Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I - Constantin-François Volney


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lorsque les rois investis d'un pouvoir arbitraire eurent cette faculté, leur prudence dut trouver trop dangereux de rétablir une loi qui eût tout bouleversé.

      Ainsi il est constant que depuis Josué jusqu'au temps du roi Sédéqiah, les Juifs n'observèrent point la loi sabbatique, et cela est fâcheux pour la science chronologique, qui eût trouvé dans ce cycle, une mesure précise du temps.

      En résumé de toute notre discussion sur le temps des juges, le lecteur voit qu'au delà du grand-prêtre Héli, le système des Juifs est brisé et dissous; que tout y est vague, incertain, confus, que leurs annales ne remontent réellement d'un fil continu, que jusqu'à l'an 1131; enfin, qu'il est impossible d'assigner, à 20 ou 30 ans près, le temps où Moïse a vécu, et qu'il est seulement permis, par un calcul raisonnable de probabilité, de le placer entre les années 1420 et 1450.

      CHAPITRE V.

      Des temps antérieurs à Moïse et des livres attribués à ce législateur

      MAINTENANT si les Juifs n'ont pu conserver de notions exactes du temps écoulé entre le grand-prêtre Héli et Moïse, ni du temps que dura le séjour de leurs pères en Égypte (car rien n'est clair à cet égard), comment peuvent-ils prétendre avoir mieux connu les temps antérieurs où n'existait pas encore la nation, et qui plus est, les temps où n'existait aucune nation, c'est-à-dire, l'époque de l'origine du monde, à laquelle aucun témoin n'assista, et dont leur Genèse nous fait cependant le récit, comme si l'écrivain en eût eu sous les yeux un procès verbal? Les Juifs nous disent que c'est une révélation faite par Dieu à leur prophète: nous répondons que beaucoup d'autres peuples ont tenu le même langage. Les Égyptiens, les Phéniciens, les Chaldéens, les Perses, ont eu, comme le peuple juif, leurs histoires de la création, également révélées à leurs prophètes Hermès, Zoroastre, etc. De nos jours les Indous ont présenté à nos missionnaires les Vedas et les Pouranas, avec des prétentions d'une antiquité plus reculée que la Genèse même, et que les autres livres attribués à Moïse. Il est vrai que nos savants biblistes rejettent, ou du moins contestent l'authenticité de ces livres; mais quand notre zèle convertisseur présente aux Indous la Bible, qu'aurons-nous à répondre, si les brahmes nous rétorquent nos propres arguments européens? Si, par exemple, ils nous disent:

      «Vous niez l'authenticité et l'antiquité de certains Pouranas et Chastras, par la raison qu'ils mentionnent des faits postérieurs aux dates présumées de leur composition: eh bien! nous nions à notre tour l'authenticité des cinq livres que vous attribuez à Moïse, par cette même raison que nous y trouvons un grand nombre de passages et de citations qui ne peuvent convenir à ce législateur.»

      La question se réduit donc à savoir si cette dernière assertion est fondée en preuve de faits; et c'est une question qui doit se traiter avant toute autre; car le système chronologique antérieur à Moïse, tirant son autorité principale de la supposition que ce prophète en a été le rédacteur, si cette supposition était démontrée fausse, l'autorité du système en serait considérablement affaiblie. De savants critiques ont déjà traité ce sujet44; mais parce qu'ils ne l'ont pas à beaucoup près épuisé, et que surtout ils n'ont pas bien saisi les conséquences qui découlent des preuves, nous allons reprendre la discussion dans ses fondements, et dresser un tableau plus complet qu'aucun autre précédent, de tous les passages du Pentateuque, qui prouvent la posthumité de cet ouvrage relativement à Moïse, et qui indiquent la véritable époque de sa rédaction.

      CHAPITRE VI.

      Passages du Pentateuque, tendants à indiquer en quel temps et par qui cet ouvrage a été ou n'a pas été composé

      1º AU dernier chapitre du Deutéronome on lit un récit détaillé et circonstancié de la mort de Moïse, de son inhumation, et en outre ces phrases singulières: «Personne, jusqu'à ce jour, n'a connu le lieu de sa sépulture, et il ne s'est plus élevé dans Israël de prophète égal à Moïse.»

      N'est-ce pas l'indice saillant d'un long temps déjà écoulé? Personne jusqu'à ce jour… il ne s'est plus trouvé de prophète.

