Un drame au Labrador. Vinceslas-Eugène Dick
de la famille....
L'enfant, adossé à une souche, ne répondait pas.
Seulement, il souleva un instant ses paupières et fixa ses prunelles, très noires et très lumineuses, sur Arthur, comme pour s'assurer a'il avait affaire à un ami ou à un ennemi.
Puis il courba de nouveau le front, gardant un silence farouche.
Sans se décourager, le jeune Labarou lui releva doucement la tête, la forçant ainsi à le regarder.
Puis, d'une voix engageante:
—Tu me comprends, dis?
L'enfant fit un signe affirmatif.
—Tu n'as pas peur de nous, n'est-ce pas?
Mouvement de tête négatif.
—Alors. pourquoi ne parles tu pas?
Le petit sauvage mit un doigt dans sa bouche, fit mine de le mâchonner, puis dit enfin:
—Manger!
—Tu as faim, petit? s'écria Arthur.
—Moi aussi! dit Gaspard, jusque là spectateur muet.
—Ah! ah! je m'explique,... fit en riant le plus jeune des Labarou. Ce garçon-là ne veut pas faire mentir le proverbe: «Ventre affamé n'a point d'oreilles!» Eh bien, puisque c'est comme ça, mangeons un morceau.... Seulement, pour manger un morceau, il faut l'voir sous la main.
—L'ours! fit laconiquement Gaspard.
—Tu deviens fou!.... On ne mange pas de ce gibier-là! se récria Arthur.
—Demande à ce moricaud, ton nouvel ami.
L'enfant, sans attendre la question, répondit aussitôt:
—Bon, bon, l'ours.
Puis il se prit à mâcher à vide, de façon si drôle, que les deux cousins eurent une folle envie de rire.
Ce qua voyant, le petit sauvage sourit à son tour et se leva.
Alors, s'armant de son couteau-poignard, avec lequel il s'était si bien escrimé tout à l'heure, il s'approcha de l'ours et se mit en frais de lui fendra le ventre.
Gaspard ouvrait la bouche pour l'arrêter, dans la crainte qu'il n'abîmât la peau, mais il se rassura aussitôt en voyant avec quelle dextérité le garçonnet opérait.
Il se contenta de lui venir en aide, afin que la besogne fût plus vite expédiée.
Arthur, lui, profita d'un moment où l'enfant, tout occupé à son travail, lui tournait le dos, pour enlever prestement le corps du père et le dissimuler, quelques pas plus loin, derrière une touffe de bruyère.
Le brave garçon avait agi spontanément, sans calcul ni réflexion, mû par un sentiment de pudeur filiale, en présence de cet enfant qu'un drame terrible venait de rendre orphelin.
Mais le petit peau-rouge, sans détourner la tête, avait pourtant vu.... ou deviné, car il murmura à l'oreille du jeune Labarou, quand celui-ci l'eut rejoint:
—Bien fait, ça.... Toi, bon ami.
Et il se reprit à écorcher l'assassin de son père, sans manifester plus d'émotion.
Au bout d'un quart-d'heure, maître Martin, dépouillé de sa peau, n'était plus reconnaissable. Il ressemblait aussi bien à un honnête veau, apprêté dans l'étal d'un boucher, qu'à une bête féroce, réputée immangeable.
Cette métamorphose avantageuse réveilla les estomacs assoupis et fit taire toutes les répugnances.
On se unit résolument à l'oeuvre pour organiser un repas sérieux.
Mais, ici, une difficulté imprévue se présenta: Comment faire du feu!
Personne n'avait d'allumette ni du pierre à fusil.
D'ailleurs, en supposant même qu'on pût se procurer du feu, de quelle façon l'utiliser pour cuire le morceau de venaison destiné au festin?...
Ce fut encore le petit sauvage qui tira nos amis d'embarras.
Il se mit à fouiller partout, dans les environs, jusqu'à ce qu'il eut trouvé un éclat de bois de cèdre, dans le centre duquel il pratiqua un trou, avec la pointe de son couteau. Partant de ce trou, il creusa une petite rainure, qui s'en éloignait de quelques pouces et qu'il bourra de mousse, bien sèche, saupoudrée de charbon de bois écrasé, emprunté à une souche du voisinage.
Ayant alors confectionné une légère baguette de cèdre, effilée à l'un de ses bouts, il en introduisit la pointe dans le trou qu'il venait de faire et se mit à la tourner aussi rapidement que possible entre les paumes de ses mains....
Quelques étincelles jaillirent bientôt, qui enflammèrent la mousse et le charbon....
On avait du feu!
Restait à confectionner le fourneau où se rôtirait la pièce de résistance du festin en perspective.
Gaspard s'en chargea.
Il mit de champ deux pierres plates, pour former les parois latérales, puis les couvrit d'une troisième, plus mince et plus large, destinée dans son esprit à servir de.... lèchefrite.
Alors, fort satisfait de son fourneau, il alluma aussitôt au-dessous un bon feu de branchages.
Pendant que ce chef-d'oeuvre d'architecture.... culinaire s'édifiait, il va sans dire que le petit sauvage ne demeurait pas inactif.
Il avait détaché de l'ours un cuissot des plus respectables et, après l'avoir enveloppé d'herbes, paraissait attendre que l'appareil de Gaspard fût prît à fonctionner.
De son côté, celui-ci trouvait le nouveau marmiton bien lent à apporter au fourneau la «pièce de résistance» du futur dîner.
De sorte que tous deux se regardèrent d'un air assez drôle, qui voulait dire clairement: «Eh bien, qu'est-ce que tu attends?»
De toute évidence, nos deux taciturnes ne se comprenaient pas du tout.
Heureusement, Arthur,—qui n'avait pas, lui, la langue dans sa poche,—intervint:
—Alors, gamin, demanda-t-il à l'enfant, que fais-tu là?.... Te manque-t-il quelque chose?
—Cailloux! répondit le marmiton improvisé, en déposant son jambon par terre et, désignant le feu:
—Des cailloux dans le feu! se récria Arthur. Pourquoi faire? Les cailloux de ce pays-ci seraient-ils du charbon de.... pierre, par hasard?
Mais Gaspard, lui, avait fini par comprendre.
—J'y suis! dit-il.... Des cailloux rougis au feu, un trou dans la terre.... Nous dînerons avec du jambon d'ours cuit à l'étouffée.
—Tiens! c'est vrai.... j'ai entendu parler de cette cuisine de voyage.... Laissons notre petit ami préparer la chose à sa guise, et agissons. Moi, je vais chercher des cailloux. Toi, creuse un trou comme tu pourras.
En un clin-d'oeil, Arthur eut rempli son chapeau de ces pierres arrondies, à nuances variées, qui abondent dans ces parages.
Il les disposa adroitement entre les tisons du foyer et se chargea d'entretenir le feu.
Gaspard, de son côté, creusait une fosse dans le sable, se servant, en guise de pioche, d'un bout de branche pointue et, à défaut do bêche, de ses mains, pour rejeter la terre au dehors.
Bref, nos trois affamés y mettant chacun du sien, un lit de cailloux brûlants fut étendu au fond de cette fosse, puis recouvert d'une couche d'herbes sur lesquelles le cuissot fut déposé. Par-dessus, on ajouta une nouvelle couche d'herbes; puis on remplit la fosse de