Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
PALISSADE, s. f. Palis, Plaseis, Pel, Peus, Picois. Enceinte formée de pieux fichés en terre et aiguisés à leur partie supérieure.
Beaucoup de bourgades, de villages et d'habitations rurales, manoirs, granges, etc., n'étaient, pendant le moyen âge, fermés que de palissades. Les dépendances des châteaux, basses-cours, jardins, garennes, n'avaient souvent d'autre défense qu'une palissade avec haie vive.
«Là ù li Griu recuevrent de plascis
Fu mult fors li estors et durs li fereis 35;
...
Ne l'puet garir castiaus, tant soit clos de palis,
Fossés, ne murs entor, dognons, ne plascis 36.»
Il était d'usage aussi de planter des palissades au pied des remparts des villes, de manière à laisser entre la muraille et l'enceinte de pieux un espace servant de chemin de ronde, de lice, ainsi qu'alors on appelait ces espaces. C'était un moyen d'empêcher les assaillants de saper le pied des remparts, lorsqu'il n'y avait pas de fossés, de prolonger la défense, et de permettre aux assiégés de faire des sorties. Lorsqu'une troupe investissait un château ou une ville fortifiée, il y avait d'abord de furieux combats livrés pour s'emparer des palissades et des lices, afin de pouvoir attacher les mineurs aux murs, ou faire approcher les galeries et tours roulantes.
«Aportez mei cet pel dont cel chastel est clos:
Com ainz l'arez tolli, ainz sarez à repos 37.
. . .
Li Dus a Herloin mult bien asseuré,
Monsteroil a bien clos, enforchié è fermé.
De pel à hérichon, de mur è de fossé 38.
...
N'i poent pel ne mur remeindre 39.»
Ces ouvrages de bois autour des places avaient souvent une grande importance; ils formaient de véritables barbacanes, ou défendaient de longues caponnières. Les assiégés faisaient du mieux qu'ils pouvaient pour les conserver, car ces palissades forçaient les assaillants à étendre leur contrevallation, permettaient l'entrée des secours et des provisions, et rendaient la défense du haut des remparts plus efficace en ce qu'elle découvrait un champ plus étendu. (Voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, SIÉGE.)
PAN DE BOIS, s. m. Ouvrage de charpenterie, composé de sablières hautes et basses, de poteaux, de décharges et de tournisses, formant de véritables murs de bois, soit sur la face des habitations, soit dans les intérieurs, et servant alors de murs de refend. Aujourd'hui, en France, il est interdit de placer des pans de bois sur la voie publique, dans les grandes villes, afin d'éviter la communication du feu d'un côté d'une rue à l'autre. Par la même raison, il n'est pas permis d'élever des murs mitoyens en pans de bois. Mais jusqu'au dernier siècle, l'usage des pans de bois, dans les villes du Nord particulièrement, était très fréquent. L'article MAISON signale un certain nombre d'habitations dont les murs de face sont en tout ou partie des pans de bois très heureusement combinés. Ce moyen avait l'avantage de permettre des superpositions d'étages en encorbellement, afin de laisser un passage assez large sur la voie publique et de gagner de la place dans les étages supérieurs. Il était économique et sain, car, à épaisseur égale, un pan de bois garantit mieux les habitants d'une maison des variations de la température extérieure qu'un mur de brique ou de pierre. Il n'est pas de construction à la fois plus solide, plus durable et plus légère. Aussi emploie-t-on encore habituellement les pans de bois dans les intérieurs des cours, seulement, au lieu de les laisser apparents, comme cela se pratiquait toujours pendant le moyen âge, on les couvre d'un enduit, qui ne tarde, guère à échauffer les bois et à les pourrir; mais on simule ainsi une construction de pierre ou tout au moins de moellon enduit.
