Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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n'espérais plus vous revoir, lui dit-elle, je croyais que vous auriez bien voulu me comprendre.

      —Ainsi vous pensez tout ce qui est écrit sur cette feuille de papier?

      —Sans doute: je vous aimais, je le crois du moins, je ne vous aime plus, j'en suis sûre. Y a-t-il là quelque chose qui doive vous étonner?

      Servigny avait le cœur trop bien placé et trop d'énergie dans le caractère pour essayer de répondre à des paroles qui accusaient chez celle qui venait de les prononcer une sécheresse d'âme et un cynisme véritablement inexplicables, il allait quitter le boudoir de Silvia, lorsque celle-ci, qui sans doute espérait une scène de désespoir et de larmes, et qui semblait trouver du plaisir à remuer le poignard dans la blessure qu'elle avait faite, lui dit:

      —C'est cela, mon très-cher, partez, mais hâtez-vous, j'attends le marquis de Roselli.

      C'en était trop; l'infernale méchanceté de Silvia méritait une punition exemplaire: Servigny la frappa au visage, puis il s'enfuit, effrayé de l'odieuse action qu'il venait de commettre.

      —Et de deux, dit Silvia.

      —Il paraît que c'est comme cela qu'on vous quitte, dit un homme qui s'était tenu caché derrière les rideaux du boudoir, pendant tout le temps qu'avait duré la scène que nous venons de décrire, faut-il encore aller tuer celui-là.

      Cet homme portait le costume des pêcheurs provençaux.

      —Que me voulez-vous, s'écria Silvia, qui malgré l'audace de son caractère, ne put s'empêcher de trembler sous le regard implacable de l'homme qui se trouvait devant elle.

      —J'étais venu pour vous tuer, répondit le pêcheur en lui montrant un couteau bien affilé.

      Silvia saisit le cordon d'une sonnette qui se trouvait à sa portée.

      —Ne craignez rien, lui dit le pêcheur, je ne vous tuerai pas aujourd'hui, puis il disparut par la fenêtre avec l'agilité d'un chat sauvage.

      Restée seule, Silvia écrivait une petite lettre qu'elle ne signa pas et qu'elle fit porter chez le substitut du procureur du roi.

      Le lendemain, à six heures du matin, Servigny était arrêté à son domicile comme prévenu de faux en écriture de commerce.

      Il répondit avec franchise à toutes les questions qui lui furent adressées, il dit dans quelles circonstances il avait remis au juif Josué la lettre de change sur laquelle il avait opposé la signature du négociant Mathieu Durand, qu'il avait ensuite endossée; mais le juif qui ne voulait pas faire connaître à la justice les petits secrets de son commerce, soutint qu'il avait escompté la lettre de change, croyant de bonne foi qu'elle avait été souscrite par celui dont elle portait la signature.

      Servigny, bien certain d'être sous peu de jours en mesure de payer, ne redoutait pas les résultats de la faute qu'il avait commise, mais un événement qu'il était bien loin de prévoir, vint tout à coup le plonger dans le plus profond désespoir, au lieu de l'argent sur lequel il comptait, il reçut une lettre qui lui apprit que le notaire auquel il avait confié sa petite fortune, venait de prendre la fuite, emportant tous les fonds que lui avaient confiés ses clients.

      Servigny comparut devant la cour d'assises d'Aix; sa jeunesse et la franchise de ses aveux intéressèrent tout le monde, il fut cependant, ainsi que nous l'avons dit, condamné à cinq années de travaux forcés, sans exposition.

      Les hommes doués d'une certaine dose d'énergie, puisent assez souvent du calme, dans l'excès même de leur malheur; Servigny était un de ces hommes: il envisagea sans sourciller le sombre avenir qui se déroulait devant ses yeux, et, lorsqu'il fut seul dans la chambre qu'il occupait en prison, il s'écria:

      Il arrivera ce qu'il plaira à Dieu d'ordonner, mais je ne subirai pas la peine à laquelle je viens d'être condamné.

