Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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biographique sur vous, votre père, votre mère ou votre sœur, ou qui vous offrent à un prix raisonnable, l'oraison funèbre de celui de vos grands parents qui vient de rendre l'âme: bohémiens?

      Du vaudevilliste qui a des flons-flons pour tous les baptêmes: Bohémien?

      Du poëte qui a des dithyrambes pour toutes les naissances, et des élégies pour toutes les morts: Bohémien!

      Des chanteurs[208] par métier ou par occasion, qui vendent leur silence ou leur témoignage; l'honneur de la femme qu'ils ont séduite; une lettre tombée par hasard entre leurs mains et de mille autres encore: Bohémiens!

      De cet homme qui, lorsqu'il se dispose à jouer, choisit d'abord la chaise la plus haute afin de dominer son adversaire; qui approche toujours les cartes le plus près possible de la personne contre laquelle il joue lorsqu'il donne à couper, afin qu'elle ne remarque pas le pont qu'il vient de faire, et qui file la carte avec une si merveilleuse adresse: Bohémien!

      De ces directeurs de compagnies en commandites et par actions, dont la caisse, semblable à celle de Robert Macaire, est toujours ouverte pour recevoir les fonds des nouveaux actionnaires, et toujours fermée lorsqu'il s'agit de payer les dividendes échus: Bohémiens!

      De ces directeurs d'agences d'affaires ténébreuses, de mariages, de placement ou d'enterrement, oui d'enterrement, il ne faut pas que cela vous étonne: bohémiens ou plutôt fripons; mais fripons musqués, gantés, éperonnés, décorés, tirés à quatre épingles, auxquels le procureur du roi donne la main et qui sont salués par le commissaire de police.

      Dans un des passages ouverts sur le boulevard, au centre d'un des plus riches et des plus brillants quartiers de la bonne ville de Paris, tout près d'un théâtre où les rôles de père nobles, de jeunes amoureux, et de grandes coquettes, sont remplis par des bambins de huit à dix ans, est un établissement dans lequel, à toutes les heures du jour et de la soirée, on peut être certain de rencontrer quelques-uns des membres de la grande bohême parisienne: cet établissement, situé dans la partie la plus obscure du passage en question, échappe aux regards des passants. L'honnête homme, qui par hasard, entre là pour y prendre sa demi-tasse ou sa canette de bière, s'y trouve dépaysé; il y est gêné sans savoir pourquoi. Il prend pour des diplomates, tous ces gens si superbement vêtus; les rubans rouges qui brillent à toutes les boutonnières l'éblouissent, et lorsqu'il sort, il est tout prêt de demander à la dame du comptoir pardon de la liberté grande.

      L'établissement dont nous venons de parler, ne ressemble pas, on le voit de reste, à celui de la rue de la Tannerie. D'élégants guéridons de marbre blanc, remplacent les tables couvertes de toile cirée; des divans tiennent la place des mauvais tabourets; le comptoir est resplendissant de dorures, et derrière, sur un siége qui ressemble beaucoup à un trône, se carre une jeune et jolie femme. Le maître de céans ne ressemble pas à un limonadier ordinaire. Il ne porte pas le gilet piqué blanc, et la cravate de mousseline que ses confrères paraissent avoir adopté. Il n'a jamais sous le bras l'indispensable serviette; sa tournure, toutes les habitudes de son corps, ses moustaches grisonnantes taillée en brosse, le font ressembler plutôt à un ex-officier de grosse cavalerie. Il donne des poignées de main à ceux de ses habitués dont la bourse paraît pour le moment bien garnie; sa voix est brève, rude même, lorsqu'il s'adresse à ceux d'entre eux qui paraissent éprouver une gêne momentanée.

