Jean qui grogne et Jean qui rit. Comtesse de Ségur

Jean qui grogne et Jean qui rit - Comtesse de Ségur


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tous deux m'aider à préparer le souper; et un fameux souper!

      JEANNOT, soupirant

      Et le dernier que je ferai ici, ma tante!

      HÉLÈNE.

      Le dernier! Laisse donc! Vous reviendrez tous deux avec des galettes et des lapins plein vos poches; et tu en mangeras chez moi avec mon petit Jean. Il est courageux, lui. Regarde sa bonne figure réjouie.... Tiens! tu as les yeux rouges, petit Jean. Qu'est-ce que tu as donc? Une bête entrée dans l'oeil?»

      Jean regarda sa mère; ses yeux étaient remplis de larmes; il voulut sourire et parler, mais le sourire était une grimace, et la voix ne pouvait sortir du gosier. La mère se pencha vers lui, l'embrassa, se détourna et sortit pour aller chercher du bois, dit-elle. Quand elle rentra, sa bouche souriait, mais ses yeux avaient pleuré; ils s'arrêtèrent un instant seulement, avec douleur et inquiétude, sur le visage de son enfant.

      Le petit Jean l'examinait aussi avec tristesse; leur regard se rencontra; tous deux comprirent la peine qu'ils ressentaient, l'effort qu'ils faisaient pour la dissimuler, et la nécessité de se donner mutuellement du courage.

      «Le bon Dieu est bon, maman; il nous protégera! dit Jean avec émotion. Et quel bonheur que vous m'ayez appris à écrire! Je vous écrirai toutes les fois que j'aurai de quoi affranchir une lettre!

      HÉLÈNE.

      Et moi, mon petit Jean, M. le curé m'a promis un timbre-poste tous les mois.... En attendant, voici notre lapin cuit à point, qui ne demande qu'à être mangé.»

      Les enfants ne se le firent pas répéter; ils s'assirent sur des escabeaux; chacun prit un débris de plat ou de terrine, ouvrit son couteau et attendit, en passant sa langue sur ses lèvres, qu'Hélène eût coupé le lapin et eût donné à chacun sa part.

      Pendant un quart d'heure on n'entendit d'autre bruit dans la salle du festin que celui des mâchoires qui broyaient leur nourriture, des couteaux qui glissaient sur les débris d'assiette, du cidre qui passait du broc dans le verre unique servant à tour de rôle à la mère et aux enfants.

      Après le lapin vint la galette; mais les appétits devenaient plus modérés; la conversation recommença, lente d'abord, puis animée ensuite.

      «Fameux lapin, dit Jean, avalant la dernière bouchée.

      —Quel dommage qu'il n'en reste plus, dit Jeannot en soupirant.

      —Et avec quel plaisir vous mangerez demain ce qui en reste! dit Hélène en souriant.

      JEAN.

      Ce qui en reste? Comment, mère, il en reste?

      HÉLÈNE.

      Je crois bien qu'il en reste, et un bon morceau; les deux cuisses, une pour chacun de vous.

      JEAN.

      Mais... comment se fait-il?... Vous n'en avez donc pas mangé, maman?

      HÉLÈNE.

      Si fait, si fait, mon ami! Pas si bête que de ne pas goûter un pareil morceau.»

      Elle disait vrai, elle en avait réellement goûté, car elle s'était servi la tête et les pattes. Jean voulut encore lui faire expliquer quelle était la portion du lapin qu'elle avait mangée, mais elle l'interrompit.

      «Assez mangé et assez parlé mangeaille, mes enfants; à présent, rangeons tout et préparons le coucher; ce ne sera pas long. Jeannot couchera avec toi dans ton lit, mon petit Jean. Avant de commencer notre nuit, enfants, allons faire une petite prière dans notre chère église; nous demanderons au bon Dieu et à notre bonne mère de bénir votre voyage.

      JEAN.

      Et puis nous irons dire adieu à M. le curé, maman!

      HÉLÈNE.

      Oui, mon ami; c'est une bonne idée que tu as là, et qui me fait plaisir.»

      Le jour commençait à baisser, mais ils n'avaient pas loin à aller; l'église et le presbytère étaient à cent pas. Ils marchèrent tous les trois en silence; la mère se sentait le coeur brisé du départ de son enfant; Jean s'affligeait de la solitude de sa mère, et Jeannot songeait avec effroi aux dangers du voyage et au tumulte de Paris.

      Ils arrivèrent devant l'église; la porte était ouverte, Hélène entra suivie des enfants, et tous trois se mirent à genoux devant l'autel de la sainte Vierge. Hélène et Jean priaient et pleuraient, mais tout bas, en silence, afin d'avoir l'air calme et content. Jeannot soupirait et demandait du pain et un voyage heureux, suivi d'une heureuse arrivée chez Simon.

      Pendant que la mère priait, elle se sentit serrer doucement le bras, et une voix enfantine lui dire tout bas:

      «Assez, maman, assez: j'ai faim.»

      Hélène se retourna vivement et vit une petite fille; l'obscurité croissante l'empêcha de distinguer ses traits! Elle se pencha vers elle.

      «Je ne suis pas ta maman, ma petite», lui dit-elle.

      La petite fille recula avec frayeur et se mit à crier:

      «Maman, maman, au secours!»

      Jean et Jeannot se levèrent fort surpris, presque effrayés. Hélène prit la petite fille par la main, et ils sortirent tous de l'église.

      HÉLÈNE.

      Où est ta maman, ma chère petite? Je vais te ramener à elle.

      LA PETITE FILLE.

      Je ne sais pas; elle était là!

      HÉLÈNE.

      Sais-tu où elle est allée?

      LA PETITE FILLE.

      Je ne sais pas; elle m'a dit: «Attends moi». J'attendais.

      HÉLÈNE.

      Elle est peut-être chez M. le curé. Allons l'y chercher.»

      La petite fille se laissa conduire; en deux minutes ils furent chez M. le curé, qui interrogea Hélène sur la petite fille qu'elle amenait.

      HÉLÈNE.

      Je ne sais pas qui elle est, monsieur le curé. Je viens de la trouver dans l'église; elle cherchait sa maman, que je pensais trouver chez vous.

      LE CURÉ.

      Je n'ai vu personne; c'est singulier tout de même. Comment t'appelle-tu, ma petite? ajouta-t-il en caressant la joue de la petite.

      LA PETITE FILLE.

      J'ai faim! Je voudrais manger.»

      Le curé alla chercher du pain, du raisiné et un verre de cidre; la petite mangea et but avec avidité.

      Pendant qu'elle se rassasiait, Hélène expliquait au curé qu'elle était venue lui demander une dernière bénédiction pour le voyage qu'allaient entreprendre les enfants.

      LE CURÉ.

      «Quand donc partent-ils?

      HÉLÈNE.

      Demain matin de bonne heure, monsieur le curé.

      LE CURÉ.

      Demain, déjà! Je vous bénis de tout mon coeur et du fond du coeur, mes enfants. N'oubliez pas de prier le bon Dieu et la sainte Vierge de vous venir en aide dans tous vos embarras, dans vos privations, dans vos dangers, dans vos peines. Ce sont vos plus sûrs et vos plus puissants protecteurs.... Et quant à cette petite, mère Hélène, emmenez-la chez vous jusqu'à ce que sa mère revienne la chercher. Je vous l'enverrai si elle vient chez moi.

      «Et vous, mes enfants, continua-t-il en ouvrant un tiroir, voici un souvenir de moi qui vous sera une protection pendant votre voyage et pendant


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