On ne saurait donner le nom de pan de bois aux empilages horizontaux de troncs d'arbres équarris; cette sorte de structure n'appartient pas à l'art du charpentier; on ne la voit employée que chez certains peuples, et jamais elle ne fut admise sur le territoire de la France, à dater de l'époque gallo-romaine. Les Gaulois, au dire de César, élevaient quelques constructions, notamment des murs de défense, au moyen de longrines de bois alternées avec des pierres et des traverses; mais il ne paraît pas que cette méthode ait été employée pendant le moyen âge, et elle n'a aucun rapport avec ce que nous appelons un pan de bois.
Le pan de bois, par la combinaison de ses assemblages, exige en effet des connaissances étendues déjà de l'art du charpentier, et ne se rencontre que chez les populations qui ont longtemps pratiqué cet art difficile. Les Romains étaient d'habiles charpentiers, et savaient en peu de temps élever des ouvrages de bois d'une grande importance. Employant des bois courts comme plus maniables, ils les assemblaient solidement, et pouvaient au besoin s'élever à de grandes hauteurs 40. Les peuples du Nord, et particulièrement des Normands, excellents charpentiers, mêlèrent à ces traditions antiques de nouveaux éléments, comme par exemple l'emploi des bois de grandes longueurs et des bois courbes, si fréquemment usités dans la charpenterie navale; ils adoptèrent certains assemblages dont les coupes ont une puissance extraordinaire, comme pour résister aux chocs et aux ébranlements auxquels sont soumis les navires, et jamais ils n'eurent recours au fer pour relier leurs ouvrages de bois.
Prodigues d'une matière qui n'était pas rare sur le sol des Gaules, les architectes romans, lorsqu'ils élevaient des pans de bois, laissaient peu de place aux remplissages, et se servaient volontiers de pièces, sinon très épaisses, au moins très larges, débitées dans des troncs énormes, et formant par leur assemblage une lourde membrure, n'ayant guère d'espaces vides entre elles que les baies nécessaires pour éclairer les intérieurs.
L'assemblage à mi-bois fortement chevillé était un de ceux qu'on employait le plus souvent à ces époques reculées. On composait ainsi de véritables panneaux rigides qui entraient en rainure dans les sablières hautes et basses. Rarement, à cette époque, plaçait-on des poteaux corniers aux angles, et les pans de bois étaient pris entre les deux jambes-étrières de murs de maçonnerie qui formaient pignons latéralement; en un mot, le pan de bois de face d'une maison n'était qu'une devanture rehaussée de couleurs brillantes cernées de larges traits noirs. Bien entendu, ces constructions, antérieures au XIIIe siècle, ont depuis longtemps disparu, et c'est à peine si, dans quelques anciennes villes françaises, on en trouvait des débris il y a une trentaine d'années; encore fallait-il les chercher sous des lattis récents, ou les recueillir pendant des démolitions. C'est ainsi que nous avons pu, en 1834, dessiner à Dreux, pendant qu'on la jetait bas, les fragments d'une maison de bois, qui paraissait dater du milieu du XIIe siècle. Cette maison, exhaussée au XVe siècle, ne se composait primitivement que d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage en encorbellement et d'un galetas. L'ancien comble, disposé avec égoût sur la rue, n'existait plus, et l'étage du galetas avait été surmonté d'un haut pignon de bois recouvert de bardeaux. Des fenêtres anciennes, il ne restait que les linteaux avec entailles intérieures, indiquant le passage, à mi-bois, des pieds-droits.
Voici (fig. 1) une vue de ce curieux pan de bois, compris entre deux murs formant tête avec encorbellements. Les sablières basses et hautes, les poteaux, étaient des bois de 7 pouces environ (19 centimètres); les jambages des fenêtres, des bois de 15 + 18 centimètres.
Le cintre de la porte se composait de deux gros morceaux de charpente assemblés à mi-bois entre eux et avec les deux jambes. Les solives des planchers reposaient,
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Les charpentiers italiens, notamment à Rome, ont conservé les traditions antiques, et élèvent aujourd'hui, en quelques heures, des échafauds au moyen de chevrons courts et d'un faible équarrissage. Il est impossible de ne pas reconnaître entre ces échafauds et les charpentes figurées sur les bas-reliefs de la colonne Trajane une parfaite identité de moyens.