      Le débit des canettes de bière, des demi-tasses et des verres d'absinthe est la moindre branche du commerce de ce limonadier. Si un jeune homme de famille, disposé à manger son bien en herbe, est conduit dans son guêpier, il y sera adulé, choyé, fêté de toutes les manières: Monsieur lui racontera les campagnes qu'il n'a pas faites; madame qui ne veut pas oublier qu'elle a été jolie, lui octroiera ses plus gracieux sourires, si le jeune homme a besoin d'argent, eh bon Dieu, monsieur, lui dira-t-on, pourquoi n'avez-vous pas parlé plus tôt, je vous aurais prêté sans intérêt la somme dont vous avez besoin, mais adressez-vous à monsieur un tel, si vous voulez je vous conduirai chez lui, et le jeune homme est circonvenu de tous les côtés, on ne lui laisse pas le temps de réfléchir, il souscrit enfin des lettres de change à l'usurier qui lui donne en échange une faible somme d'argent et une collection de tableaux apocryphes; le limonadier partage le profit et le jeune homme est dépouillé du reste par les compères.

      —Monsieur *** est de première force au billard, monsieur *** joue supérieurement bien à l'écarté; et il a toujours sous la main des compères prêts à le servir de toutes les manières, pourvu qu'ils aient leur part du gâteau, aussi est-il toujours prêt à jouer tout ce qu'on désire.

      Monsieur *** avance de l'argent à ceux de ses habitués qui en ont besoin pour terminer une affaire, et partage avec eux les bénéfices; il donne ou fait donner sur leur compte de bons renseignements moyennant finance, etc. Enfin, il a plusieurs cordes à son arc et ces cordes sont constamment tendues.

      Il était un peu plus de six heures du soir, les garçons allumaient le gaz dans l'établissement en question, et les habitués venaient de sortir pour aller dîner; il ne restait dans la salle que ceux qui étaient intéressés dans une partie engagée entre le maître de la maison et un très-beau jeune homme, et deux étrangers, placés à une table voisine de celle occupée par les joueurs, qui suivaient avec beaucoup d'intérêt toutes les phases de la partie.

      La présence de ces deux hommes paraissait importuner les joueurs, qui auraient probablement manifesté le mécontentement qu'ils éprouvaient si la mine résolue et la tournure tout à fait dégagée de ces profanes, ne leur avait pas imposé une certaine retenue.

      —Nous sommes dans un étouffe[209], dit à voix basse à son compagnon celui des deux qui paraissait le plus âgé, et le plus jeune des deux joueurs est un pigeon que les autres sont en train de plumer.

      —Cela me fait cet effet-là.

      —Il n'y a pas de doute, ce petit qu'ils ont nommé de Préval, fait le sert[210] à celui qui tient les cartes.

      La partie était terminée, le jeune homme avait perdu, il tira pour payer son adversaire un portefeuille gonflé de billets de banque.

      —Le sinve a le sac[211], dit le plus jeune des deux étrangers, si nous pouvions lui hisser le gandin[212], cela nous remettrait à flot.

      —Laisse-moi faire et tout ira bien, répondit l'autre, puis il s'approcha du limonadier à moustaches grises et lui dit quelques mots à l'oreille, celui-ci le regarda d'un air courroucé.

      —C'est comme cela, lui dit à voix basse l'étranger, sans paraître beaucoup ému de ses regards menaçants; c'est comme cela, encore cette partie, mais qu'elle soit la dernière, je ne veux pas laisser dépouiller devant moi un compatriote.

      Monsieur veut peut-être le dépouiller lui-même? dit Préval, qui avait entendu les quelques paroles que nous venons de rapporter.

      —Peut-être bien, mon jeune monsieur!... répondit Duchemin... Nos lecteurs, sans doute, l'ont déjà reconnu, ainsi que son compagnon Salvador. Est-ce que cela vous déplairait?

      De Préval ne releva pas cette provocation indirecte et le jeune homme ayant perdu la partie avec autant de bonne grâce que la première fois. Le combat finit faute de combattants.

      Quelques instants après, le jeune homme, Salvador et Duchemin, étaient à peu près seuls dans le café.

      —Je crois, dit ce dernier, que nous sommes compatriotes.

      —Nous sommes, au moins, de la même province! répondit gracieusement le jeune homme... Je suis du village de Pourrières en Provence.

      —Et moi je suis de Trets, à moins de deux lieues de chez vous; mais vous connaissez peut-être ma famille, je me nomme Roman.

      Salvador poussa le coude de son ami.

      —Quelle imprudence! lui dit-il.

      —Laisse donc, répondit Roman; mon centre d'altèque n'est pas plus mouchique que


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