas à fortifier sa demeure des champs, qui n'était qu'une maison de plaisance, entourée de toutes les dépendances nécessaires à l'exploitation des terres, à la nourriture et à l'entretien des bestiaux, au logement de clients et d'esclaves vivant sur le sol à peu près comme nos fermiers et nos paysans. Quels que soient les changements qui s'opèrent dans les moeurs d'un peuple, il conserve toujours quelque chose de son origine; les citoyens romains, s'ils avaient cessé de se livrer aux occupations agricoles depuis longtemps lorsqu'ils s'établirent sur le sol des Gaules, conservaient encore, dans les siècles de la décadence, les moeurs de propriétaires fonciers; leurs habitations des campagnes étaient établies au centre de riches vallées, le long des cours d'eau, et s'entouraient de tout ce qui est nécessaire à la vie des champs et à la grande culture. Possesseurs tranquilles de la plus grande partie du sol gaulois pendant trois siècles, n'ayant à lutter ni contre les populations soumises et devenues romaines, ni contre les invasions des barbares, ils n'avaient pas eu le soin de munir leurs villæ de défenses propres à résister à une attaque à main armée. Lorsque commencèrent les débordements de barbares venus de la Germanie, les derniers Possesseurs du sol gallo-romain abandonnèrent les villæ pour s'enfermer dans les villes fortifiées à la hâte; le flot passé, ils réparaient leurs habitations rurales dévastées; mais, soit mollesse, soit force d'habitude, ils ne songèrent que rarement à mettre leurs bâtiments d'exploitation agricole à l'abri d'un coup de main. Tout autre était l'esprit germain. «C'est l'honneur des tribus, dit César 17, de n'être environnées que de vastes déserts, d'avoir des frontières dévastées. Les Germains regardent comme une marque éclatante de valeur, de chasser au loin leurs voisins, de ne permettre à personne de s'établir près d'eux. Ils y trouvent, d'ailleurs, un moyen de se garantir contre les invasions subites...» «Les Germains, dit Tacite 18, n'habitent point dans des villes; ils ne peuvent même souffrir que leurs habitations y touchent; ils demeurent séparés et à distance, selon qu'une source, une plaine, un bois, les a attirés dans un certain lieu. Ils forment des villages, non pas comme nous, par des édifices liés ensemble et contigus; chacun entoure sa maison d'un espace vide...» Des trois peuples germaniques qui envahirent les Gaules, Bourguignons, Visigoths et Francs, ces derniers, au milieu du VIe siècle, dominaient seuls toute la Gaule, sauf une partie du Languedoc et la Bretagne; et de ces trois peuples, les Francs étaient ceux qui avaient le mieux conservé les moeurs des Germains 19. Mais peu à peu ce peuple avait abandonné ses habitudes errantes; il s'était établi sur le sol; la vie agricole avait remplacé la vie des camps, et cependant il conservait son caractère primitif, son amour pour l'isolement et son aversion pour la vie civilisée des villes. Il ne faudrait pas se méprendre sur ce que nous entendons ici par isolement; ce n'était pas la solitude, mais l'isolement de chaque bande de guerriers attachés à un chef. Cet isolement avait existé en Germanie, chez les peuples qui se précipitèrent en Occident, ainsi que le prouvent les textes que nous venons de citer. «Lorsque la tribu fut transplantée sur le sol gaulois, dit M. Guizot 20, les habitations se dispersèrent bien «davantage; les chefs de famille s'établirent à une bien plus grande distance les uns des autres: ils occupèrent de vastes domaines; leurs maisons devinrent plus tard des châteaux: les villages qui se formèrent autour d'eux furent peuplés, non plus d'hommes libres, leurs égaux, mais de colons attachés à leurs terres. Ainsi, sous le rapport matériel, la tribu se trouva dissoute par le seul fait de son nouvel établissement... L'assemblée des hommes libres, où se traitaient toutes choses, devint beaucoup plus difficile à réunir...» L'égalité qui régnait dans les camps entre le chef et ses compagnons


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<p>16</p>

Ce renseignement curieux nous a été fourni par M. Alfred Ramé.

<p>17</p>

De bell. Gall., I, VI, c. 23.

<p>18</p>

Demor. Germ., c. 16.

<p>19</p>

Voy. l'Hist. de la civil. en France, par M. Guizot, leçon 8e.

<p>20</p>

Hist. de la civil. en France, leçon 8e.