La Cité Ravagée. Scott Kaelen
dans sa pipe, puis prit une gorgée de bière. "Vivre par l'épée, mourir par l'épée, c'est comme ça que vous dites, vous les jeunes, non ? Oui, eh bien, moi, c'est ça, mon épée," dit-il en brandissant sa pipe et son verre, avalant ce qui restait de sa bière et se levant de sa chaise. "Au plaisir de bavarder avec vous, les gars." Il hocha la tête en direction d'Alari. "À toi aussi, jeune fille."
"Eh, Jerrick," le salua Maros.
Une expression perplexe se posa sur le visage du vieil homme. "Hein, de quoi on parlait déjà ?"
Maros sourit tristement. "De vie et de mort, je crois."
"Ah, oui." Le vieux sourit de toutes ses dents. "Deux sujets que je connais assez bien. Bon, allez." Il leva une main tachetée vers sa tête, comme s'il la portait à un chapeau, puis il traversa la grande salle et sortit dans le soir.
Tandis que les portes se refermaient dans un chuintement, Maros se perdit dans ses pensées. La révélation de Jerrick le dérangeait. Ça le dérangeait beaucoup.
Henwyn le regardait. "La prochaine fois que le courrier passe, renvoie-le avec une requête pour les dossiers d'il y a cinquante ans."
"Le courrier ne sera de retour que dans deux semaines," dit Maros. "Ensuite, il devra faire toute sa tournée avant de retourner à la Baie. Et il se passera probablement plusieurs semaines avant qu'il ne revienne. C'est trop long."
"Trop long pour quoi, patron ?" demanda la jeune fille assise près d'Henwyn.
Maros fronça les sourcils. "Désolée, jeune fille, j'ai oublié ton nom."
"Leaf," dit-elle.
"Hmm. Bon alors, Leaf. Que dirais-tu d'un petit contrat de coursier ? Pour montrer un peu à Henwyn ce que tu es capable de faire."
Les yeux de Leaf s'agrandirent. "Un travail rien que pour moi ? Et comment !"
"Bien. Rendez-vous ici, demain à midi. D'ici là, j'aurai rédigé le formulaire de requête."
"Où est-ce que je vais ?"
"Au quartier général de la Guilde à la Baie de Brancosi."
Leaf resta bouche bée. "Je ne suis jamais allée à la capitale."
"Eh bien, voilà ta chance. Mais ne traîne pas en route, je veux ces papiers aussi vite que possible."
"Quelle est l'urgence ?" Kirran essaya de garder un ton prudent.
Maros dévisagea le novice. "L'urgence, mon garçon, est que j'ai tendance à croire Jerrick, que son ami n'est pas juste mort en route. Si un sabreur est envoyé en mission"— il se surprit à utiliser la même expression ancienne que Jerrick et secoua la tête — "alors la probabilité est qu'il s'agit d'un vétéran, au moins d’un compagnon ou d’une compagne, sinon un maître ou une maîtresse-lame."
"Qu'est-ce que tu sous-entends ?" demanda Henwyn.
"Ce que je dis, Hen, c'est que je crois que ce Lijah a peut-être bien trouvé la Cité Ravagée. Plus précisément, je crois que Jalis et les gars la trouveront aussi et je serais damné plutôt que de les laisser subir le même sort."
Le dernier des clients de la nuit disparut dans la nuit à travers les portes de saloon, laissant Maros seul, en compagnie de deux serveuses qui devaient nettoyer le plancher et essuyer les tables. Des bruits de marmites et de casseroles leur parvenaient depuis la cuisine où Luthan, le chef, terminait lui aussi ses corvées de fin de journée.
Après quelques minutes, Maros entendit un swish-swish et regarda vers la passerelle derrière le bar. Luthan avait quitté la cuisine et se dirigeait vers Maros. Son tablier empesé et son bandana étaient aussi immaculés que quand il venait devant les clients, même s'il n'y en avait aucun. Plus qu'un chef, les fameux sandwichs de Luthan lui avaient valu une bonne réputation dans le coin et il avait une image à entretenir ; il gérait tout cela avec panache, sereinement et avec plein d'assurance.
"Tu manges avec moi ?" offrit le chef. "Je me prépare quelque chose avant de rentrer chez moi. On mange ensemble ? Patron ?"
