La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits. Rosette

La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette


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Dans ce moment je m’aperçus que mon cœur y était encore, en dépit de mes convictions précédentes. Il était gonflé, tombé en syncope, isolé du reste du corps. Comme mon esprit.

      “Non... rien ne presse... plus tard, peut-être... Je veux dire... Jessica n’aura pas de grosses nouveautés...” bégayais-je, en évitant son regard glacial.

      “J’insiste, Mélisande”.

      Pour la première fois dans ma vie je fus consciente de la douceur du poison, de son parfum charmant, de son envoûtement trompeur. Pourquoi sa voix et son sourire ne manifestaient pas sa fureur. Seulement ses yeux le trahiraient.

      Je pris l’enveloppe qu’il me tendait avec les pointes des doigts, comme si elle avait été infectée.

      Il attendit. Il y avait un soupçon d’amusement sadique dans ces yeux sans fond.

      J’enfilai l’enveloppe dans la poche. “C’est de ma sœur”. La vérité sortit de ma bouche, libératoire, même s’il n’y avait été façon de l’éviter. Il resta en silence, et je poursuivis courageuse.

      “Je sais d’avoir menti à propos de mes parents, mais... je suis vraiment seule au monde. Moi...” Il me manqua la voix. Je fis une autre tentative. “Je le sais d’avoir mal agi, ma je n’avais pas envie de parler d’eux”.

      “Eux?”

      “Oui. Mon père est encore vivant. Mais seulement parce que son cœur batte encore”. Mes yeux se brouillèrent de larmes. “Il est presque un végétal. Il est un alcoolise au stade terminal, et il ne se rappelle néanmoins qui nous sommes. Moi et Monique, je veux dire”.

      “Il a été stupide de mentir de votre part, Mademoiselle Bruno. Vous n’avez pas pensé que votre sœur vous aurait écrit ici? Ou peut-être vous avez pris le maquis pour ne pas vous occuper de votre père, en laissant tout le fardeau à quelqu’un d’autre?” La voix résonna dans le bureau, mortelle comme un coup de feu.

      J’engloutis les larmes, et le regardai avec un air de défi. J’avais menti, il était indéniable, mais il était en train de me décrire comme un être abject, indigne de vivre, qui ne mérite aucun respect.

      “Je ne vous permet de me juger, Monsieur Mc Laine. Vous ne connaissez rien de ma vie, ou des raisons qui m’ont poussé à vous mentir. Vous êtes mon employeur, pas mon juge, encore moins mon bourreau”. Le calme terrible avec laquelle je parlai surprit plus moi que lui, et je me portai une main à la bouche, comme s’il ‘avait été le calme à parler à ma place, déconnecté de l’esprit, doué d’autonomie au pair de mon cœur, ou de mes rêves.

      Je me levai brusquement, en faisant tomber la chaise en arrière. Je la ramassai les mains tremblantes, l’esprit en état catatonique.

      J’étais déjà arrivée à la porte, quand il parla avec une dureté glaçante. “Prenez un jour de congés, Mademoiselle Bruno. Vous me semblez assez bouleversée. Nous nous verrons demain”.

      J’atteignit ma chambre en trance, et je courus dans le bain adjacent. Je me lavai le visage avec eau froide, et j’étudiai mon image dans le miroir. Il fut trop. Tout ce blanc et noir qui m’entourait était plus inquiétant d’un drap funèbre. Je me sentais dangereusement en équilibre sur le bord d’un précipice. Je n’avais pas peur de tomber. Il avait passé déjà plusieurs fois, et je m’étais relevée. Ma peau et mon cœur étaient jalonnés par millions de cicatrices invisibles et douloureuses. J’avais peur de perdre la raison, la lucidité qui m’avait maintenu en vie jusqu’à ce moment. Dans ce cas j’aurais préféré de m’écraser.

      Les larmes non versées me retournaient les entrailles, en me rendant une loque. Un zombie, comme la protagoniste d’un des romans de Mc Laine.

