l’Amour Comme Ci . Sophie Love

l’Amour Comme Ci  - Sophie Love


Скачать книгу
folle. Orin n’était qu’un gentil vieillard, fier de sa ville. Il voulait la montrer à la cynique new-yorkaise sur laquelle il était tombé.

      « Allez », continua Orin. « Vous êtes ici pour profiter pleinement de l’Irlande ! Pour vivre comme un local ! Vous ne saurez pas vraiment ce que sont nos vies si vous ne vous mettez pas à notre place ! »

      Il tira malicieusement sur son bras, l’encourageant à le rejoindre. Son enthousiasme se transformait rapidement en amadouement et Keira réalisa qu’il n’y avait littéralement aucun moyen de décliner. Orin allait la faire marcher avec lui jusqu’au rendez-vous, peu importe ce qu’elle disait ! Il n’y avait pas de refus possible.

      Cédant, elle descendit la fin de son café bouillant, et en sentit les effets dès qu’elle se leva. Puis elle et Orin quittèrent le B&B sombre et émergèrent dans le soleil étincelant du matin. Même si le ciel était d’un gris voilé, Keira plissa les yeux face à son éclat éblouissant.

      « Montrez la voie », dit-elle à Orin, tandis qu’elle observait le seul chemin, une route de campagne sinueuse qui serpentait le long de la colline. De rares bâtiments le parsemaient de chaque côté, mais il était principalement cerné de champs verdoyants remplis de moutons.

      « C’est une marche de trois kilomètres jusqu’à la mairie si nous nous en tenons à la route », dit Orin. « Mais si nous coupons à travers champs, c’est la moitié de cette distance. Bien sûr, l’agriculteur a parfaitement le droit de nous tirer dessus puisque nous entrons sans autorisation, mais tout le monde ici connaît tout le monde, donc tout ira bien. »

      Keira déglutit. « Prenons la route touristique, hein ? », dit-elle.

      « Si vous voulez », dit nonchalamment Orin, qui ne releva manifestement pas son inquiétude.

      Ils commencèrent à se promener dans la rue. Malgré l’heure matinale, tous ceux qu’ils croisèrent semblaient si heureux et amicaux. Quand ils atteignirent la rue principale (si on pouvait l’appeler ainsi), il y avait même une petite troupe de musiciens jouant du violon et de l’accordéon, et qui chantait de vieilles chansons folkloriques. Les gens dansaient et chantaient de concert. Keira ne pouvait pas vraiment croire ce qu’elle voyait. Comment un lieu pouvait-il être si collectivement heureux ? Peut-être avait-elle eu tort de porter des jugements aussi sévères et hâtifs.

      « Nous y voilà », dit Orin quand ils arrivèrent à destination.

      Comme tous les bâtiments de Lisdoonvarna, celui-ci était peint de couleur vive, orange brûlé dans ce cas-ci, s’ajoutant aux rues arc-en-ciel. Un panneau au-dessus de la porte proclamait : Maison du Marieur. La porte elle-même était couverte d’images de cupidon.

      Keira haussa un sourcil à la vue du décor kitsch, puis suivit Orin à l’intérieur. Un vieux gentleman se leva de son bureau et vint vers elle.

      « William Barry », dit-il en tendant la main. « Vous êtes la reporter américaine. »

      Keira lui serra la main. « Je suis une rédactrice voyage, pas une journaliste. »

      « Donc cet article n’ira pas dans le New York Times ? », demanda William en fronçant les sourcils.

      Keira jeta un coup d’œil implorant à Orin. William avait-il eu l’impression qu’elle travaillait pour une grande organisation ? Et si Heather avait un peu déformé la vérité quand elle avait organisé cette rencontre, en sachant que Josh aurait bien voulu mentir et baratiner jusqu’à atteindre son but ?

      Soudain, Orin éclata de rire. Keira regarda de nouveau vers William. Ses yeux étaient aussi plissés de rire.

      « Vous auriez dû voir votre tête ! », s’exclama-t-il, le visage devenu rouge vif.

