Fables de La Fontaine. Jean de la Fontaine
Trouva le dîner cuit à point:
Bon appétit surtout; renards n’en manquent point.
Il se réjouissoit à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyoit friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvoit bien passer;
Mais le museau du sire étoit d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis
Honteux comme un renard qu’une poule auroit pris,
Serrant la queue et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris:
Attendez-vous à la pareille.
XIX
L’ENFANT ET LE MAITRE D’ÉCOLE.
Dans ce récit je prétends faire voir
D’un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l’eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu’un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d’école;
L’enfant lui crie: Au secours! je péris.
Le magister, se tournant à ses cris,
D’un ton fort grave à contre-temps s’avise
De le tancer: Ah! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise!
Et puis prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux qu’il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu’ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours que j’avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l’engeance.
En toute affaire, ils ne font que songer
Au moyen d’exercer leur langue.
Eh! mon ami, tire-moi de danger;
Tu feras après ta harangue.
XX
LE COQ ET LA PERLE.
Un jour un coq détourna
Une perle, qu’il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il;
Mais le moindre grain de mil
Seroit bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita
D’un manuscrit, qu’il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il, qu’il est bon;
Mais le moindre ducaton
Seroit bien mieux mon affaire.
XXI
LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL.
A l’œuvre on connoît l’artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent:
Des frelons les réclamèrent;
Des abeilles s’opposant,
Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il étoit malaisé de décider la chose:
Les témoins déposoient qu’autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avoient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignes étoient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n’en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte:
N’a-t-il point assez léché l’ours?
Sans tant de contredits et d’interlocutoires,
Et de fatras et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous:
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.
Le refus des frelons fit voir
Que cet art passoit leur savoir;
Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode!
Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code: