Crimes Interplanétaires. Stephen Goldin
Je me sens comme une idiote, soupira Rabinowitz. J’ai paniqué comme une stupide adolescente. Je n’étais pas en danger. Il n’aurait pas pu me toucher…
— Vous étiez présente au moment où la vie d’un de vos collaborateurs a violemment pris fin, répliqua Hoy d’un ton apaisant. Du moins, holoprésente. Je m’inquiéterais si vous n’étiez pas en état de choc.
— Il était là, avec moi, poursuivit Rabinowitz. L’assassin. Je ne le voyais pas, je ne l’entendais pas, je ne pouvais pas le toucher. Mais il était là. Il était dans le monde réel et moi dans le monde virtuel, mais une chose nous liait : Levexitor. Vous pensez qu’il m’a vue ?
Hoy réfléchit un instant, puis répondit :
— Eh bien, il a pu vous voir sur l’écran de l’ordinateur de Levexitor. Votre image projetée est-elle fidèle à la réalité ?
— En gros, oui. J’aime assez mon apparence.
— Nous sommes deux, lâcha Hoy avec un grand sourire.
— Merci, inspecteur. Chaque fois que je commence à croire que vous n’êtes peut-être pas un parfait butor, vous me rappelez gentiment à la réalité. À la réflexion, ça ne change pas grand-chose qu’il m’ait vue ou non : Levexitor a prononcé mon nom à plusieurs reprises. Le tueur devait être là depuis le début, ce qui explique les longs silences de Levexitor. Au moins, maintenant, vous pouvez me rayer de la liste des suspects.
— Navré de vous décevoir, mais non. Vous auriez pu assassiner Levexitor pour couvrir vos traces dès que vous avez su que je vous soupçonnais.
— Vous êtes paranoïaque.
— C’est mon métier. Cependant, vous n’êtes plus en tête de liste.
— Merci, rétorqua Rabinowitz en le regardant droit dans les yeux. Qui d’autre figure sur cette liste ? Suis-je en bonne compagnie ?
— Inutile de fatiguer votre jolie petite tête avec ce genre de questions.
— Si l’un de vos suspects a tué Levexitor et sait qui je suis, il risque de vouloir me réduire au silence. Je dois me protéger. Je suis un témoin, même si je n’ai rien vu.
— Très bien, fit Hoy d’un air songeur. Si vous êtes coupable, voilà une information qui ne vous étonnera pas : Jivin Rashtapurdi est certainement mêlé à l’affaire.
— Le gangster ?
— Non, l’épicier. On recherche aussi un autre courtier littéraire : Peter Whitefish. Vous le connaissez ?
— J’ai déjà travaillé avec lui.
— Votre opinion ?
— Il représente ses clients d’une manière qu’il estime efficace.
— C’est-à-dire ?
— Il y a une chose qu’on appelle la courtoisie professionnelle. Quelqu’un d’autre sur la liste ?
— Il y a des choses que je préfère ne pas révéler.
— C’est une bien courte liste.
— Les femmes disent toujours que ce n’est pas la longueur qui compte.
— On ne dit ça que quand on a pitié de vous. Pas le moindre nom côté galactique ?
— Je n’enquête pas dans la galaxie. Je suis d’Interpol, pas de la CPI, vous vous souvenez ?
Rabinowitz se leva.
— Bon, c’était gentil de venir me tenir la main pendant ma petite crise de panique…
— J’aurais aimé vous la tenir pour de vrai.
—… mais je n’ai dormi que deux heures ces deux derniers jours. Mon alarme à grincherie se déclenche dans sept minutes, et vous n’avez pas envie d’être présent quand ça arrivera.
— J’essayerai de vous trouver de meilleure humeur une autre fois. La porte est bien par ici ?
— Vous apprenez des choses. C’est encourageant.
Cette fois, Rabinowitz put dormir six heures d’affilée avant d’être réveillée par le coup de téléphone d’un fonctionnaire de police.
— Je veux simplement louer un corps, répliqua Rabinowitz d’un ton aigre. Pas contracter un prêt bancaire !
— Les lois sont strictes sur notre planète, expliqua l’alien en esquissant l’équivalent jenitharp d’un haussement d’épaules. Si par erreur je vous attribuais la mauvaise taille de corps, je perdrais ma licence. Sans compter que nous avons des lois très restrictives quand il s’agit de laisser des criminels téléjecter sur Jenithar. Je vous prie de répondre à toutes les questions.
— C’est votre police qui m’a demandé de venir. Ils veulent que j’inspecte une scène de crime.
— Alors mieux vaut vous dépêcher de remplir le formulaire.
— Heureusement que je n’ai pas à suivre cette procédure à chaque fois que je viens sur Jenithar, marmonna Rabinowitz. L’holojection est bien plus civilisée.
Elle tendit à l’employé sa carte à puce personnelle et vérifia qu’elle avait bien inscrit ses réponses dans les bonnes cases. « Nom complet : Deborah Esther Rabinowitz. Numéro d’identification : 5981–5523–5514–2769467–171723. Date de naissance : 17/46/3/22/54, date interstellaire. Études : licence, Université de Californie, Los Angeles, Études Interstellaires ; master et doctorat, Institut Polyculturel de Pna’Fath, Normes Commerciales Galactiques et Dynamiques Transculturelles. Géniteurs : Daniel Isaac Rabinowitz et Barbara Samuelson Rabinowitz. Père toujours en vie, mère décédée. Profession des géniteurs : père, diplomate de niveau plénipotentiaire ; mère, professeur de littérature comparée terrestre, Université de Californie, Los Angeles. Frères et sœurs : aucun. Progéniture : aucune. Profession : courtière littéraire. Banque : Crédit Terrestre de Takashiro. Revenus :… »
Elle s’interrompit.
— Ces informations restent confidentielles, je présume ?
— Oh, oui ! Nos lois sur la protection de l’information sont très strictes.
Elle ajouta au formulaire ses revenus personnels et ceux de son entreprise, puis rechigna de nouveau en découvrant la suite du questionnaire.
— Non, je ne peux pas tolérer ça ! Regardez-moi cette liste ! Le sujet a-t-il déjà été condamné ? Quelle était la réputation du sujet à l’école ? Quels titres le sujet détient-il ? Quelles récompenses a-t-il remportées ? Qui sont les membres de sa famille sur deux générations, ascendante et descendante, jusqu’aux cousins au troisième degré ? Certains d’entre eux ont-ils un casier judiciaire ? Qui sont ses associés en affaires, ainsi que ses clients ? Quels sont leurs statuts… Ça n’en finit pas ! La seule question que vous ne posez pas, c’est si mes clients battent leurs animaux de compagnie. Cherchez mon père dans le bottin mondain si vous voulez des informations sur ma famille, mais je ne divulguerai rien sur mes clients !
— Je dois calculer votre rang exact afin de déterminer la taille de votre corps. Il ne faut le faire qu’une fois. Après ça, votre dossier sera enregistré.
— Je n’en ai rien à… Écoutez, donnez-moi juste la taille que vous voulez. Ou refusez, et j’irai voir un de vos concurrents.
— Bon… J’imagine que si je compare ces données à vos informations publiques, j’aurai ce dont j’ai besoin, déclara l’employé de location.
Pendant quelques secondes, il contempla d’un air vide l’écran de son ordinateur. Puis il reprit :
— Je pense que… Oui. J’ai de quoi établir votre équivalence de taille. Patientez un instant, je vous trouve un corps approprié.
Sa notion