Le mystère de la chambre jaune. Гастон Леру
Le père Jacques lui disait, de plus en plus ironique:
«Oh! mon ptit! Oh! mon ptit! Vous vous donnez bien du mal! …»
Mais Rouletabille redressa la tête:
«Vous avez dit la pure vérité, père Jacques, votre maîtresse navait pas, ce soir-là, ses cheveux en bandeaux; cest moi qui étais une vieille bête de croire cela! …»
Et, souple comme un serpent, il se glissa sous le lit.
Et le père Jacques reprit:
«Et dire, monsieur, et dire que lassassin était caché là-dessous! Il y était quand je suis entré à dix heures, pour fermer les volets et allumer la veilleuse, puisque ni M. Stangerson, ni Mlle Mathilde, ni moi, navons plus quitté le laboratoire jusquau moment du crime.»
On entendait la voix de Rouletabille, sous le lit:
«À quelle heure, monsieur Jacques, M. et Mlle Stangerson sont-ils arrivés dans le laboratoire pour ne plus le quitter?
– À six heures!»
La voix de Rouletabille continuait:
«Oui, il est venu là-dessous… cest certain… Du reste, il ny a que là quil pouvait se cacher… Quand vous êtes entrés, tous les quatre, vous avez regardé sous le lit?
– Tout de suite… Nous avons même entièrement bousculé le lit avant de le remettre à sa place.
– Et entre les matelas?
– Il ny avait, à ce lit, quun matelas sur lequel on a posé Mlle Mathilde. Et le concierge et M. Stangerson ont transporté ce matelas immédiatement dans le laboratoire. Sous le matelas, il ny avait que le sommier métallique qui ne saurait dissimuler rien, ni personne. Enfin, monsieur, songez que nous étions quatre, et que rien ne pouvait nous échapper, la chambre étant si petite, dégarnie de meubles, et tout étant fermé derrière nous, dans le pavillon.»
Josai une hypothèse:
«Il est peut-être sorti avec le matelas! Dans le matelas, peut- être… Tout est possible devant un pareil mystère! Dans leur trouble, M. Stangerson et le concierge ne se seront pas aperçus quils transportaient double poids… et puis, si le concierge est complice! … Je vous donne cette hypothèse pour ce quelle vaut, mais voilà qui expliquerait bien des choses… et, particulièrement, le fait que le laboratoire et le vestibule sont restés vierges des traces de pas qui se trouvent dans la chambre. Quand on a transporté mademoiselle du laboratoire au château, le matelas, arrêté un instant près de la fenêtre, aurait pu permettre à lhomme de se sauver…
– Et puis quoi encore? Et puis quoi encore? Et puis quoi encore?» me lança Rouletabille, en riant délibérément, sous le lit…
Jétais un peu vexé:
«Vraiment on ne sait plus… Tout paraît possible…»
Le père Jacques fit:
«Cest une idée qua eue le juge dinstruction, monsieur, et il a fait examiner sérieusement le matelas. Il a été obligé de rire de son idée, monsieur, comme votre ami rit en ce moment, car ça nétait bien sûr pas un matelas à double fond! … Et puis, quoi! sil y avait eu un homme dans le matelas on laurait vu! …»
Je dus rire moi-même, et, en effet, jeus la preuve, depuis, que javais dit quelque chose dabsurde. Mais où commençait, où finissait labsurde dans une affaire pareille!
Mon ami, seul, était capable de le dire, et encore! …
«Dites donc! sécria le reporter, toujours sous le lit, elle a été bien remuée, cette carpette-là?
– Par nous, monsieur, expliqua le père Jacques. Quand nous navons pas trouvé lassassin, nous nous sommes demandé sil ny avait pas un trou dans le plancher…
– Il ny en a pas, répondit Rouletabille. Avez-vous une cave?
