Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
caractère d'architecture propre à chacune de ces parties. De même que dans la cité tous les édifices étaient marqués au coin de leur destination propre, dans le château, chaque service possédait une physionomie particulière. Cela n'était pas conforme au goût des architectes du XVIIe siècle, mais c'était conforme au goût absolu, c'est-à-dire à la vérité et à la raison. Les anciens ne procédaient pas autrement, et les diverses parties qui composaient une villa romaine n'avaient pas de rapports symétriques entre elles.
Les maisons des particuliers, pendant le moyen âge, soit qu'elles occupassent une grande surface, soit qu'elles fussent petites, laissaient voir clairement, à l'extérieur, leur distribution intérieure. La salle, le lieu de réunion de la famille se distinguaient des chambres et des cabinets par l'ordonnance de ses baies; les escaliers étaient visibles, en hors-d'oeuvre le plus souvent, et si des étages étaient entre-solés, l'architecte ne coupait pas de grandes fenêtres par les planchers. Une façade en pans-de-bois ne se cachait pas sous un enduit simulant la pierre, et les détails étaient à l'échelle de l'habitant. Si des portiques protégeaient les passants, ils étaient assez bas et assez profonds pour les abriter en laissant une circulation facile sous leurs arcades. Avant de songer à faire d'une fontaine un point de vue, on croyait qu'elle était destinée à fournir de l'eau à tous ceux qui en avaient besoin. Avant de faire de l'entrée d'un établissement public une décoration monumentale, on trouvait convenable d'abriter sous un auvent les personnes qui frappaient à la porte. La tâche de l'architecte de goût était donc de donner à toute chose une apparence conforme à l'usage, quitte à appliquer la décoration que comportait chaque partie. L'architecture ne s'imposait pas, elle obéissait; mais elle obéissait comme une personne libre, sans contrainte, sans abandonner ses principes, en mettant ses ressources et son savoir au service des besoins auxquels il fallait satisfaire, considérant, avant tout, ces besoins comme une question dominante.
Pour en revenir à des méthodes conformes au goût, nous avons donc quelque chose à faire, beaucoup à défaire; nous avons à laisser de côté ce que des esprits peu indulgents considèrent comme le pédantisme d'école, une coterie arrivée à la puissance d'une oligarchie tyrannique; nous avons à respecter le vrai, à repousser le mensonge, à lutter contre des habitudes déjà vieilles et considérées par cela même comme respectables; nous avons encore à acquérir cette souplesse dans l'emploi des moyens mis à notre disposition, souplesse qui est un des charmes de l'architecture des anciens comme de l'architecture du moyen âge et de la Renaissance. Un amateur des arts disait un jour devant nous, en admirant fort quelque groupe en terre-cuite de Bouchardon: «C'est l'antiquité, moins la roideur!» Autant de mots, autant d'hérésies en fait de goût. Les terres-cuites de Bouchardon ne ressemblent nullement aux antiques, et la sculpture antique n'est jamais roide. Ce qui est roide, gêné, contraint, c'est, en toute chose, l'imitation, la recherche, la manière. Celui qui sait, celui qui est vrai fait ce qu'il fait avec grâce, avec souplesse, avec goût par conséquent. En architecture, la seule façon de montrer du goût, c'est d'appliquer à propos des principes qui nous sont devenus familiers; ce n'est pas de rechercher l'imitation de formes, si belles qu'elles soient, sans savoir pourquoi on les imite.
GOUTTIÈRE, s. f. Voy. GARGOUILLE.
