Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires. Constantin-François Volney

Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires - Constantin-François Volney


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jour le chef lui demanda si sa nation était loin du désert, et lorsque Volney eut tâché de lui donner une idée de la distance: «Mais pourquoi es-tu venu ici? lui dit-il.—Pour voir la terre et admirer les œuvres de Dieu.—Ton pays est-il beau?—Très-beau.—Mais y a-t-il de l'eau dans ton pays?—Abondamment; tu en rencontrerais plusieurs fois dans une journée.—Il y a tant d'eau, et tu le quittes!»

      Lorsqu'ensuite Volney leur parlait de la France, ils l'interrompaient souvent pour témoigner leur surprise de ce qu'il avait quitté un pays où il trouvait tout en abondance, pour venir visiter une contrée aride et brûlante. Notre voyageur eût désiré passer quelques mois parmi ces bons Arabes; mais il lui était impossible de se contenter comme eux de trois ou quatre dattes et d'une poignée de riz par jour: il avait tellement à souffrir de la faim et de la soif qu'il se sentait souvent défaillir. Il prit congé de ses hôtes, et reçut à son départ des marques de leur amitié. Le père et le fils le reconduisirent à une grande distance, et ne le quittèrent qu'après l'avoir prié plusieurs fois de venir les revoir.

      Allant de ville en ville, de tribu en tribu, demandant franchement une hospitalité qu'on ne lui refusait jamais, Volney parcourut toute l'Égypte et la Syrie. Il salua ces pyramides colossales, ces majestueuses ruines de Palmyre disséminées comme autant de rochers dans ces mers de sables, et comme les seules traces des nations puissantes qui peuplaient jadis ces plaines immenses, aujourd'hui si arides.

      Observateur impartial et sage, il ne portait jamais de jugements d'après les opinions d'autrui; il voulait voir par lui-même, et il voyait toujours juste, parce que, sans passions et sans préjugés, il ne désirait et ne cherchait que la vérité.

      Il employa trois années à faire ce grand voyage, ce qui paraît un prodige lorsqu'on vient à songer à la modique somme qu'il avait pour l'entreprendre. Il ne l'y dépensa pas tout entière, car à son retour il possédait encore vingt-cinq louis. Quelle sagesse ne lui a-t-il pas fallu pour vivre et voyager trois années entières dans un pays ravagé, où tout se paie au poids de l'or! Mais c'est que Volney fréquentait peu la société des villes; il était presque continuellement en voyage, et il voyageait avec la simplicité d'un philosophe et l'austérité d'un Arabe. Toujours à la recherche de la vérité, il avait renoncé à la trouver parmi les hommes; il suivait avec avidité les traces des temps anciens pour découvrir le sort des générations présentes. Occupé de hautes pensées, il aimait à errer au milieu des ruines, il semblait se complaire au milieu des tombeaux. Là il s'abandonnait à des rêveries profondes. Assis sur les monuments presque en poussière des grandeurs passées, il méditait sur la fragilité des grandeurs présentes; il s'accoutumait à suivre les progrès de la destruction générale, à mesurer d'un œil tranquille cet horrible abîme où vont s'engouffrer les empires et les générations, où vont s'évanouir les chimères des hommes. C'est là qu'il apprit à mépriser ce qu'il appelait les niaiseries humaines, qu'il puisa ces vérités sublimes qui brillent dans ses nombreux écrits, et cette rigidité de principes qui dirigea toujours ses actions.

      Après un voyage de trois années, il revint en Europe, et signala son retour par la publication de son Voyage en Égypte et en Syrie. Jamais livre n'obtint un succès plus rapide, plus brillant et moins contesté. Il valut à son jeune auteur l'estime des gens instruits, l'admiration de ses concitoyens et une célébrité européenne: il en reçut des marques flatteuses.

      Le baron de Grimm ayant présenté un exemplaire du Voyage en Égypte à Catherine II, eut l'obligeante attention de le faire au nom de Volney. L'impératrice fit offrir à l'auteur une très-belle médaille en or; mais lorsque, quelques années après, Catherine eut pris parti contre la France, Volney se hâta d'écrire à Grimm la lettre suivante en lui renvoyant la médaille:

Paris, 4 décembre 1791.

