Les liaisons dangereuses. Choderlos de Laclos
comme j’ai commencé, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandé de m’entendre; j’oserai plus: je vous prierai de me répondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensée, et mon cœur m’est garant que mon respect égale mon amour.
P.-S.—Vous pouvez vous servir, pour me répondre, du même moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette lettre; il me paraît également sûr et commode.
De..., ce 18 août 17**.
LETTRE XVIII
CÉCILE VOLANGES à SOPHIE CARNAY.
Quoi! Sophie, tu blâmes d’avance ce que je vais faire! J’avais déjà bien assez d’inquiétudes; voilà que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise, et d’ailleurs tu ne sais pas au juste ce qui en est; tu n’es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre, et tu as bien vu, par ma lettre d’hier, que je ne le voulais pas non plus; mais c’est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas où je suis.
Et encore être obligée de me décider toute seule! Mme de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n’est pas venue. Tout s’arrange contre moi, c’est elle qui est cause que je le connais. C’est presque toujours avec elle que je l’ai vu, que je lui ai parlé. Ce n’est pas que je lui en veuille du mal, mais elle me laisse là au moment de l’embarras. Oh! je suis bien à plaindre!
Figure-toi qu’il est venu hier comme à l’ordinaire. J’étais si troublée que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler parce que maman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant après il me demanda si je voulais qu’il allât chercher ma harpe. Le cœur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre que oui. Quand il revint, c’était bien pis. Je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardait pas, lui, mais il avait un air qu’on aurait dit qu’il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, et après, en me l’apportant, il me dit: «Ah! Mademoiselle!...» Il ne me dit que ces deux mots-là, mais c’était d’un ton que j’en fus toute bouleversée. Je préludais sur ma harpe sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s’excusa, en disant qu’il était un peu malade, et moi, qui n’avais pas d’excuse, il me fallut chanter. J’aurais voulu n’avoir jamais eu de voix. Je choisis exprès un air que je ne savais pas; car j’étais bien sûre que je ne pourrais en chanter aucun, et on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite, et, dès que j’entendis entrer un carrosse, je cessai et le priai de reporter ma harpe. J’avais bien peur qu’il ne s’en allât en même temps, mais il revint.
Pendant que maman et cette dame qui était venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de détourner les miens. Un moment après je vis ses larmes couler, et il fut obligé de se retourner pour ne pas être vu. Pour le coup, je ne pus y tenir, je sentis que j’allais pleurer aussi. Je sortis, et tout de suite j’écrivis avec un crayon, sur un chiffon de papier: «Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie; je promets de vous répondre». Sûrement, tu ne peux pas dire qu’il y ait du mal à cela; et puis c’était plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa lettre était, et je revins dans le salon. Je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette dame s’en fut. Heureusement, elle était en visite, elle s’en alla bientôt après. Aussitôt qu’elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma harpe, et je le priai de l’aller chercher. Je vis bien, à son air, qu’il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh! comme il était content! En posant ma harpe vis-à-vis de moi, il se plaça de façon que maman ne pouvait voir, et prit ma main qu’il serra... mais d’une façon!... ce ne fut qu’un moment, mais je ne saurais te dire le plaisir que ça m’a fait. Je la retirai pourtant; ainsi je n’ai rien à me reprocher.
A présent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui écrire, puisque je le lui ai promis; et puis je n’irai pas lui refaire du chagrin, car j’en souffre plus que lui. Si c’était pour quelque chose de mal, sûrement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir à écrire, surtout quand c’est pour empêcher quelqu’un d’être malheureux? Ce qui m’embarrasse, c’est que je ne saurai pas bien faire ma lettre; mais il sentira bien que ce n’est pas ma faute, et puis je suis sûre que rien que de ce qu’elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir.
Adieu, ma chère amie. Si tu trouves que j’ai tort, dis-le-moi; mais je ne crois pas. A mesure que le moment de lui écrire approche, mon cœur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l’ai promis. Adieu.
De..., ce 20 août 17**.
LETTRE XIX
CÉCILE VOLANGES au Chevalier DANCENY.
Vous étiez si triste, hier, monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la lettre que vous m’avez écrite. Je n’en sens pas moins aujourd’hui que je ne le dois pas; pourtant, comme je l’ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver l’amitié que j’ai pour vous. A présent que vous le savez, j’espère que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J’espère aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit; parce que sûrement on m’en blâmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J’espère surtout que vous-même n’en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n’aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus être triste comme vous étiez, ce qui m’ôte tout le plaisir que j’ai à vous voir. Vous voyez, monsieur, que je vous parle bien sincèrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours, mais, je vous en prie, ne m’écrivez plus.
J’ai l’honneur d’être,
Cécile Volanges.
De..., ce 20 août 17**.
LETTRE XX
La Marquise de MERTEUIL au Vicomte de VALMONT.
Ah! fripon, vous me cajolez de peur que je me moque de vous? Allons, je vous fais grâce, vous m’écrivez tant de folies qu’il faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre présidente. Je ne crois pas que mon chevalier eût autant d’indulgence que moi, il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J’en ai pourtant bien ri, et j’étais vraiment fâchée d’être obligée d’en rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où m’aurait menée cette gaieté; mais j’ai eu le temps de la réflexion et je me suis armée de sévérité. Ce n’est pas que je refuse pour toujours, mais je diffère et j’ai raison. J’y mettrais peut-être de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où l’on s’arrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre présidente; et si j’allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale! Pour éviter ce danger, voici mes conditions.
Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m’en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n’ignorez pas que dans les affaires