– Non, il ny a pas de cave… Mais cela na pas arrêté nos recherches et ça na pas empêché M le juge dinstruction, et surtout son greffier, détudier le plancher planche à planche, comme sil y avait eu une cave dessous…»
Le reporter, alors, réapparut. Ses yeux brillaient, ses narines palpitaient; on eût dit un jeune animal au retour dun heureux affût… Il resta à quatre pattes. En vérité, je ne pouvais mieux le comparer dans ma pensée quà une admirable bête de chasse sur la piste de quelque surprenant gibier… Et il flaira les pas de lhomme, de lhomme quil sétait juré de rapporter à son maître, M le directeur de LÈpoque, car il ne faut pas oublier que notre Joseph Rouletabille était journaliste!
Ainsi, à quatre pattes, il sen fut aux quatre coins de la pièce, reniflant tout, faisant le tour de tout, de tout ce que nous voyions, ce qui était peu de chose, et de tout ce que nous ne voyions pas et qui était, paraît-il, immense.
La table-toilette était une simple tablette sur quatre pieds; impossible de la transformer en une cachette passagère… Pas une armoire… Mlle Stangerson avait sa garde-robe au château.
Le nez, les mains de Rouletabille montaient le long des murs, qui étaient partout de brique épaisse. Quand il eut fini avec les murs et passé ses doigts agiles sur toute la surface du papier jaune, atteignant ainsi le plafond auquel il put toucher, en montant sur une chaise quil avait placée sur la table-toilette, et en faisant glisser autour de la pièce cet ingénieux escabeau; quand il eut fini avec le plafond où il examina soigneusement la trace de lautre balle, il sapprocha de la fenêtre et ce fut encore le tour des barreaux et celui des volets, tous bien solides et intacts. Enfin, il poussa un ouf! «de satisfaction» et déclara que, «maintenant, il était tranquille!»
«Eh bien, croyez-vous quelle était enfermée, la pauvre chère mademoiselle quand on nous lassassinait! Quand elle nous appelait à son secours! … gémit le père Jacques.
– Oui, fit le jeune reporter, en sessuyant le front… la _Chambre Jaune__ était, ma foi, fermée comme un coffre-fort…_
– De fait, observai-je, voilà bien pourquoi ce mystère est le plus surprenant que je connaisse, même dans le domaine de limagination. Dans le_Double Assassinat de la rue Morgue_, Edgar Poe na rien inventé de semblable. Le lieu du crime était assez fermé pour ne pas laisser échapper un homme, mais il y avait encore cette fenêtre par laquelle pouvait se glisser lauteur des assassinats qui était un singe! … Mais ici, il ne saurait être question daucune ouverture daucune sorte. La porte close et les volets fermés comme ils létaient, et la fenêtre fermée comme elle létait, une mouche ne pouvait entrer ni sortir!
– En vérité! En vérité! acquiesça Rouletabille, qui sépongeait toujours le front, semblant suer moins de son récent effort corporel que de lagitation de ses pensées. En vérité! Cest un très grand et très beau et très curieux mystère! …
– La «Bête du Bon Dieu», bougonna le père Jacques, la «Bête du Bon Dieu» elle-même, si elle avait commis le crime, naurait pas pu séchapper… Écoutez! … Lentendez-vous? … Silence! …»
Le père Jacques nous faisait signe de nous taire et, le bras tendu vers le mur, vers la prochaine forêt, écoutait quelque chose que nous nentendions point.
«Elle est partie, finit-il par dire. Il faudra que je la tue… Elle est trop sinistre, cette bête-là… mais cest la «Bête du Bon Dieu»; elle va prier toutes les nuits sur la tombe de sainte Geneviève, et personne nose y toucher de peur que la mère Agenoux jette un mauvais sort…
– Comment est-elle grosse, la «Bête du Bon Dieu»?
– Quasiment comme un gros chien basset… cest un monstre que je vous dis. Ah! Je me suis demandé plus dune fois si ça nétait pas elle qui avait pris de ses griffes notre pauvre mademoiselle à la gorge… Mais «la Bête du Bon Dieu» ne porte pas des godillots, ne tire pas des coups de revolver, na pas une main pareille! … sexclama le père Jacques en nous montrant encore la main rouge sur le mur. Et puis, on laurait vue aussi bien quun homme, et elle aurait été enfermée dans la chambre et dans le pavillon, aussi bien quun homme! …
– Èvidemment,