Ida et Carmelita. Hector Malot

Ida et Carmelita - Hector Malot


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du Rigi-Vaudois que le colonel s'était arrêté en venant de Paris; et séduit par le calme autant que par la belle vue, il y avait pris un appartement de trois pièces ouvrant leurs fenêtres sur le lac: une chambre pour lui, une salle à manger où on le servait seul, et une chambre pour Horace.

      Il sortait le matin de bonne heure, son alpenstock ferré à la main, un petit sac sur le dos, les pieds chaussés de bons souliers à semelles épaisses et garnies de gros clous et il ne rentrait que dans la soirée, quand il rentrait; car il arrivait souvent que ses excursions l'ayant entraîné au loin, il couchait dans un chalet de la montagne ou dans une auberge d'un village éloigné.

      On ne le voyait guère, et le soir quand on entendait de gros souliers ferrés résonner dans le corridor, on savait seulement qu'il rentrait; le matin, en entendant le même pas, on savait qu'il sortait.

      Ceux qui occupaient les chambres situées sous les siennes entendaient aussi parfois, dans le silence de la nuit, la marche lente et régulière de quelqu'un qui se promenait, et l'on savait que cette nuit-là, ne pouvant rester au lit, il avait arpenté son appartement.

      Enfin ceux des pensionnaires qui, dans la soirée, allaient respirer le frais sur l'esplanade qui domine le lac, apercevaient souvent, en se retournant vers l'hôtel, une grande ombre accoudée à une fenêtre. C'était le colonel, qui restait là à regarder la lune brillant au-dessus des montagnes sombres de la Savoie et frappant les eaux tranquilles du lac de sa lumière argentée.

      C'étaient là les seuls signes de vie qu'il donnât, et souvent même on aurait pu penser qu'il était parti, si l'on n'avait pas vu son valet de chambre promener mélancoliquement, dans le jardin de l'hôtel et dans les prairies environnantes, son ennui et son impatience.

      —Cela durera donc toujours ainsi? se disait Horace.

      Mais ce mot, il le prononçait tout bas et lorsqu'il était seul.

      Car, bien qu'il s'ennuyât terriblement au Glion et qu'il regrettât Paris au point d'en perdre l'appétit, il respectait trop son maître pour se permettre une seule question sur ce séjour.

      S'il avait pu seulement écrire à Paris, au moins il aurait ainsi expliqué son absence, qui devait paraître incompréhensible. Que devait-on penser de lui? Il avait la religion de sa parole, et c'était pour lui un vrai chagrin d'y manquer. A vrai dire, même, c'était sa grande inquiétude; car de croire qu'on pouvait l'oublier ou le remplacer, il ne le craignait pas.

      Un jour qu'il avait été s'asseoir sur la route qui monte de Montreux au Glion, à l'entrée d'une grotte tapissée de fougères qui se trouve à l'un des détours de cette route, il vit venir lentement, au pas, une calèche portant trois personnes: deux dames assises sur le siège de derrière, un monsieur placé sur le siège de devant.

      Et tout en regardant cette calèche qui s'avançait cahin-caha, il se dit que les voyageurs qu'elle apportait allaient être bien désappointés en arrivant, car il n'y avait pas d'appartement libre en ce moment à l'hôtel.

      Ah! comme il eût volontiers cédé sa chambre et celles de son maître, à ces voyageurs, à condition qu'ils lui auraient offert leur calèche pour descendre à la station, où il se serait embarqué pour Paris.

      Cependant la voiture avait continué de monter la côte et elle s'était rapprochée.

      Tout à coup il se frotta les yeux comme pour mieux voir. L'une des deux dames était vieille, avec des cheveux gris et une figure jaune; l'autre était jeune, avec des cheveux noirs et un teint éblouissant, qui renvoyait les rayons de la lumière.

      Il semblait que ces deux femmes fussent la comtesse Belmonte et sa fille, la belle Carmelita.

