Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer
des Bretons et de leurs familles30, et de toutes les femmes de la Bretagne que la tenue des états réunissait à Vitré31.
On conçoit que madame de Grignan ne manquât pas de communiquer à ses amis les lettres où sa mère se plaisait à lutter avec les beaux esprits ses amis, par la composition de ses devises32; mais rien ne prouve mieux que la licence et le relâchement des mœurs des temps de la Fronde subsistaient encore, que de trouver dans ces mêmes lettres l'aveu du plaisir qu'avait madame de Sévigné à recevoir les visites du marquis de Pomenars, du divin Pomenars, ainsi qu'elle l'appelle, parce que cet homme l'amusait par la gaieté et les saillies de son esprit. Ce gentilhomme breton, effrontément dépravé, passait sa vie sous le coup d'accusations et même de condamnations capitales. Si le roi avait ordonné qu'on tînt en Bretagne les grands jours, comme autrefois en Auvergne et en Poitou, Pomenars n'aurait certainement pas échappé aux châtiments infligés par les juges de ces redoutables assises. Il avait été accusé de fausse monnaie; il fut absous, et paya les épices de son arrêt en fausses espèces33. Il paraît qu'un nouveau procès s'était renouvelé contre lui, peut-être pour ce dernier méfait; et de plus il se trouvait encore poursuivi pour avoir enlevé la fille du comte de Créance. Tout cela ne le rendait pas plus triste, tout cela ne l'empêchait pas de venir aux états, et d'y montrer tant d'audace et d'impudence, que «journellement, dit madame de Sévigné, il fait quitter la place au premier président, dont il est ennemi, aussi bien que du procureur général34.» Il allait chez la duchesse de Chaulnes aux Rochers, partout où il pouvait s'amuser35. Il sollicitait gaiement ses juges avec une longue barbe, parce que, avant de se donner la peine de la raser, il fallait, disait-il, savoir si sa tête, que le roi lui disputait, lui resterait. Il est probable que quand il parlait ainsi, c'est de l'accusation de fausse monnaie qu'il était question. L'autre accusation était d'une nature moins grave. Il s'agissait de la demoiselle de Bouillé, fille de René de Bouillé, comte de Créance, et cousine de la duchesse du Lude; cette demoiselle qui, après avoir vécu quatorze ans avec Pomenars, s'avisa un jour de le quitter, de se rendre à Paris, et de le faire poursuivre pour crime de rapt36. «Pomenars, dit madame de Sévigné à sa fille, qui s'intéressait beaucoup à ce gentilhomme qu'elle connaissait, ne fait que de sortir de ma chambre. Nous avons parlé assez sérieusement de ses affaires, qui ne sont jamais de moins que de la tête. Le comte de Créance veut à toute force qu'il l'ait coupée, Pomenars ne veut pas: voilà le procès37.»
Il fut jugé et condamné par contumace cinq mois après, et fit aux Rochers une nouvelle visite à madame de Sévigné, qui raconte ainsi ce fait à sa fille: «L'autre jour, Pomenars passa par ici; il venait de Laval, où il trouva une grande assemblée de peuple; il demanda ce que c'était: C'est, lui dit-on, que l'on pend un gentilhomme qui avait enlevé la fille du comte de Créance. Cet homme-là, sire, c'était lui-même38. Il approcha, il trouva que le peintre l'avait mal habillé; il s'en plaignit; il alla souper et coucher chez les juges qui l'avaient condamné. Le lendemain, il vint ici se pâmant de rire; il en partit cependant de grand matin le jour d'après39.» Il se rendit ensuite à Paris, et nous le retrouvons assistant à une représentation de Bajazet, où était madame de Sévigné. «Au-dessus de M. le duc, dit-elle, était Pomenars avec les laquais, le nez dans son manteau, parce que le comte de Créance le veut faire pendre, quelque résistance qu'il fasse40.»
