Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs
garde des sceaux, à ses amis et à son gendre,[T.I pag.142] M. le Tellier, à Catinat[257] et à Marle[258]; le Boultz, maître des requêtes, à Metz[259]; M. de la Vrillière, à Phélypeaux[260], et en Touraine, à quelques-uns de condition. Il faut adresser des lettres du roi pour faire donner à Dutronchet et Bonneau-Rebel, et en tirer réponse; à Bourges, à M. Fraguier. Son Éminence peut faire écrire à M. Godart[261] et à M. Bénard. Si M. de Bellièvre[262] veut, M. Servin[263] viendra; s'il est bien intentionné, il faut qu'il en donne cette preuve. M. Servin peut faire venir M. de Bauquemare[264]. Si Gargan[265] est bien avec la cour, il faut qu'il envoie son neveu de Larche[266]; et M. de la Basinière[267], Voysin. Il faut faire écrire à M. Baillif, maître des comptes, qu'il fasse venir un de ses gendres, M. le Prêtre ou[T.I pag.143] M. Lallement. Savoir du marquis de Mortemart s'il pourrait tenter Foucaut[268], en lui promettant toutes les choses qui le peuvent toucher. M. Ménardeau avait promis son frère. Écrire à M. de Bellejambe[269] de faire venir son fils. Lefebvre la Barre[270] a pouvoir sur le Vasseur[271] et sur Vassan[272]. Le marquis de la Vieuville[273] pourrait écrire à Malo[274]; M. le grand prévôt[275], à Nevelet[276], son beau-frère. Mais il faut parler à tous ces gens-là avec chaleur et s'y appliquer fortement, et faire achever de donner aux présents les mille francs promis, même à Bretinières et à Bordier[277], et aux autres qui restent à payer, et avoir ici un intendant des finances pour veiller à tout.»[T.I pag.144]
Nicolas Fouquet mettait, comme on le voit, un zèle ardent à organiser ce parlement qui devait paralyser l'influence des magistrats restés à Paris. C'est certainement à son influence qu'il faut attribuer les deux mesures que la cour adopta presque immédiatement: la première fut un arrêt du conseil du roi, en date du 18 juillet, qui annulait l'élection du prévôt des marchands faite dix jours auparavant, et maintenait dans sa dignité l'ancien prévôt Lefèvre, alors absent de Paris. Le 31 juillet, un nouvel arrêt du conseil du roi ordonna la translation du parlement de Paris à Pontoise, où la cour s'était rendue. Il fut enjoint à tous les membres de ce corps de se transporter au lieu fixé, sous peine d'interdiction et de privation de leurs charges. En même temps la chambre des comptes, la cour des aides et le grand conseil étaient transférés à Mantes. Tous ces actes de vigueur annonçaient l'intention de relever l'autorité royale. Mais c'était peu de rendre des ordonnances; il fallait en assurer l'exécution, surtout en ce qui concernait le parlement. Ce fut encore Nicolas Fouquet qui s'en occupa. Il rédigea un projet de déclaration pour contraindre le parlement à obéir,[T.I pag.145] adressa à ses substituts une lettre dans le même sens, et écrivit à tous les parlements du royaume pour leur faire part des ordres du roi.
Le projet de déclaration, écrit tout entier de la main du procureur général, porte «que le roi avait eu dessein de tirer son parlement de l'oppression en laquelle il s'est trouvé à Paris depuis quelque temps; que, pour cet effet, Sa Majesté avait envoyé ses lettres de translation du parlement en la ville de Pontoise, portant interdiction de toutes fonctions et exercice de leurs charges en la ville de Paris et injonction de cesser toutes délibérations; que lesdites lettres patentes, après avoir été communiquées par le substitut du procureur général du roi aux principaux de la compagnie, auraient été par lui portées sur le bureau de la Grand'Chambre, toutes les chambres étant assemblées, lequel leur avait fait entendre la teneur desdites lettres et la volonté du roi[278]. Sur quoi, au lieu de déférer et cesser leurs délibérations, ils auraient pris les voix, et, sans porter aucun respect aux ordres de Sa Majesté, auraient arrêté que les lettres du roi ne seraient point lues, et même aucuns d'entre eux auraient été si téméraires de maltraiter et emprisonner des colporteurs qui vendaient des copies imprimées de ladite translation, pour ôter au peuple la connaissance des intentions de Sa Majesté; que non-seulement ils ont continué leurs fonctions en la manière accoutumée, mais ont fait défense aux échevins de lu ville de déférer aux ordres du roi, et ont été assez[T.I pag.146] osés de casser l'établissement du parlement en la ville de Pontoise, quoiqu'il eût été fait par le roi en personne; auraient annulé les arrêts du parlement légitime, et se seraient portés jusques à cet excès d'avoir dressé des actes qu'ils qualifient du nom d'arrêts contre ceux des officiers et fidèles serviteurs du roi qui ont témoigné leur obéissance et tiennent le parlement par ses ordres, ne se voulant pas contenter d'être dans la rébellion et félonie, mais voulant intimider les autres et les empêcher de demeurer fidèles, et ce par un mépris et une désobéissance punissables.
