Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman
sur pied un programme ambitieux pour cette vallée.
â Jâimagine que ce programme a été abandonné ! sâexclama Oskar, ironique.
Clara le regardait en souriant, elle avait lâair de sâintéresser à cette conversation. Il avait entre-temps terminé sa soupe, ils passèrent donc tous au plat suivant.
Le patron réfléchissait à la question posée par son hôte. Après avoir bu quelques gorgées de bière, il se décida à donner des détails supplémentaires.
â Voyez-vous, le maire précédent était un homme instruit ; plus jeune, il était parti en Californie chez un de ses oncles qui était installé là -bas. Il paraît quâil avait fait plusieurs années dâétudes dans une université prestigieuse. Puis il est rentré au village en disant quâil y revenait le temps de donner un coup de main, et il assuma ainsi la charge de maire.
â Quâa-t-il fait de bien dans cette période ? demanda Oskar.
â La seule chose quâil ait achevée est justement ce téléphérique que vous avez vu sur lâesplanade cet après-midi. Bon, certains dâentre nous ont pensé quâil allait permettre un grand développement touristique, et on a donc fait des investissements. Pour ma part, avec lâargent que jâavais de côté, jâai agrandi lâhôtel qui ne tournait que pour quelques rares représentants et pour les chasseurs, en saison.
â Que pensez-vous de ce projet, alors ? Je nâai pas lâimpression que la situation ait tellement changé depuis.
â Précisément, comme je vous le disais, le maire a fait construire cette installation, puis il a disparu de Valle Chiara. Ãa remonte à quelques semaines. Plus exactement, il est parti dès que les essais ont été finis. Je me souviens quâil était fatigué de son travail dâorganisation. Avant de partir, il a dit quâil était satisfait, et que son rôle était achevé.
Oskar sâadressa alors à Clara :
â Que dis-tu de ce quâa fait cet étrange maire, toi ?
â Câest difficile à dire comme ça, en quelques mots. Jâestimais beaucoup cet homme, il était instruit, il passait des nuits entières à lire. Je faisais mes études en ville quand il est arrivé, mais à Valle Chiara, tout le monde sentait sa présence. Il travaillait toute la journée, et le soir, on le voyait se promener tout seul dans le bois. Toujours à la même heure.
Oskar avait chaud, maintenant. Il enleva son blouson. Il se souvint un instant de la première, horrible impression que lui avait faite lâatmosphère glaciale de lâhôtel. Même si la conversation était étrange dans cette cuisine, il ressentit pour la première fois depuis son arrivée au village une vague atmosphère de vacances.
â Essayons dây comprendre quelque chose, reprit-il avec assurance, maintenant détendu. Valle Chiara a donc toujours été isolée. Il y a quelques années, un monsieur plein dâidées, qui a fait ses études en Californie, revient par ici. Cet homme projette de construire quelque chose qui soit en mesure de développer la vallée, pour rendre service à ses anciens concitoyens, peut-être. En premier lieu, il examine les possibilités touristiques et décide dâinstaller un téléphérique pour attirer les skieurs en saison. Il élabore son projet, et quand lâinitiative a pris forme, il quitte le village. Câest bien ça ?
â Eh bien, je crois que toute lâaffaire est un peu plus compliquée, répondit le patron ; au début, moi aussi je croyais que les choses sâétaient passées de la façon que vous avez si bien reconstruite.
Clara secoua la tête :
â Je crois que vous interprétez mal le projet du maire.
â Tu veux dire quâil ne voulait pas développer le tourisme ? à quoi peut servir un téléphérique, alors ? dit Oskar.
â Je ne le sais pas exactement, mais le maire nâa jamais parlé de tourisme, il parlait dâune connexion -Clara avait un peu de mal à répondre- tout ce que je peux dire, au-delà des bruits qui courent au village, câest que le maire voulait relier Valle Chiara à quelque chose. Une fois, je lâai entendu parler de connexion expérimentale. Câest pour ça quâil a fait construire lâinstallation et quâil voulait que tout fonctionne au mieuxâ¦
â Mais alors ce téléphérique nâest pas du tout abandonné ! sâécria Oskar. Il existe peut-être une entreprise qui lâexploite.
â Mais bien sûr ! Lâinstallation fonctionne, tout le monde peut lâutiliser. Si tu veux, demain matin, je tâemmènerai voir le directeur, comme ça tu pourras tout savoir sur son utilisation par les clients.
Il ne restait plus quâOskar et Clara dans la salle, les autres étaient allés se coucher. Pendant quâil fumait un cigare offert par Ignazio, la jeune femme mettait de lâordre dans la cuisine. Pour finir, elle passa très rapidement la serpillière dans toute la cuisine.
â Nous, on a lâhabitude de tout remettre en ordre avant dâaller nous coucher. Mes parents se lèvent tôt le matin, et puis les odeurs du dîner pourraient gêner les clients, même si en ce moment tu es le seul client de lâhôtel.
Lâhumidité laissée par la serpillère sâévapora presque immédiatement et la cuisine fut parfaitement en ordre. Exactement comme dans un dessin animé quâil avait vu quand il était petitâ¦
â Excuse-moi, je voudrais te poser une question personnelle : jâai remarqué que tu tâexprimes très bien. Où as-tu fait tes études ? demanda Oskar.
â En ville. Je suis rentrée à Valle Chiara lâan dernier, après lâAcadémie. Mais je nâai pas envie de parler de moi.
Elle se passa une main sur le front, et demanda, sur un autre ton :
â Alors câest ton ami qui tâa conseillé cet endroit ? Tu as dit quâil est passionné de montagne et quâil tâa parlé du Grand Ski-lift.
â Oui, câest ça. Câest quelquâun de particulier, qui nâaime pas les endroits à la mode, une personne qui est toujours à la recherche de mondes non fréquentés. Moi, je suis sceptique sur le fait quâon puisse encore trouver aujourdâhui des lieux préservés -il respira profondément et ajouta- cette fois-ci je lâai écouté, mais je crois que câest une erreur, vu ce que jâai trouvé sur lâesplanade du téléphérique.
â A quoi tâattendais-tu ?
â Jâimaginais que jâallais arriver dans un endroit plus haut en couleurs. Je ne voudrais pas dénigrer ton village, mais tu dois reconnaître que ce nâest pas un endroit adapté au grand ski alpin ! Jâimaginais trouver des chalets de bois, une place illuminée et ensevelie sous la neige, une atmosphère de fête, en somme, et puis, à lâhorizon, des chaînes de montagnes enneigées.
â Ce que tu dis est vrai, à première vue. Même si je suis née ici, jâadmets très bien quâil nây a rien dâattrayant à Valle Chiara. Ce nâest dâailleurs pas un village alpin. Je pensais comme toi, jusquâà ce que je rencontre le maire. Lui, il avait étudié la question à fond, et il pensait que le véritable paysage