      Il s'était avancé sur le bord de la route pour mieux regarder au-dessous de lui. Mais à ce moment la voiture était arrivée à l'un des tournants du chemin, et brusquement les deux dames, qu'il voyait de face, ne furent plus visibles pour lui que de dos.

      Seulement, par une juste compensation de cette déception, le monsieur qui lui faisait vis-à-vis devint visible de face.

      C'était un homme de grande taille, avec une barbe noire, mais cette barbe était tout ce qu'on pouvait voir de son visage; car, en regardant d'en haut, l'oeil était arrêté par les rebords de son chapeau, qui le couvraient jusqu'à la bouche.

      A un certain moment, il releva la tête vers le sommet de la montagne, et Horace le vit alors en face.

      Il n'y avait pas d'erreur possible, c'était le prince Mazzazoli accompagnant sa soeur et sa nièce.

      Pendant que la voiture avançait, Horace se demanda quel effet cette arrivée allait produire sur son maître.

      Quelle heureuse diversion cependant pourrait jeter dans leur vie la belle Italienne, si le colonel voulait bien ne pas se sauver au loin comme un sauvage.

      Quel malheur qu'il n'y eût pas de chambres libres en ce moment à l'hôtel du Rigi-Vaudois!

      Pendant qu'il cherchait à arranger les choses pour le mieux, c'est-à-dire à trouver un moyen de garder le prince et sa nièce, la calèche était arrivée vis-à-vis la grotte.

      —Comment! vous ici, Horace? s'écria le prince en se penchant en avant.

      Horace s'était avancé.

      —Est-ce que le colonel est en Suisse? demanda la comtesse Belmonte.

      A cette question de la comtesse, Horace se trouva assez embarrassé; car sans savoir si son maître serait ou ne serait pas bien aise de voir des personnes de connaissance, il n'avait pas oublié la consigne qui lui avait été donnée.

      Comme il hésitait, ce fut mademoiselle Belmonte qui l'interrogea.

      —Comment se porte le colonel? dit-elle.

      Il était ainsi fait, qu'il ne savait ni résister, ni rien refuser à une femme.

      —Hélas! pas trop bien, répondit-il.

      —Et où donc êtes-vous présentement? demanda le prince.

      Horace en avait trop dit pour refuser maintenant de répondre.

      Il dit donc que son maître et lui étaient à l'hôtel du Rigi-Vaudois.

      —A l'hôtel du Rigi-Vaudois, vraiment? Quelle bizarre coïncidence! c'était là justement qu'ils allaient.

      —Le cocher nous disait qu'il n'y avait pas de chambres vacantes en ce moment, continua la comtesse. Est-ce que cela est vrai? le savez-vous?

      Hélas! oui, il le savait et il fut bien obligé d'en convenir.

      A l'hôtel, le Kellner répéta au prince Mazzazoli ce qu'Horace avait déjà dit:

      —Il n'y avait pas d'appartement disponible en ce moment. Si Son Excellence avait pris la peine d'envoyer une dépêche, quelques jours à l'avance, on aurait été heureux de se conformer à ses ordres; mais on ne pouvait pas déposséder les personnes arrivées depuis longtemps, pour donner leurs appartements à des nouveaux venus, si respectables que fussent ceux-ci.

      Horace voulut intervenir, mais ce fut inutilement.

      —La seule chambre libre en ce moment est celle qui sert de salle à manger à votre maître, et encore n'est-ce pas ce qu'on peut appeler une chambre libre; elle ne le deviendrait que s'il voulait bien la céder.

      A ce mot, le prince, qui avait tout d'abord montré un vif mécontentement, se radoucit, et, se tournant vers Horace:

      —Est-ce que le colonel tient beaucoup à cette chambre? demanda-t-il; en a-t-il un réel besoin? Si je me permets cette insistance, c'est que nous nous trouvons placés dans des conditions toutes particulières. Le séjour de Paris, dans un air mou et vicié, a été contraire à la santé de madame la comtesse Belmonte; on lui a ordonné, comme une question de vie ou de mort, l'habitation, pendant quelque temps, dans une haute station atmosphérique, et c'est là ce qui nous a fait choisir le Glion,


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