Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps. Amédée Roux

Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps - Amédée Roux


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investi du gouvernement de toute la province, voulut attirer son neveu près de lui; mais la vie de garnison n'était pas le fait du jeune capitaine, qui courait volontiers là où il y avait le plus de dangers à affronter et le plus d'honneur à recueillir; il refusa donc les offres de son oncle et partit pour l'Allemagne, jaloux qu'il était de combattre sous les ordres du duc de Weymar. C'était au lendemain de l'assassinat de Waldstein; l'armée impériale étant alors commandée par d'habiles généraux tels que Jean de Wert et Piccolomini, le marquis de Salles prit, dès l'abord, sa part de la sanglante défaite de Nordlingue, qui ruina complétement les affaires des Suédois triomphants jusqu'à ce jour, et força les débris de leurs troupes joints à l'armée de Weymar, à se replier sur le Rhin, où ils furent soutenus par les corps de la Force et de Brezé. En dépit de ce renfort, la fortune continua de favoriser les Impériaux qui s'emparèrent de Philipsbourg, où Arnaud surpris fut obligé de capituler après une vigoureuse défense. Mais avant de poursuivre le récit des campagnes du marquis de Salles, il me reste à raconter en peu de mots les derniers événements de la vie de son frère.

      Montausier se trouvait toujours dans une fausse situation dont la mort de son tyran, Mme Aubry, ne suffit pas à le tirer [22]. C'était vainement, en effet, qu'il se voyait libre désormais d'aller à l'hôtel de Rambouillet autant de fois qu'il lui plaisait: en vieillissant, Julie d'Angennes sentait croître son aversion pour le mariage et répétait souvent, «qu'elle ne comprenait pas comment on pouvait de sang-froid se donner un maître; que les hommes le sont toujours, quoi qu'ils puissent dire, et que pour elle, elle renoncerait le plus tard qu'elle pourrait à sa liberté.» Ces paroles étaient peu encourageantes; aussi Montausier saisit-il la première occasion qui s'offrit à lui de rentrer dans l'armée active. Le roi de France étant alors en guerre avec les deux branches de la maison d'Autriche, l'occupation de la Valteline par une armée française devenait indispensable, ce groupe de vallées italiennes étant le seul point de communication entre les troupes allemandes et espagnoles, dont il fallait à tout prix isoler les opérations. Le duc de Rohan, qui, en dépit de ses récents services en Alsace et en Lorraine, était encore dans une demi-grâce, fut chargé de cette aventureuse expédition, dont il assuma hardiment la responsabilité. Montausier, protestant comme lui, accepta volontiers le commandement que lui offrit le duc, et dès les premiers jours d'avril il courut le rejoindre à son quartier général de Mulhausen. Pour aller en Valteline il fallait traverser la Suisse, et le passage s'opéra sans encombre grâce aux bonnes relations que Rohan avait nouées de longue date avec les cantons. Il franchit la rivière d'Aar en bateaux avec toute son armée composée d'environ six mille hommes d'infanterie et quatre cents chevaux, et après avoir traversé quelques terres du canton de Zurich, il arriva sur celles de la ville de Saint-Gall, dont l'abbé le reçut avec beaucoup de magnificence; son armée demeura deux jours campée autour de cette place. Le 12 il passa le pont du Rhin à trois lieues de Coire, et le 17 il entra dans le comté de Chiavenna d'où il se rendit par le passage de la Riva dans la Valteline. Les habitants lui envoyèrent une députation pour le prier de les maintenir sous la protection du roi; ce qu'il n'eut pas de peine à leur promettre. Après avoir joint à ses troupes celles des ligues grises il s'établit à Morbegno, et il résolut de fortifier les passages pour fermer aux Espagnols et aux Allemands l'entrée de la Valteline. Il n'en eut pas le temps, et presque dès son arrivée il apprit que deux armées allaient fondre sur lui, l'une par le Tyrol et l'autre par le fort de Fonti.