Pour qui ne connaît pas ces temps, tout paraît mystérieux dans la vie de ce don Juan breton, et dans l'indulgence dont il était l'objet. Les témoignages d'amitié que ne craignaient pas de lui donner des personnes recommandables sont une chose si étrange, qu'ils ont besoin de quelques explications. Nous apprenons que, huit jours après cette représentation de Bajazet, Pomenars fut taillé de la pierre; qu'il reçut la visite de la duchesse de Chaulnes et de madame de Sévigné. Elle écrit à sa fille: «Madame de Chaulnes m'a donné l'exemple de l'aller voir. Sa pierre est grosse comme un petit œuf: il caquette comme une accouchée; il a plus de joie qu'il n'a eu de douleur; et, pour accomplir la prophétie de M. de Maillé, qui dit à Pomenars qu'il ne mourrait jamais sans confession, il a été, avant l'opération, à confesse au grand Bourdaloue. Ah! c'était une belle confession que celle-là! il y fut quatre heures. Je lui ai demandé s'il avait tout dit; il m'a juré que oui, et qu'il ne pesait pas un grain. Il n'a point langui du tout après l'absolution, et la chose s'est fort bien passée. Il y avait huit ou dix ans qu'il ne s'était confessé, et c'était le mieux. Il me parla de vous, et ne pouvait se taire, tant il est gaillard41.»
On ne peut douter que madame de Sévigné et la duchesse de Chaulnes ne fussent parfaitement instruites de la vie scandaleuse de Pomenars. Madame de Sévigné, quinze jours après la lettre que nous venons de citer, ayant à mander à sa fille cet affreux procès de la Voisin l'empoisonneuse, dans lequel tant de grands personnages se trouvèrent compromis, lui dit: «Pomenars a été taillé; vous l'ai-je dit? Je l'ai vu; c'est un plaisir que de l'entendre parler de tous ces poisons; on est tenté de lui dire: Est-il possible que ce seul crime vous soit inconnu42?»
Ceci nous apprend que Pomenars parlait avec chaleur contre la comtesse de Soissons, dont la fuite prouvait la complicité avec la célèbre empoisonneuse, et que cette ardeur contre de tels coupables étonnait madame de Sévigné, sans que pourtant elle crût Pomenars capable d'un tel crime. Ce qu'elle a dit de lui démontre qu'elle le connaissait depuis longtemps43. Il était probablement, avec Tonquedec, au nombre de ces gentilshommes bretons qui, an temps de la Fronde, fréquentaient sa maison comme amis de son mari, devenus ensuite les siens. Il est évident qu'il était protégé à la cour par des hommes puissants, contre les ennemis qu'il s'était faits dans sa province et contre les juges qui l'avaient condamné. Le procès qui lui fut intenté pour fausse monnaie était ancien, et datait probablement de cette époque où, en haine de Mazarin, tout paraissait permis contre le gouvernement, alors que les auteurs ou complices de tels brigandages ne perdaient pas pour cela la qualification d'honnêtes hommes44. Ce qui me confirme dans cette idée, c'est que madame de Sévigné dit que Pomenars se mettait peu en peine de son affaire de fausse monnaie45.
Louis XIV, qui exilait le mari de madame de Montespan, ne pouvait apprendre avec plaisir que mademoiselle de Bouillé, pour se venger d'un amant dont l'amour était éteint, l'eût fait poursuivre comme ravisseur, et que des juges de province eussent osé prononcer la peine capitale contre un gentilhomme, pour un fait de galanterie avec une femme non mariée.
Lorsque la duchesse de Chaulnes et madame de Sévigné allèrent voir Pomenars à Paris, on lui avait fait grâce ou il avait purgé sa contumace, car madame de Sévigné n'en parle plus. A Vitré et aux Rochers, Pomenars, par sa gaieté, ses manières, son langage, lui rappelait sa folle jeunesse et les aimables factieux d'une époque de joyeux désordres. Pomenars lui avait aidé à supporter les ennuis d'une ville de province et de la tenue des états. Autant elle se plaisait dans ses domaines, dans ses vastes campagnes, au milieu des siens, de ses vassaux, de ses domestiques et de ses paysans, autant elle redoutait les sociétés prétentieuses, les fatigantes formalités, l'insipidité des entretiens, et les ridicules susceptibilités de la province. Femme de cour et châtelaine, elle avait toutes les perfections et les imperfections attachées à ces deux titres: les premières, elle les tenait de son excellent naturel; les secondes, elle les devait à son éducation, au temps où elle vivait, et aux habitudes de toute sa vie. De là ses préférences pour la haute noblesse, pour tous ceux qui vivaient à la cour; son indulgence pour leurs travers, sa sympathie pour leurs vaniteuses prétentions; son dédain pour la petite noblesse, qui singeait gauchement les manières et le langage des
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Conférez la 1re partie de cet ouvrage, chap. XXXV, p. 481.
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