«A ces causes, leur enjoindre de se rendre dans trois jours, pour tous délais, en ladite ville de Pontoise, satisfaire à la déclaration du dernier juillet, autrement et à faute de ce faire, ledit temps passé, que ceux qui continueront la fonction et exercice de leurs charges dans Paris et assisteront aux assemblées tenues par lesdits officiers du parlement, sous quelque prétexte que ce puisse être, seront déclarés traîtres et rebelles au roi, leur procès fait et parfait suivant la rigueur des ordonnances, leurs biens acquis et confisqués au roi, les deniers en provenant appliqués au payement des gens de guerre, les maisons rasées, les bois abattus et les offices supprimés, sans qu'ils puissent revivre, pour quelque cause et occasion que ce soit, en faveur d'eux, leurs résignataires, leurs veuves ou héritiers.
«Et parce qu'il ne serait pas raisonnable que ceux qui ont obtenu des survivances fussent punis de la faute qu'ils n'auraient pas commise, enjoint à eux de se rendre pareillement dans trois jours en ladite ville de[T.I pag.147] Pontoise, pour y exercer les charges èsquelles ils ont été reçus au défaut de ceux qui les possèdent à présent; autrement les survivances seront révoquées et les offices supprimés. Et, attendu la difficulté de faire la signification à chacun des intéressés, en particulier, de ladite déclaration, ordonne que la publication qui en sera faite et les affiches qui en seront mises en cette ville de Pontoise serviront comme significations faites à leur propre personne.»
En même temps, Nicolas Fouquet écrivait à ses substituts pour les engager à se rendre à Pontoise. Le ton de sa lettre[279] était plus modéré: «Messieurs, leur disait-il, le roi ayant voulu transférer le parlement hors de Paris, je crois qu'en qualité de son procureur général, je suis plus obligé de suivre ses ordres et exécuter ses commandements qu'aucun de ses officiers et de ses sujets, et comme vous êtes tous obligés de demeurer unis dans ce même dessein et dans une même intention de vous conformer à tout ce que ma charge exige de moi, j'espère qu'il n'y aura aucun de vous qui veuille ni desservir le roi en lui désobéissant ni me désobliger en prenant une conduite contraire à la mienne. C'est la raison pour laquelle j'ai cru à propos de vous informer que mon intention est de demeurer ferme dans la fidélité que je dois au roi; faire ma charge dans le parlement au lieu où il lui a plu de l'établir par sa dernière déclaration, et de vous convier d'y venir rendre le service que vous devez auprès de moi. Ceux qui y viendront[T.I pag.148] me feront plaisir. Je ne suis pas si déraisonnable que je prétende appeler ceux qui, par des raisons domestiques, auraient peine à quitter leur famille si promptement sans en recevoir de l'incommodité. Je laisse cela en la liberté de chacun, et n'y puis trouver à redire; mais, au moins, je souhaite que ceux qui demeureront à Paris n'aillent plus au Palais et ne fassent plus de fonctions de substituts. Autrement j'aurais sujet de me plaindre d'eux, et ils auraient regret de me l'avoir donné.»
Un manifeste royal, en forme de lettres patentes, fut adressé à tous les parlements de France et leur fit connaître les motifs de la translation du parlement de Paris à Pontoise. Nicolas Fouquet y joignit la circulaire suivante aux procureurs généraux: «Vous apprendrez, par les lettres patentes du roi, dont copie est ci-jointe, les raisons qui ont obligé le roi de transférer son parlement de Paris en une autre ville, lesquelles je n'entreprends point de vous répéter; seulement vous dirai-je que les violences y ont été si grandes contre ceux qui se sont montrés inébranlables dans la fidélité qu'ils doivent au roi, que la plupart ont été obligés, il y a déjà longtemps, d'abandonner leurs maisons et se retirer hors la ville. Pour moi, j'ai suivi leur exemple en conséquence des ordres que j'en ai reçus du roi, lesquels ceux qui ont l'honneur de posséder les charges que nous avons sont tenus d'écouter avec plus de respect et plus exactement que tous les autres. Je vous supplie de vouloir présenter à votre compagnie en diligence lesdites lettres patentes