      «Monsieur,

      «La protection déclarée que S. M. l'impératrice des Russies accorde à des Français révoltés, les secours pécuniaires dont elle favorise les ennemis de ma patrie, ne me permettent plus de garder en mes mains le monument de générosité qu'elle y a déposé. Vous sentez que je parle de la médaille d'or qu'au mois de janvier 1788 vous m'adressâtes de la part de S. M. Tant que j'ai pu voir dans ce don un témoignage d'estime et d'approbation des principes politiques que j'ai manifestés, je lui ai porté le respect qu'on doit à un noble emploi de la puissance; mais aujourd'hui que je partage cet or avec des hommes pervers et dénaturés, de quel œil pourrai-je l'envisager? Comment souffrirai-je que mon nom se trouve inscrit sur le même registre que ceux des déprédateurs de la France? Sans doute l'impératrice est trompée, sans doute la souveraine qui nous a donné l'exemple de consulter les philosophes pour dresser un code de lois, qui a reconnu pour base de ces lois l'égalité et la liberté, qui a affranchi ses propres serfs, et qui, ne pouvant briser les liens de ceux de ses boyards, les a du moins relâchés; sans doute Catherine II n'a point entendu épouser la querelle des champions iniques et absurdes de la barbarie superstitieuse et tyrannique des siècles passés; sans doute, enfin, sa religion séduite n'a besoin que d'un rayon pour s'éclairer; mais en attendant, un grand scandale de contradiction existe, et les esprits droits et justes ne peuvent consentir à le partager: veuillez donc, monsieur, rendre à l'impératrice un bienfait dont je ne puis plus m'honorer; veuillez lui dire que si je l'obtins de son estime, je le lui rends pour la conserver; que les nouvelles lois de mon pays qu'elle persécute ne me permettent d'être ni ingrat ni lâche, et qu'après tant de vœux pour une gloire utile à l'humanité, il m'est douloureux de n'avoir que des illusions à regretter.

«C.-F. Volney.»

      Le succès brillant qu'obtint le Voyage en Égypte et en Syrie, ne fut pas de ces succès éphémères qui ne sont dus qu'aux circonstances ou à la faveur du moment. Parmi les nombreux témoignages qui vinrent attester l'exactitude des récits et la justesse des observations, le plus remarquable sans doute est celui que rendit le général Berthier dans la Relation de la campagne d'Égypte: «Les aperçus politiques sur les ressources de l'Égypte, dit-il, la description de ses monuments, l'histoire des mœurs et des usages des diverses nations qui l'habitent, ont été traités par le citoyen Volney avec une vérité et une profondeur qui n'ont rien laissé à ajouter aux observateurs qui sont venus après lui. Son ouvrage était le guide des Français en Égypte; c'est le seul qui ne les ait jamais trompés.»

      Quelques mois après la publication de son voyage, Volney fut nommé pour remplir les fonctions difficiles et importantes de directeur général de l'agriculture et du commerce en Corse; il se disposait à se rendre dans cette île, lorsqu'un événement inattendu vint y mettre obstacle.

      La France, fatiguée d'un joug imposé par de mauvaises institutions, venait de le briser. Le cri de liberté avait fait tressaillir tous les cœurs français, et fait trembler tous les trônes. De toutes parts les lumières se réunissaient en un seul faisceau pour dissiper les ténèbres de l'ignorance. Le peuple venait de nommer ses mandataires, et Volney fut appelé à siéger parmi les législateurs de la patrie.

      Sur une observation que fit Goupil de Préfeln, il s'empressa de donner sa démission de la place qu'il tenait du gouvernement, ne regardant pas, disait-il, un emploi salarié comme compatible avec l'indépendante dignité de mandataire du peuple.

      Il prit part à toutes les délibérations importantes, et, fidèle à son mandat, il se montra toujours un des plus fermes soutiens des libertés publiques.

      Malouet ayant proposé6 de se réunir en comité secret afin de ne point discuter devant des étrangers: «Des étrangers! s'écria Volney, en est-il parmi nous? L'honneur que vous avez reçu d'eux, lorsqu'ils vous ont nommés députés, vous fait-il oublier qu'ils sont vos frères et vos concitoyens? N'ont-ils pas le plus grand intérêt à avoir les yeux fixés sur vous? Oubliez-vous que vous n'êtes que leurs représentants, leurs fondés de pouvoirs? et prétendez-vous vous soustraire à leurs regards lorsque vous leur devez compte de toutes vos démarches et de toutes vos pensées?...... Ah! plutôt, que la présence de nos concitoyens nous inspire, nous anime! elle n'ajoutera rien au courage de l'homme qui aime sa patrie et qui veut la servir, mais elle fera rougir le perfide et le lâche que le séjour de la cour ou la pusillanimité


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Moniteur du 28 mai 1789.