      Ma main tâta la poche de la jupe en tweed, où j’avais fourré la lettre de Monique. Quoi qu’elle voudrait je ne pouvais repousser ça plus longtemps. Je la sortais, et je la portais dans la chambre de lit.

      Elle pesait comme un sac de béton armé, et je fus tentée de ne pas l’ouvrir, son contenu pouvait être seulement une souffrance. Je m’étais cru forte avant d’arriver à Midnight Rose. Comme je m’étais trompée. Je ne l’étais pas du tout.

      Mes mains agissaient de leur volonté, j’étais désormais transformée en poupée. Elles déchirèrent l’enveloppe, et détendirent la feuille y contenue. Peu mots, typique de Monique.

      

      

      

      

      Chère Mélisande,

      J’ai besoin d’autre argent. Je te remercie pour ce que tu m’as envoyé de Londres, mais ce n’est pas suffisant. Peux-tu demander un acompte de payement de ton chèque à cet écrivain? Ne pas être timide, et ne pas te faire des scrupules. Ils m’ont dit qu’il est très riche. D’autre part il est seul, paralytique, qu’on peut facilement influencer. Fais vite.

      Ta Monique.

      

      

      

      

      Je ne sais pas combien de temps je restai à regarder fixement la lettre, peut-être quelques minutes, peut être des heures. Tout perdit son importance, comme si ma vie avait sens seulement comme appendice de Monique, et de mon père. J’aurai voulu qui mouraient tous les deux, et celle pensée terrible, durée l’espace d’une seconde, me remplit d’horreur. Monique avait cherché à m’aimer, de sa façon égoïste bien entendu. Et mon père... eh bien, les beaux souvenirs de lui étaient si pauvres à me bloquer le souffle dans la gueule. Toutefois il restait mon père. Celui qui m’avait donné la vie, en pensant ensuite d’avoir le droit de la fouler aux pieds.

      Je pliai la lettre avec une attention méticuleuse et exagérée. Donc je la fermis dans le tiroir de la commode.

      Argent.

      Monique avait besoin d’argent. Encore. J’avais vendu tout ce que je possédais à Londres, très peu en réalité, pour l’aider et, après peu de semaines, nous étions au point de départ. Je savais que les traitements pour papa étaient couteux, mais maintenant je commençais à en avoir peur. Si Sébastian Mc Laine m’aurait virée – et dieu savait s’il avait de bonnes raisons pour le faire, tout au moins pour s’amuser – je risquais d’être jetée dans la route. Comme pouvais-je, après ce qui s’était passé, lui demander un acompte? Il était épuisant même seulement la pensée de le faire. Monique ne s’était jamais fait le moindre scrupule, elle était douée d’un toupet enviable, mais pour moi c’était différent. La communication n’était pas mon point de force, demander l’aide presque impossible. C’était trop la peur du rejet. Je l’avais fait une seule fois, et je me rappelais encore le ton du “non”, la sensation du refus, le bruit de la porte claquée sur le nez.

      

      

      

      

      “Kyle est vraiment un fainéant. Il est disparu avec la voiture dans l’après-midi, et il est rentré seulement une demi-heure. Monsieur Mc Laine est furieux. Il faudrait le frapper ce type-là, je le dis. Laisser ainsi monsieur sans assistance!” La voix de Madame Mc Millian était pleine d’indignation, comme si Kyle lui avait fait un tort personnel.

      Je continuais à passer la nourriture dans l’assiette, sans le moindre appétit.

      La femme continua à parler, prolixe comme d’habitude, et elle ne s’en aperçut pas. Je lui fis un sourire forcé, et je retournai à m’immerger dans le manteau noir de ma pensée. Où pourrai-je trouver l’argent? Non, je n’avais pas le choix. C’était deux semaines avant de l’encaisse de mon chèque. Monique devait attendre. Je lui aurais envoyé tout, en espérant qu’elle n’était pas imprudente. Le risque d’être virée sans préavis était affreusement réel. Monsieur Mc Laine


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