"Hmm ?" Maros réalisa que Luthan le regardait et il gonfla ses joues. "Non, pas pour moi. C'est trop tard."
Le chef, méticuleusement rasé, tira un tabouret et se hissa dessus. De ses yeux bleus, il étudia le visage de Maros. "Quelque chose te perturbe." Ce n'était pas une question ; avec Luthan, il n'y avait jamais de question.
"Je me fais du souci pour Jalis et les gars. Je pensais les avoir envoyés chasser des dragons mais je crois que ça pourrait en fait être pire."
"Ah, il y a toujours ce risque avec les sabreurs," dit Luthan.
"C'est vrai." Maros serra son poing et se frotta les jointures avec son autre main. "Mais cette fois, j'ai le sentiment que quelque chose cloche."
À l'autre bout de la salle, les portes s'ouvrirent. Un homme entra. Il s'arrêta sur le palier, lissa les pans de son manteau et enleva sa casquette en tissu écossais. Puis il avança d'une démarche assurée vers le bar, les yeux fixé sur Maros.
Luthan se racla la gorge et sauta de son tabouret pour filer en direction de la cuisine.
"Nous sommes fermés pour la nuit," dit Maros au nouvel arrivant. "À moins que ce soit une chambre que vous cherchez ?"
L'homme arriva au bar, lâcha un soupir et posa sa casquette sur le dessus de comptoir en chêne. "Je ne viens pas en tant que client, maître tavernier."
Maros le dévisagea. L'étranger au visage indolent, rasé de près, avait une tenue froissée mais de bonne facture et il n'avait pas l'air du genre à se salir les mains. Maros estima qu'il avait largement dépassé la quarantaine. "Je ne pense pas vous avoir encore vu dans le coin, l'ami. Vous êtes venu offrir un contrat ?"
"Pas tout à fait." L'homme semblait fatigué. "Je suis là à propos d'un contrat mais malheureusement il a déjà été octroyé."
"Je vois." Maros ressentit une pointe d'agacement, il voulait que l'homme en vienne au fait. "Alors, de quoi s'agit-il, s'il vous plaît ?"
"J'ai quitté le hameau de Balen il y a cinq heures," dit l'homme tout en fouillant dans son manteau. Puis il en retira un rouleau de parchemin qu'il posa sur le comptoir poli à côté de sa casquette. "Je suis trop fatigué pour de longues formalités. Je vais peut-être prendre cette chambre que vous avez à offrir. Ça a été une longue journée, vraiment singulière."
"Onze cuivres pour une chambre," marmonna Maros. "Quinze, si vous voulez un petit-déjeuner chaud avec."
L'homme pinça ses lèvres et maintint le regard de Maros. "Maître tavernier, j'aimerais penser qu'après avoir soigneusement lu et assimilé le contenu de ce document," il tapota le rouleau de parchemin devant lui, "vous envisagerez de me laisser disposer gratuitement de la chambre à titre de bonne volonté."
Maros serra les dents, jeta un coup d'œil vers le parchemin, puis lança un regard sombre vers le nouveau venu, venant à bout de sa patience. Il fallait reconnaître que l'homme ne semblait pas impressionné par la réputation de Maros, ni intimidé par sa taille de demi-jötunn ; s'il le voulait, Maros aurait très bien pu l'attraper depuis l'autre côté du comptoir et lui écraser le visage dans son poing velu. Même voûté et assis sur son tabouret, il dépassait l'homme de pas moins d'une tête.
"J'accepterai aussi le petit-déjeuner par courtoisie," rajouta l'homme.
Maros se renfrogna perceptiblement. Il se leva de son tabouret, posa ses grandes mains sur le dessus du comptoir et regarda l'homme de haut. "Et pourquoi," gronda-t-il, "devrais-je me montrer si généreux, l'ami ?"
L'étranger prit une inspiration avant de répondre. "Il semble que, dans ma fatigue, j'ai oublié de me présenter. Mon nom," dit-il l'air imperturbable, alors que ses yeux se levèrent et se plantèrent dans ceux de Maros, "est Randallen Chiddari."
"Ah." Maros le dévisagea. "Alors, je suis content que vous soyez là. Il y a quelques années, oui, cela fait maintenant un