      On nous dit que ce chapitre a été ajouté après coup, qu'il ne fait point corps avec l'ouvrage. Admettons la réponse, parce qu'elle est naturelle et raisonnable; mais comment expliquera-t-on tous les autres passages qui se trouvent au corps du livre, et qui ne sont pas moins incompatibles avec l'hypothèse reçue? Par exemple, le premier chapitre du Deutéronome débute par ces mots: «Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au delà du Jourdain45, dans le désert, etc.»

      On sait que Moïse ne passa point cette rivière, et qu'il mourut dans le désert qui est à son orient46, par conséquent le mot au delà désigne, relativement à Moïse, la rive occidentale, le côté où est Jérusalem. Par inverse, la rive orientale où Moïse mourut, se trouve au delà du Jourdain, relativement au pays de Jérusalem. Donc cette phrase, Moïse mourut au delà, a été écrite du côté de Jérusalem; donc ce n'est point Moïse qui l'a écrite: l'expression au delà se trouve trois autres fois: 1° Deutéronome (chap. 3, vers. 8), l'on fait dire à Moïse: «En même temps que nous enlevâmes à deux rois amorrhéens leur pays situé au delà du Jourdain, entre le torrent Arnon et le mont Hermon.» Puisque Moïse parlait dans ce pays-là même, il était en deçà et non au delà; et la note qu'il joint immédiatement, ne lui convient pas davantage....

      «Or, l'Hermon est appelé Chirin par les Sidoniens, et Chinir par les Amorrhéens.»

      Une telle note ne convient qu'à un auteur posthume, qui explique la nomenclature du temps passé à ses contemporains, qui ne l'entendent plus. Il en est ainsi des versets suivans:

      «4° Et nous prîmes toutes les villes d'Og, roi de Basan, qui était resté seul de la race des Raphaïm ou géans: son lit est encore dans la ville de Rabat-Amon; et je donnai à Jaïr, fils de Manassé, le pays de Basan, qu'il nomma villages de Iaïr, et on les appelle ainsi jusqu'à ce jour

      Et (chap. IV, vers. 21), on lit: «Moïse marqua trois villes au delà du Jourdain, du côté du soleil levant

      Et (idem, versets 45 et 46), «Voilà les lois et statuts que Moïse donna aux enfants d'Israël, après la sortie d'Égypte, dans la vallée de Bethphegor, au delà du Jourdain… Et les enfants d'Israël possédèrent au delà du Jourdain, les pays de, etc., etc.»

      Ces versets, et en général tout ce chapitre, sont évidemment un récit historique écrit long-temps après Moïse, par un rédacteur qui a résidé du côté de Jérusalem, au soleil couchant du Jourdain, et pour qui le soleil levant était au delà; qui parlant des faits anciens, y a joint les explications nécessaires à ses contemporains: poursuivons.

      Dans la Genèse (chap. XII, vers. 6), en décrivant la route d'Abraham, depuis la Mésopotamie jusqu'à Sichem et à la vallée de Moria, il est dit: «Or les Kananéens occupaient alors le pays47 donc ils ne l'occupaient plus au temps de l'historien; donc cet historien écrivait après Josué, qui chassa les Kananéens de ce pays. Donc Moïse n'est pas l'historien.

      Même Genèse (ch. 21, vers. 14), en parlant du lieu où Abraham voulut sacrifier son fils, on lit:

      «Abraham appela ce lieu Iahouh Ierah, c'est-à-dire, «Dieu verra;» d'où est venu ce mot usité jusqu'à ce jour: Sur la montagne Dieu verra.

      Notez ce mot, jusqu'à ce jour; et de plus, comment Abraham a-t-il pu appeler Dieu du nom de Iahouh, quand il est dit (chap. 6 de l'Exode, vers. 3) «que Dieu ne s'était fait connaître à personne avant Moïse, sous le nom de Iahouh…? L'auteur posthume ne se décèle-t-il pas à chaque instant?

      Même Genèse (chap. 14, vers. 14), «Abraham poursuivit ses ennemis jusqu'à Dan.»

      Le Livre


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<p>44</p>

Voyez, entr'autres, le Tractatus Theologico-Politicus, publié en 1665, et l'Histoire critique du Vieux-Testament, in-4°, 1685.

<p>45</p>

Plusieurs traductions latines altèrent ici et ailleurs le vrai sens des mots, et au lieu de dire ultrà, disent in transitu ou in ripâ; mais il est avoué, de tous les hébraïsans, que b'ăber signifie rigoureusement au delà, ultrà.

<p>46</p>

Deut., chap. 4, v. 22, Moïse dit: «Voici que je meurs dans cette terre, et je ne passerai point le Jourdain».

<p>47</p>

Cette phrase est repétée chap. 13, v. 7.