      Keira ne pouvait pas vraiment voir le côté amusant. Il y avait trop de choses en jeu pour elle avec sa première véritable mission, aussi les taquineries n’étaient pas vraiment les bienvenues.

      « Asseyez-vous, asseyez-vous », dit William alors que son rire commençait à se calmer.

      Keira s’exécuta, tira une des chaises en bois et s’assit au bureau. Orin s’assit à côté d’elle. Juste au moment où William prenait place, une femme aux cheveux roux flamboyant entra avec un plateau comportant une théière, des tasses et un pot à lait.

      « C’est ma secrétaire, Maeve », dit William alors que la femme posait le plateau. « Merci, ma chère. »

      Elle disparut de la pièce, laissant William verser les tasses de thé. Peu importait que Keira ne boive pas beaucoup de thé, elle se sentait incapable de décliner, et elle prit la tasse de thé fumant sans protester.

      William croisa les mains sur la table. « Je dois dire que nous sommes vraiment très excités de vous avoir ici, Keira. Vu comment le monde change et tous ces sites de rencontres sur Internet, il devient de plus en plus difficile d’avoir des clients. J’espère que votre article suscitera un regain d’intérêt. »

      Keira couvrit son expression coupable avec sa tasse de thé. Elle se sentait mal en sachant qu’elle allait écrire un article aussi acerbe. William et Orin semblaient être des personnes gentilles et sincères, et ils lui avaient accordé une telle hospitalité. Mais elle avait sa mission, avait ses instructions. Elle se dit que dénigrer un festival idiot de l’autre bout du monde dans un magazine qui n’était même pas importé en Irlande aurait difficilement pour conséquence de faire faire faillite à leur entreprise.

      « Connaissez-vous l’histoire du festival ? », continua William.

      « J’ai fait des recherches avant de venir », dit Keira en hochant de la tête.

      Mais comme William se lançait dans son monologue au sujet du festival, elle se tut. De toute évidence, elle allait avoir droit à l’histoire orale, qu’elle le veuille ou non.

      « C’était l’affaire de mon père. Celle de son père avant ça. En fait, les Barry ont été des entremetteurs depuis aussi longtemps que quiconque peut s’en souvenir. À l’époque, il s’agissait de mettre ensemble des nobles qui venaient pour l’eau et une belle jeune fille locale. Les filles irlandaises sont considérées comme des procréatrices très prolifiques, vous voyez, ce qui était le principal argument de vente des entremetteurs. »

      Keira put à peine arrêter l’expression de dégoût sur son visage. William ne le remarqua pas, cependant, et poursuivit son histoire.

      « Cela se passait généralement juste après la récolte, quand les filles sont les plus charnues et les seins les plus pleins. Un bon marieur s’assurait que les filles soient mariées et emmenées avant l’hiver, car elles risquaient d’avoir une pneumonie et de mourir pendant l’hiver. »

      Keira serra les lèvres pour étouffer un rire. Elle ne pouvait pas dire quelle part de ce que William disait était ironique, mais elle soupçonnait qu’il était parfaitement sérieux. Même si elle avait fait ses recherches, entendre la façon dont William formulait tout cela était vraiment amusant.

      « Ensuite bien sûr les temps ont changé. Différentes sortes de gens venaient en ville. Les guerres ont épuisé le stock d’hommes. La menace de la famine a rendu les gens désespérés de se marier jeunes, et d’épouser n’importe qui. C’était un moment difficile pour l’entremetteur. Quand j’ai repris l’affaire après mon père, j’étais principalement payé par des garçons de ferme pour les unir à une de mes filles de la région. » Il tapota un livre. « Alors j’ai gardé une liste d’eux. »

      « Est-ce légal ? », dit Keira, brisant enfin son silence stupéfait. « Cela me semble un peu intrusif. »

      « Sottises ! », dit William en riant. « Les filles ont adoré. Ils veulent tous se marier. Même si c’est à un garçon de ferme sans cerveau et avec de mauvaises habitudes d’hygiène. »

      Keira secoua la tête. Son article s’écrivait lui-même !

      Juste à ce moment-là,


Скачать книгу