GRANGE, s. f. Bâtiment rural propre à renfermer les fourrages et les grains. Les moines, qui s'occupaient fort, surtout à dater du XIe siècle, de travaux agricoles, bâtirent un grand nombre de granges soit dans l'enceinte des abbayes, soit dans la campagne. À l'article ARCHITECTURE MONASTIQUE, nous avons donné quelques-uns de ces bâtiments, entourés de murs de clôture, comme le sont aujourd'hui nos fermes. Ces granges étaient en assez grand nombre et généralement bien construites, car il en existe encore plusieurs dans l'Île-de-France, la Normandie, la Champagne et la Touraine, qui datent des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. C'est principalement à la fin du XIIe siècle, au moment où les abbayes, devenues très-riches, s'appliquaient à l'exploitation de leurs terres, que les plus belles granges et les plus vastes ont été élevées. Habituellement elles se composent de trois nefs séparées par deux rangées de piles ou de poteaux supportant une énorme charpente. MM. Verdier et Catiois, dans leur excellent ouvrage sur l'Architecture domestique au moyen âge, en donnent quelques-unes, et entre autres la belle grange monumentale de l'abbaye de Maubuisson, qui date de la première moitié du XIIIe siècle. M. de Caumont, dans son Bulletin monumental 13, signale celles de Perrières, celle d'Ardennes, celles de l'Eure; elles datent des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. L'une des granges de l'abbaye de Longchamps, près Paris, existe encore tout entière; elle date du XIIIe siècle. Nous en donnons le plan (1).
L'entrée est pratiquée sur l'un des grands côtés, en A. Cette entrée se compose d'une porte charretière, avec porte bâtarde à côté; en B est un puits. La fig. 2 présente l'un des pignons renforcés chacun de cinq contre-forts, et la fig. 3 la coupe transversale.
La charpente est exécutée avec le plus grand soin, en beau bois de chêne, à vive arête.
La fig. 4 donne l'une des travées longitudinales 14. Ces granges sont toujours placées sur des terrains abrités, secs, nivelés avec soin, de manière à éloigner les eaux pluviales de la base des murs. Dans le voisinage des châteaux, et même quelquefois dans la bâille, des granges étaient élevées pour recevoir les approvisionnements de fourrages et de grains nécessaires à la garnison.
Les grandes abbayes avaient le soin de bâtir leurs granges sur des terrains entourés de murs de clôture, défendus par des échauguettes et de bonnes portes flanquées. Ces centres de provisions de grains et de fourrages étaient occupés par des moines que l'on détachait temporairement dans ces établissements isolés au milieu des champs, par suite de quelque faute, et pour faire pénitence. Ils étaient habités aussi par des frères convers et par des paysans. Ils contenaient donc des logements disposés près des portes, et, la nuit, les voyageurs pouvaient trouver un gîte dans ces dépendances, signalées au loin par un fanal et le son d'une cloche suspendue au-dessus de l'une des entrées. Peu à peu les granges d'abbayes, avec leurs enceintes et logis, virent se grouper autour d'elles des habitations de paysans, et devinrent ainsi le noyau d'un hameau. Nous avons en France beaucoup de villages qui n'ont pas une autre origine, et qui ont conservé le nom de la Grange. En temps de guerre, les paysans se renfermaient dans l'enceinte et s'y défendaient de leur mieux. À l'instigation de quelque seigneur rival de l'abbaye, il leur arrivait aussi de piller les granges des moines ou d'y mettre le feu, ce qui ne leur était pas d'un grand profit.
Quelquefois ces bâtiments ruraux contenaient des étables à rez-de-chaussée; telle est la belle grange qui existe encore près de l'église de Saint-Martin-au-Bois, dans le département de l'Oise. Le rez-de-chaussée est voûté et est destiné à recevoir des troupeaux; au-dessus, un vaste grenier sert de magasin aux fourrages. Les granges sont elles-mêmes, dans certaines localités, des bâtiments fortifiés, entourés de fossés, flanqués de tours; toutefois cette disposition n'apparaît guère qu'au XVe siècle, c'est-à-dire à l'époque où la campagne, en France, était continuellement ravagée par des bandes de routiers.
GRIFFE, s. f. C'est le nom que l'on donne à un appendice de la base des colonnes pendant une certaine partie du moyen âge. On sait que les bases des ordres ionique et corinthien romains se composent de tores circulaires reposant sur une plinthe carrée (1).
Il résulte de cette disposition que les tores A laissent quatre angles B, découverts, à surface supérieure horizontale, que le moindre mouvement de la colonne fait briser. Nous ne nions pas que la composition de ce détail architectonique ne soit parfaitement classique; mais, cet aveu fait, on nous permettra de considérer cette disposition comme vicieuse, au point de vue de la construction, peu rassurante même pour l'oeil,
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T. XIV, p. 491; t. XV, p. 193, 443 et 492.
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Nous devons ces dessins, relevés avec le plus grand soin, à M. Davioud, architecte de la ville de Paris.