      Le dessein des ennemis était de l'attaquer en tête et en queue, de manière à lui couper toute retraite. Ce projet, bien conçu en lui-même, exigeait malheureusement plus de précision dans les manœuvres et d'ensemble dans les opérations qu'on n'en pouvait attendre des soldats et des généraux du temps. L'armée impériale, qui venait par le Tyrol, força d'abord le passage de Bormio. Le duc de Rohan était alors à Travonna, où il n'avait que quinze cents hommes; il avait envoyé du Landé dans l'Engaddine et le marquis de Montausier au val de Luvino avec le reste de ses troupes. Il craignit en effet de se voir enfermé entre l'armée impériale, qui venait de prendre Bormio, et celle des Espagnols, qui était sur le lac de Como; il prit le parti de se retirer à la Riva et à Chiavenna pour conserver ces deux postes, et il manda à Montausier et à du Landé de venir le joindre le plus promptement qu'il serait possible. Lorsqu'ils eurent rejoint, le duc de Rohan trouva que son armée n'était plus que de trois mille hommes d'infanterie française, douze cents grisons et quelques cavaliers. On prétend qu'après avoir fait la revue de ses troupes, il fut si vivement frappé du danger où il se trouvait d'être accablé par les deux armées ennemies, qu'il résolut de se retirer et de leur abandonner la Valteline [23]. Montausier entreprit de le faire changer de sentiment: il s'adressa d'abord à Priolo, secrétaire du duc, homme très-intelligent, auquel il persuada que son maître perdrait toute sa réputation s'il reculait devant l'ennemi. Priolo parla au duc de Rohan, qui voulut avoir un entretien particulier avec Montausier. Celui-ci lui fit sentir que la retraite qu'il méditait serait regardée comme une véritable fuite, et que le seul parti qu'il eût à prendre pour soutenir l'honneur de la nation et le sien, c'était de marcher à l'ennemi. Le duc de Rohan, qui n'avait pas moins de sagesse que de courage, lui représenta que tous les officiers lui conseillaient de se retirer, et qu'il ne risquerait pas un combat dont le succès était si douteux, à moins qu'il n'y fût autorisé par leur avis signé de leur main. Le marquis le pria d'assembler le conseil de guerre, et il représenta si fortement la honte qui retomberait sur toute la nation si l'on reculait devant une poignée d'Allemands qui n'étaient pas capables de résister à la valeur des troupes françaises, que tous les officiers revinrent à son sentiment. Il le mit par écrit et le signa; tous les autres l'ayant signé après lui, il fut résolu que l'on irait attaquer les ennemis. Quelques-uns proposèrent de différer le combat jusqu'à l'arrivée des régiments suisses que l'on attendait; mais cet avis fut rejeté, parce que l'on craignait que ce délai ne fût trop long, et qu'il ne donnât aux ennemis le temps de réunir toutes leurs forces.

      Ce détail ne se trouve point dans la relation écrite par le duc de Rohan, et que le roi reçut à Fontainebleau le 10 juillet; on y voit seulement un trait qui semble le confirmer: le duc de Rohan, par une grandeur d'âme que l'on ne peut trop admirer, y avoue ingénument qu'il n'avait formé le projet d'attaquer l'armée impériale que sur la proposition du marquis de Montausier.

      L'attaque fut si vive de la part des Français que les Allemands, qui étaient au nombre de six mille hommes de pied et dix-huit cornettes de cavalerie, furent mis en déroute à la première charge. Ils s'enfuirent à Bormio avec tant de vitesse que les Français qui les poursuivirent ne purent jamais les atteindre. Cette action, qui eut lieu le 27 juin, fut nommée le combat de Luvino, parce que les Français trouvèrent les Impériaux rangés en bataille dans cette vallée. La Fréselière vint attaquer l'armée impériale par le haut de la montagne, tandis que Montausier et Canisi chargeaient par le bas. Les ennemis abandonnèrent leurs bagages, et tout ce qui leur restait de vivres et de munitions; ils ne songèrent pas même à sauver une compagnie de cavalerie qui était de garde à une des extrémités du val Luvino: elle fut rencontrée par Saint-André, qui fit immédiatement charger par sa troupe ces malheureux cavaliers. Il ne s'en sauva que deux.

      Le duc de Rohan remporta, le 3 juillet, une seconde victoire beaucoup plus considérable que la première. Les ennemis, honteux de s'être si mal défendus au combat de Luvino, étaient venus camper à deux lieues de ses avant-postes, et il apprit en même temps que le comte de Serbelloni s'était avancé du côté du fort de Fonti, à l'entrée de la Valteline. Il craignit encore de se trouver entre deux armées, et suivant le même projet qui lui avait déjà si bien réussi, il aima mieux hasarder le combat contre une seule que de les attendre toutes les deux à la fois. Il fit attaquer l'armée impériale qui fut encore battue. Les Allemands s'enfuirent en désordre, et ils furent poursuivis par les Français jusqu'au pont de Mazzo, sur la rivière d'Adda, qu'ils abandonnèrent. De six mille hommes qu'ils étaient, il n'y en eut tout au plus que six cents qui retournèrent à Bormio; tout le reste fut tué ou noyé au passage de la rivière, ou obligé de gagner le haut des montagnes. On fit environ mille prisonniers, et entre autres un colonel anglais, qui offrit de se mettre au service du roi. Dans une si grande déroute, les Allemands ne perdirent qu'un seul drapeau, qui fut trouvé dans la poche d'un enseigne mort. Ils avaient eu soin de cacher ou d'emporter tous les autres.

      La


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