Aline et Valcour, tome 2. Marquis de Sade

Aline et Valcour, tome 2 - Marquis de Sade


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nous nous étions fait nos adieux mystérieusement, la veille, ne s'étonna point de ma froideur, et je ne pensai plus qu'à revoler avec empressement, où m'attendait l'objet de tous mes voeux.

      Cette chère fille avait passé une nuit cruelle, toujours entre la crainte et l'espérance; son agitation avait été extrême; pour achever de l'inquiéter encore plus, une vieille religieuse était venue pendant la nuit prendre congé de la Sainte; elle avait marmotté plus d'une heure, ce qui avait presqu'empêché Léonore de respirer; et à la fin des patenôtres, la vieille bégueule en larmes avait voulu la baiser au visage; mais mal éclairée, oubliant sans doute le changement d'attitude de la statue, son acte de tendresse s'était porté vers une partie absolument opposée à la tête; sentant cette partie couverte, et imaginant bien qu'elle se trompait, la vieille avait palpé pour se convaincre encore mieux de son erreur. Léonore extrêmement sensible, et chatouillée dans un endroit de son corps dont jamais nulle, main ne s'était approchée, n'avait pu s'empêcher de tressaillir ; la none avait pris le mouvement pour un miracle; elle s'était jettée à genoux, sa ferveur avait redoublé; mieux guidée dans ses nouvelles recherches, elle avait réussi à donner un tendre baiser sur le front de l'objet de son idolâtrie, et s'était enfin retirée.

      Après avoir bien ri de cette aventure, nous partîmes, Léonore, la femme que j'avais amenée de Paris, un laquais et moi; il s'en fallut de bien peu que nous ne fissions naufrage dès le premier jour. Léonore fatiguée, voulut s'arrêter dans une petite ville qui n'était pas à dix lieues de la nôtre: nous descendîmes dans une auberge; à peine y étions-nous, qu'une voiture en poste s'arrêta pour y dîner comme nous.... C'était mon père; il revenait d'un de ses châteaux; il retournait à la ville, l'esprit bien loin de ce qui s'y passait. Je frémis encore quand je pense à cette rencontre; il monte; on l'établit dans une chambre absolument voisine de la nôtre, là, ne croyant plus pouvoir lui échapper, je fus prêt vingt fois à aller me jeter à ses pieds pour tâcher d'obtenir le pardon de mes fautes; mais je ne le connaissais pas assez pour prévoir ses résolutions, je sacrifiais entièrement Léonore par cette démarche; je trouvai plus à propos de me déguiser et de partir fort vite. Je fis monter l'hôtesse; je lui dis que le hasard venait de faire arriver chez elle un homme à qui je devais deux cents louis; que ne me trouvant ni en état, ni en volonté de le payer à présent, je la priai de ne rien dire, et de m'aider même au déguisement que j'allais prendre pour échapper à ce créancier. Cette femme, qui n'avait aucun intérêt à me trahir, et à laquelle je payai généreusement notre dépense, se prêta de tout son coeur à la plaisanterie.

      Léonore et moi nous changeâmes d'habit, et nous passâmes ainsi tous deux effrontément devant mon père, sans qu'il lui fût possible de nous reconnaître, quelqu'attention qu'il eût l'air de prendre à nous. Le risque que nous venions de courir décida Léonore à moins écouter l'envie qu'elle avait de s'arrêter par-tout, et notre projet étant de passer en Italie, nous gagnâmes Lyon d'une traite.

      Le Ciel m'est témoin que j'avais respecté jusqu'alors la vertu de celle dont je voulais faire ma femme; j'aurais cru diminuer le prix que j'attendais de l'hymen, si j'avais permis à l'amour de le cueillir. Une difficulté bien mal entendue détruisit notre mutuelle délicatesse, et la grossière imbécillité du refus de ceux que nous fûmes implorer, pour prévenir le crime, fut positivement ce qui nous y plongea tous deux2. O Ministres du Ciel, ne sentirez-vous donc jamais qu'il y a mille cas où il vaut mieux se prêter à un petit mal, que d'en occasionner un grand, et que cette futile approbation de votre part, à laquelle on veut bien se prêter, est pourtant bien moins importante que tous les dangers qui peuvent résulter du refus. Un grand Vicaire de l'Archevêque, auquel nous nous adressâmes, nous renvoya avec dureté; trois Curés de cette ville nous firent éprouver les mêmes désagrémens, quand Léonore et moi, justement irrités de cette odieuse rigueur, résolûmes de ne prendre que Dieu pour témoin de nos sermens, et de nous croire aussi bien mariés en l'invoquant aux pieds de ses autels, que si tout le sacerdoce romain eût revêtu notre hymen de ses formalités; c'est l'âme, c'est l'intention que l'Éternel désire, et quand l'offrande est pure, le médiateur est inutile.

