Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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foule de cousins des deux sexes et à divers degrés que je ne fis qu'entrevoir), m'aimaient beaucoup, sans doute; ils m'inspiraient infiniment de respect, mais je ne me plaisais pas chez eux, j'avais froid dans leur salon; lorsque je les voyais marcher ou parler avec une gravité composée, je me figurais avoir devant les yeux deux portraits famille, auxquels la baguette d'une fée aurait donné l'existence.

      Je ne trouvais donc pas chez mes grands parents des distractions en harmonie avec mon âge et la manière dont j'avais été élevé.

      J'étais possédé d'un extrême besoin de mouvement, d'une soif de voir des choses nouvelles qui ne trouvaient pas chez eux, de quoi se satisfaire; j'allai donc chercher ailleurs les distractions qui me manquaient.

      Lorsque mon précepteur voulut me faire des remontrances, je lui dis, avec beaucoup de tranquillité, que je ne faisais rien que ne fissent tous les jeunes gens de mon âge et de ma condition, qu'il ne devait pas se montrer plus sévère que ne le serait mon père en pareille occasion; que je savais assez ce que je devais à la dignité de mon nom pour ne jamais le compromettre; que, du reste, j'étais assez âgé pour ne plus avoir besoin de mentor. Le brave homme se le tint pour dit; ce qu'il craignait par-dessus tout, c'étaient les discussions et pour n'en plus avoir avec moi, il me mit la bride sur le cou. Me voilà donc à dix-huit ans maître absolu ou à peu près de mes actions (mes oncles, qui comptaient sur mon précepteur, ne s'occupaient de moi que pour me donner des conseils que j'écoutais avec toutes les apparences du plus parfait recueillement).

      Voulant profiter de cette douce liberté, je me mis à fréquenter les cafés et le théâtre. Je me liai avec tous les jeunes habitués de ces lieux de plaisir. Mon nom, très-estimé dans toute la Provence, la fortune que je devais posséder un jour, me donnaient une certaine autorité sur mes jeunes compagnons de plaisir, qui formaient autour de moi une petite cour toujours prête à me flatter. J'étais de toutes les parties, de toutes les fêtes et comme je ne me montrais pas très-sévère sur le choix de mes compagnons, on trouvait généralement que j'étais un très-bon garçon. Je crois vous avoir dit déjà que j'étais assez adroit à tous les exercices du corps; celui que j'affectionnais particulièrement était l'escrime; mes compagnons me parlaient sans cesse d'un maître, nommé Louiset dit Belle-Pointe, dont la salle était fréquentée par tout ce que la ville renfermait de jeunes gens riches et désœuvrés, et auquel on accordait beaucoup de talent. Je n'eus pas plutôt manifesté le désir de le connaître que mes amis me menèrent chez lui.

      Louiset Belle-Pointe était maître d'armes dans toute l'acception du terme, il ne parlait que de tierces, de quartes, de coups fourrés. Il était bavard et il aimait à boire, ce qui ne l'empêchait pas d'être aussi rusé qu'un singe, d'aimer passionnément l'argent (il ne buvait que le vin qu'on lui payait), et de trouver bons tous les moyens qui pouvaient lui en procurer. Louiset reçut très-bien le jeune comte de Pourrières; il m'apprit toutes les finesses de son art, et quelques semaines ne s'étaient pas écoulées que j'étais devenu le commensal le plus assidu, l'ami le plus intime du maître d'armes.

      Ce n'étaient, je vous l'assure, ni ma passion pour l'escrime, ni l'envie d'écouter les discours un peu décolletés du maître d'armes qui m'attiraient chez lui.

      J'avais remarqué sa fille, et j'en étais devenu passionnément amoureux.

      C'était véritablement une très-jolie fille que mademoiselle Jazetta Louiset; elle avait une de ces physionomies spirituelles et piquantes qui plaisent au premier coup d'œil, et de beaux yeux noirs admirables, des cheveux de la même couleur; ses pieds et ses mains étaient d'une forme tout à fait aristocratique; c'était, en un mot, la plus délicieuse créature qui se puisse imaginer, gaie, vive, toujours prête à chanter les plus jolis airs de notre joyeuse Provence, et dix-sept ans à peine.