       Table des matières

      Ainsi que nous l'avons dit, Duchemin, à des indices qui ne pouvaient échapper à des yeux aussi exercés que les siens, s'était aperçu que les projets qu'il méditait étaient connus de son compagnon de chaîne, il pouvait donc craindre que cet homme ne les dévoilât, pour se ménager quelques faveurs; il fit part à Salvador des craintes qu'il éprouvait, craintes que celui-ci partagea.

      —Il y a cependant un moyen, lui dit Duchemin: cet homme paraît fort et résolu, ne pourrions-nous pas lui confier entièrement notre projet, et lui faire partager nos moyens d'évasion? Si par la suite il nous gêne, nous saurons bien nous en débarrasser.

      Salvador, beaucoup plus prudent cette fois que Duchemin, lui fit observer que celui dont ils redoutaient l'indiscrétion ne savait, après tout, rien de bien positif, et qu'il était beaucoup plus sage d'attendre encore. Duchemin se rendit à ces raisons.

      Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il arrivât rien qui pût leur faire supposer qu'ils avaient été trahis.

      Il survint pendant ce temps un événement qui non-seulement les détermina à faire partager à Servigny les moyens d'évasion qu'ils s'étaient ménagés, mais encore leur donna le désir de se l'attacher.

      Un vieux forçat, que sa force prodigieuse et la férocité de son caractère avaient rendu la terreur de tous les malheureux habitants du bagne, voulut un jour que Servigny et Duchemin l'aidassent à commettre un vol dans l'arsenal. Duchemin, qui craignait que si ce vol venait à être découvert, on ne le resserrât plus complétement, ne se souciait pas de le commettre; Servigny refusa positivement son assistance, et ne daigna même pas alléguer quelques raisons pour justifier son refus. Toute la fureur du vieux forçat se tourna contre lui.

      —Ah! tu veux pas m'aider! lui dit-il, eh bien, mauvais fagot[198], tu n'aideras jamais personne, il faut que je te refroidisse[199].

      Et, joignant l'effet aux menaces, il se précipita sur lui. Servigny l'attendit de pied ferme, et, sans paraître employer toutes ses forces, il le terrassa; puis, lui serrant le cou entre ses deux mains, il le força de demander grâce.

      Les hommes disposés à abuser de leurs forces, éprouvent toujours un certain respect pour ceux qui paraissent organisés de manière à pouvoir leur tenir tête. Duchemin, qui venait de voir Servigny vaincre avec facilité un homme qu'il n'aurait peut-être pas attaqué sans éprouver un léger sentiment de crainte, bien qu'il se sentît doué d'une force peu commune, devait donc plus que tout autre obéir à cette loi générale.

      —Tudieu! quel gaillard vous êtes, dit-il à Servigny.

      Puis, s'adressant au vieux forçat qui râlait étendu sur le sol:

      —Tu n'espérais pas, lui dit-il, recevoir aujourd'hui une pareille floppée?

      —Je le buterai[200]; répondit celui-ci.

      —C'est ce qu'il faudra voir, reprit Servigny, en quittant avec Duchemin le théâtre de la lutte.

      Duchemin put avant la fin de la journée causer quelques instants avec Salvador, auquel il raconta ce qui s'était passé.

      —Je t'assure, lui dit-il, que c'est un niert[201] qui n'est pas frileux[202], et que s'il reste avec nous, il pourra dans l'occasion nous donner plus d'un bon coup de main.

      —Mais restera-t-il avec nous? voilà ce qu'il faudrait savoir.

      —Que veux-tu qu'il fasse en sortant d'ici? Il ne me paraît pas chargé d'argent, et comme probablement il n'a pas été envoyé à Toulon pour ses bonnes actions, il sera trop content de trouver avec nous l'occasion de s'en procurer.

      —Je vois que tu ne veux pas laisser échapper cette occasion de former un nouvel élève; mais, puisque maintenant nous sommes trois au lieu de deux, il faut que


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