Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1. Constantin-François Volney
Turks, s'attaquer, se détruire et s'expulser tour à tour. Pour éviter la confusion, je réserverai le nom de Turks propres à ceux de Constantinople, et j'appellerai Turkmans ceux qui les précédèrent.
Quelques hordes de Turkmans ayant donc été introduites dans l'empire arabe, elles parvinrent en peu de temps à faire la loi à ceux qui les avaient appelées comme alliées ou comme stipendiaires. Les kalifes en firent eux-mêmes une expérience remarquable. Motazzam63, frère et successeur d'Almamoun, ayant pris pour sa garde un corps de Turkmans, se vit contraint de quitter Bagdad à cause de leurs désordres. Après lui, leur pouvoir et leur insolence s'accrurent au point qu'ils devinrent les arbitres du trône et de la vie des princes; ils en massacrèrent trois en moins de trois ans. Les kalifes, délivrés de cette première tutelle, ne devinrent pas plus sages. Vers 935, Radi-b'ellah64 ayant encore déposé son autorité dans les mains d'un Turkman, ses successeurs retombèrent dans les premières chaînes; et sous la garde des emirs-el-omara, ils ne furent plus que des fantômes de puissance. Ce fut dans les désordres de cette anarchie qu'une foule de hordes turkmanes pénétrèrent dans l'empire, et qu'elles fondèrent divers états indépendants, plus ou moins passagers, dans le Kerman, le Korasan, à Iconium, à Alep, à Damas et en Égypte.
Jusqu'alors les Turks actuels, distingués par le nom d'Ogouzians, étaient restés à l'orient de la Caspienne et vers le Djihoun; mais dans les premières années du 13e siècle, Djenkiz-Kan ayant amené toutes les tribus de la haute Tartarie contre les princes de Balk et de Samarqand, les Ogouzians ne jugèrent pas à propos d'attendre les Mogols: ils partirent sous les ordres de leur chef Soliman, et poussant devant eux leurs troupeaux, ils vinrent (en 1214) camper dans l'Aderbedjân, au nombre de cinquante mille cavaliers. Les Mogols les y suivirent, et les poussèrent plus à l'ouest dans l'Arménie. Soliman s'étant noyé (en 1220) en voulant passer l'Euphrate à cheval, Ertogrul son fils prit le commandement des hordes, et s'avança dans les plaines de l'Asie mineure, où des pâturages abondants attiraient ses troupeaux. La bonne conduite de ce chef lui procura dans ces contrées une force et une considération qui firent rechercher son alliance par d'autres princes. De ce nombre fut le Turkman Ala-el-din, sultan à Iconium. Cet Ala-el-din se voyant vieux et inquiété par les Tartares de Djenkiz-Kan, accorda des terres aux Turks d'Ertogrul, et le fit même général de toutes ses troupes. Ertogrul répondit à la confiance du sultan, battit les Mogols, acquit de plus en plus du crédit et de la puissance, et les transmit à son fils Osman, qui reçut d'un Ala-el-din, successeur du premier, le Qofetân, le tambour et les queues de cheval, symboles du commandement chez tous les Tartares. Ce fut cet Osman qui, pour distinguer ses Turks des autres, voulut qu'ils portassent désormais son nom, et qu'on les appelât Osmanlès, dont nous avons fait Ottomans65. Ce nouveau nom devint bientôt redoutable aux Grecs de Constantinople, sur qui Osman envahit des terrains assez considérables pour en faire un royaume puissant. Bientôt il lui en donna le titre, en prenant lui-même, en 1300, la qualité de soltân, qui signifie souverain absolu. On sait comment ses successeurs, héritiers de son ambition et de son activité, continuèrent de s'agrandir aux dépens des Grecs; comment de jour en jour, leur enlevant des provinces en Europe et en Asie, ils les resserrèrent jusque dans les murs de Constantinople; et comment enfin Mahomet II, fils d'Amurat, ayant emporté cette ville en 1453, anéantit ce rejeton de l'empire de Rome. Alors les Turks, se trouvant libres des affaires d'Europe, reportèrent leur ambition sur les provinces du midi. Bagdâd, subjuguée par les Tartares, n'avait plus de kalifes depuis deux cents ans66; mais une nouvelle puissance formée en Perse, avait succédé à une partie de leurs domaines. Une autre, formée dans l'Égypte, dès le dixième siècle, et subsistant alors sous le nom de Mamlouks, en avait détaché la Syrie et le Diarbekr. Les Turks se proposèrent de dépouiller ces rivaux. Bayazid, fils de Mahomet, exécuta une partie de ce dessein contre le sofi de Perse, en s'emparant de l'Arménie; et Sélim son fils le compléta contre les Mamlouks. Ce sultan les ayant attirés près d'Alep en 1517, sous prétexte de l'aider dans la guerre de Perse, tourna subitement ses armes contre eux, et leur enleva de suite la Syrie et l'Égypte, où il les poursuivit. De ce moment le sang des Turks fut introduit dans ce pays; mais il s'est peu répandu dans les villages. On ne trouve presque qu'au Kaire des individus de cette nation: ils y exercent les arts, et occupent les emplois de religion et de guerre. Ci-devant ils y joignaient toutes les places du gouvernement; mais depuis environ trente ans, il s'est fait une révolution tacite, qui, sans leur ôter le titre, leur a dérobé la réalité du pouvoir.
Cette révolution a été l'ouvrage d'une quatrième et dernière race, dont il nous reste à parler. Ses individus, nés tous au pied du Caucase, se distinguent des autres habitans par la couleur blonde de leurs cheveux, étrangère aux naturels de l'Égypte. C'est cette espèce d'hommes que nos croisés y trouvèrent dans le treizième siècle, et qu'ils appelèrent Mamelus, ou plus correctement Mamlouks. Après avoir demeuré presque anéantis pendant deux cent trente ans sous la domination des Ottomans, ils ont trouvé moyen de reprendre leur prépondérance. L'histoire de cette milice, les faits qui l'amenèrent pour la première fois en Égypte, la manière dont elle s'y est perpétuée et rétablie, enfin son genre de gouvernement, sont des phénomènes politiques si bizarres, qu'il est nécessaire de donner quelques pages à leur développement.
CHAPITRE II.
Précis de l'histoire des Mamlouks
LES Grecs de Constantinople, avilis par un gouvernement despotique et bigot, avaient vu, dans le cours du septième siècle, les plus belles provinces de leur empire devenir la proie d'un peuple nouveau. Les Arabes, exaltés par le fanatisme de Mahomet, et plus encore par le délire de jouissances jusqu'alors inconnues, avaient conquis, en quatre-vingts ans, tout le nord de l'Afrique jusqu'aux Canaries, et tout le midi de l'Asie jusqu'à l'Indus et aux déserts tartares. Mais le livre du prophète, qui enseignait la méthode des ablutions, des jeûnes et des prières, n'avait point appris la science de la législation, ni ces principes de la morale naturelle, qui sont la base des empires et des sociétés. Les Arabes savaient vaincre et nullement gouverner: aussi l'édifice informe de leur puissance ne tarda-t-il pas de s'écrouler. Le vaste empire des kalifes, passé du despotisme à l'anarchie, se démembra de toutes parts. Les gouverneurs temporels, désabusés de la sainteté de leur chef spirituel, s'érigèrent partout en souverains, et formèrent des états indépendants. L'Égypte ne fut pas la dernière à suivre cet exemple; mais ce ne fut qu'en 96967 qu'il s'y établit une puissance régulière, dont les princes, sous le nom de kalifes fâtmîtes, disputèrent à ceux de Bagdâd jusqu'au titre de leur dignité. Ces derniers, à cette époque, privés de leur autorité par la milice turkmane, n'étaient plus capables de réprimer ces prétentions. Ainsi les kalifes d'Égypte restèrent maîtres paisibles de ce riche pays, et ils en eussent pu former un état puissant. Mais toute l'histoire des Arabes s'accorde à prouver que cette nation n'a jamais connu la science du gouvernement. Les souverains d'Égypte, despotes comme ceux de Bagdâd, marchèrent par les mêmes routes à la même destinée. Ils se mêlèrent de querelles de sectes, ils en firent même de nouvelles, et persécutèrent pour avoir des prosélytes. L'un d'eux, nommé Hâkem-b'amr-ellâh68, eut l'extravagance de se faire reconnaître pour dieu incarné, et la barbarie de mettre le feu au Kaire pour se désennuyer. D'autres dissipèrent les fonds publics par un luxe bizarre. Le peuple foulé les prit en aversion; et leurs courtisans, enhardis par leur faiblesse, aspirèrent à les dépouiller. Tel fut le cas d'Adhad-el-dîn, dernier rejeton de cette race. Après une invasion des croisés, qui lui avaient imposé un tribut, un de ses généraux, déposé, le menaça de lui enlever un pouvoir dont il se montrait peu digne. Se sentant incapable de résister par lui-même, et sans espoir dans sa nation qu'il avait aliénée, il eut recours aux étrangers.
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En 834.
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Cette différence du
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En 1239, Holagou-kan, descendant de Djenkiz, abolit le kalifat dans la personne de
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Ou 972, selon d'Herbelot.
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