      Léonore et moi, nous nous transportâmes à la Cathédrale, et là, pendant le sacrifice de la messe, je pris la main de mon amante, je lui jurai de n'être jamais qu'à elle, elle en fit autant; nous nous soumîmes tous deux à la vengeance du Ciel, si nous trahissions nos sermens; nous nous protestâmes de faire approuver notre hymen dès que nous en aurions le pouvoir, et dès le même jour la plus charmante des femmes me rendit le plus heureux des époux.

      Mais ce Dieu que nous venions d'implorer avec tant de zèle, n'avait pas envie de laisser durer notre bonheur: vous allez bientôt voir par quelle affreuse catastrophe il lui plut d'en troubler le cours.

      Nous gagnâmes Venise sans qu'il nous arrivât rien d'intéressant; j'avais quelque envie de me fixer dans cette ville, le nom de Liberté, de République, séduit toujours les jeunes gens; mais nous fûmes bientôt à même de nous convaincre, que si quelque ville dans le monde est digne de ce titre, ce n'est assurément pas celle-là, à moins qu'on ne l'accorde à l'État que caractérise la plus affreuse oppression du peuple, et la plus cruelle tyrannie des grands.

      Nous nous étions logés à Venise sur le grand canal, chez un nommé Antonio, qui tient un assez bon logis, aux armes de France, près le pont de Rialto; et depuis trois mois, uniquement occupés de visiter les beautés de cette ville flottante, nous n'avions encore songé qu'aux plaisirs; hélas! l'instant de la douleur arrivait, et nous ne nous en doutions point. La foudre grondait déjà sur nos têtes, quand nous ne croyions marcher que sur des fleurs.

      Venise est entourée d'une grande quantité d'isles charmantes, dans lesquelles le citadin aquatique quittant ses lagunes empestées, va respirer de tems en tems quelques atomes un peu moins mal sains. Fidèles imitateurs de cette conduite, et l'isle de Malamoco plus agréable, plus fraîche qu'aucune de celles que nous avions vues, nous attirant davantage, il ne se passait guères de semaines que Léonore et moi n'allassions y dîner deux ou trois fois. La maison que nous préférions était celle d'une veuve dont on nous avait vanté la sagesse; pour une légère somme, elle nous apprêtait un repas honnête, et nous avions de plus tout le jour la jouissance de son joli jardin. Un superbe figuier ombrageait une partie de cette charmante promenade; Léonore, très-friande du fruit de cet arbre, trouvait un plaisir singulier à aller goûter sous le figuier même, et à choisir là tour-à-tour les fruits qui lui paraissaient les plus mûrs.

      Un jour … ô fatale époque de ma vie!… Un jour que je la vis dans la grande ferveur de cette innocente occupation de son âge, séduit par un motif de curiosité, je lui demandai la permission de la quitter un moment, pour aller voir, à quelques milles de là, une abbaye célèbre, par les morceaux fameux du Titien et de Paul Véronese, qui s'y conservaient avec soin. Émue d'un mouvement dont elle ne parut pas être maîtresse. Léonore me fixa. Eh bien! me dit-elle, te voilà déjà mari; tu brûles de goûter des plaisirs sans ta femme.... Où vas-tu, mon ami; quel tableau peut donc valoir l'original que tu possèdes?—Aucun assurément, lui dis-je, et tu en es bien convaincue; mais je sais que ces objets t'amusent peu; c'est l'affaire d'une heure; et ces présens superbes de la nature, ajoutai-je, en lui montrant des figues, sont bien préférables aux subtilités de l'art, que je désire aller admirer un instant.... Vas, mon ami, me dit cette charmante fille, je saurai être une heure sans toi, et se rapprochant de son arbre: vas, cours à tes plaisirs, je vais goûter les miens.... Je l'embrasse, je la trouve en larmes.... Je veux rester, elle m'en empêche; elle dit que c'est un léger moment de faiblesse, qu'il lui est impossible de vaincre. Elle exige que j'aille où la curiosité m'appelle, m'accompagne au bord de la gondole, m'y voit monter, reste au rivage, pendant que je m'éloigne, pleure encore, au bruit des premiers coups de rames, et rentre à mes yeux, dans le jardin. Qui m'eût dit, que tel était l'instant qui allait nous séparer! et que dans un océan d'infortune, allaient s'abîmer nos plaisirs....Eh quoi, interrompit ici madame de Blamont; vous ne faites donc que de vous réunir? Il n'y a que trois semaines que nous le sommes, madame, répondit Sainville, quoiqu'il y ait trois ans que nous ayons quitté notre patrie.—Poursuivez, poursuivez, Monsieur; cette catastrophe annonce deux histoires, qui promettent bien de l'intérêt.

      Ma


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Il est à propos de remarquer ici en passant qu'il n'y a point de ville en France où le Clergé soit plus détestable qu'à Lyon; on a toujours dit, et avec raison, que le corps des Curés de Paris composait l'assemblée des plus honnêtes gens de la Capitale; on peut affirmer positivement tout le contraire de ceux de Lyon: la fourberie, la cupidité, l'ignorance et le libertinage, voilà les traits qui le caractérisent.