      Jazetta avait été élevée par une sœur de sa mère, aussi laide et disgracieuse que sa nièce était aimable et jolie, cette femme était Italienne; les amis de Louiset disaient tout bas: (le maître d'armes avait la main malheureuse), qu'elle avait exercé à Gênes, sa patrie, le plus ignoble métier, et que c'était pour se soustraire aux poursuites de la justice qu'elle s'était réfugiée à Marseille. Que ce fut ou non calomnie, toujours est-il que cette femme était la plus immorale de toutes les créatures; elle avait inculqué à sa nièce les plus détestables principes; grâce à ses leçons, Jazetta était aussi rouée à dix-sept ans que l'est ordinairement à trente une femme qui a beaucoup vécu. Ce que je vous dis là, je ne l'ai su que plus tard; je ne voyais alors les choses de la vie qu'à travers le prisme que nous avons tous devant les yeux lorsque nous avons vingt ans. J'aimais Jazetta comme on n'aime qu'une fois dans la vie, je l'aimais pauvre, je l'eusse aimée riche; je croyais qu'elle était comme moi, et vraiment il était difficile de croire que des promesses menteuses pouvaient sortir de cette bouche si rose et si fraîche, et qu'il n'y avait dans cette jeune poitrine qu'une vieille éponge raccornie à la place du cœur.

      Louiset, sa fille et la vieille Génoise m'exploitaient de concert; Jazetta désirait qu'une brillante toilette ajoutât de nouveau charmes à tous ceux qu'elle possédait déjà; elle voulait, disait-elle, être toujours belle pour me plaire toujours. Je trouvais cela tout naturel, et je la mettais à même de choisir, parmi les plus-riches tissus et les bijoux les plus élégants, les objets, de sa parure. Je prêtais de l'argent à Louiset, dont je voulais conserver les bonnes grâces, et la tante, qui favorisait mes entrevues avec sa nièce, et qui me paraissait alors une très-estimable femme, trouvait tous les jours un moyen nouveau de faire de rudes saignées à ma bourse.

      Ma pauvre bourse, elle était devenue étique à force d'être pressurée; j'avais emprunté à mes nouveaux amis tout ce qu'ils avaient voulu me prêter; mon précepteur, qui n'avait plus d'argent, n'osait pas en demander à mon père; il était en effet assez difficile de justifier à ses yeux la dissipation totale de la somme assez forte qu'il nous avait remise lors de notre départ de Pourrières. Jazetta, qui me demandait depuis plusieurs jours un objet d'une valeur assez considérable que je n'avais pu lui donner, me faisait la moue; Louiset, à qui l'on réclamait, (il me l'avait dit du moins), le payement d'un billet, me rudoyait; la tante avait des scrupules, j'étais désespéré.

      Un certain matin, à la suite d'une légère altercation avec Jazetta, j'étais plus morose encore que d'habitude; Louiset, qui paraissait avoir bu quelques verres de vin de trop, s'approcha de moi. «Ne soyez donc pas aussi triste, me dit-il; il faut bien souffrir ce qu'on ne peut empêcher; faites comme moi, au premier jour, je vais être jeté en prison...»

      —Mon pauvre Louiset, dis-je à mon tour au maître d'armes qui venait de me porter une botte secrète sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, si j'étais le maître de ma fortune, vous n'iriez pas en prison.

      —Je sais bien, je sais bien, répondit Louiset; mais si c'est que vous n'avez pas d'argent que vous êtes aussi triste, pourquoi ne cherchez-vous pas à vous en procurer?

      —Et quels moyens voulez-vous que j'emploie? En demander à mon père, il ne m'en donnera pas; j'en ai emprunté à tous mes amis...

      —Si j'étais le comte de Pourrières, je mettrais ma signature au bas d'une feuille de papier timbré, et j'irais trouver Josué qui m'obligerait avec infiniment de plaisir.

      —Est-ce que vraiment vous croyez que ce juif...

      —Le métier de Josué est d'obliger les jeunes gens de famille qui se trouvent momentanément gênés.

      Les paroles de Louiset n'étaient pas tombées dans l'oreille d'un sourd; aussi le même jour il me conduisait chez le juif Josué qui voulut bien me prêter une assez forte somme à raison de 5 pour 100 d'intérêt... par mois.

      Lorsque cette somme fut dans ma poche, Jazetta redevint aimable, Louiset, dont je payais les dettes réelles ou prétendues, me démontra un coup de seconde qu'il n'avait encore démontré à personne, la tante n'eut plus de scrupules. Tout alla donc au gré de mes désirs pendant un certain temps. Lorsque ma bourse fut de nouveau vide, les visages redevinrent sombres autour de moi. Je fis une nouvelle visite au juif.

      Comme vous devez bien le penser, tout entier à l'amour que j'éprouvais,


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