Le fils du Soleil (1879). Gustave Aimard

Le fils du Soleil (1879) - Gustave Aimard


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des plus jolis oiseaux du monde.

      --Eh bien! chica (petite)?

      --Il me semble que mon cher petit père, fit-elle avec une admirable moue, n'est guère galant, ce soir.

      --Qu'en savez-vous, mademoiselle? répondit don Luis en souriant.

      --Comment! vrai! s'écria-t-elle en bondissant de joie sur un fauteuil et en frappant ses mains l'une contre l'autre, vous auriez pensé?...

      --A vous acheter des oiseaux? Vous verrez demain votre volière peuplée de perruches, d'aras, de bengalis, de colibris, enfin plus de quatre cents, vilaine ingrate!

      --Oh! que vous êtes bon, mon père, et que je vous aime! reprit la jeune fille en jetant ses bras autour du cou de don Luis et en l'embrassant à plusieurs reprises.

      --Assez! assez! follette! Vas-tu m'étouffer avec tes caresses?

      --Que faire pour reconnaître vos prévenances?

      --Pauvre chère, je n'ai que toi à aimer désormais.

      --Dites donc à adorer, mon excellent père, car c'est de l'adoration que vous avez pour moi. Aussi je vous aime de toutes les forces aimantes que Dieu a mises dans mon âme.

      --Et pourtant, dit Luis d'un ton doux de reproche, tu ne crains pas, méchante, de me causer des inquiétudes.

      --Moi? demanda Linda avec un tressaillement intérieur.

      --Oui, vous, vous, fit-il en la menaçant tendrement du doigt. Tu me caches quelque chose.

      --Mon père!

      --Allez, ma fille, les yeux d'un père savent lire jusqu'au fond d'un coeur de quinze ans, et, depuis quelques jours, si je ne me trompe, je ne suis plus seul dans ta pensée.

      --C'est vrai, répondit la jeune fille avec une certaine résolution.

      --Et à qui rêves-tu ainsi, petite fille? dit don Luis en cachant son inquiétude sous un sourire.

      --A don Juan Perez.

      --Ah? cria le père d'une voix étranglée, et tu l'aimes?

      --Moi? Non, répondit-elle. Ecoutez, mon père, je ne veux rien vous cacher. Non, continua-t-elle en posant la main sur son coeur, je n'aime pas don Juan Perez; cependant, il occupe ma pensée; pourquoi? je ne saurais le dire; mais son regard me trouble et me fascine; sa voix me cause un sentiment de douleur indéfinissable. Cet homme est beau, ses manières sont élégantes et nobles, il a tout d'un gentilhomme de haute caste, et pourtant quelque chose en lui, je ne sais quoi de fatal, me glace et m'inspire une répulsion invincible.

      --Tête romanesque!

      --Riez, moquez-vous de moi; mais, dit-elle avec un tremblement de voix, vous avouerai-je tout, mon père?

      --Parle avec confiance.

      --Eh bien! j'ai un pressentiment que cet homme me sera funeste.

      --Enfant, reprit don Luis en lui baisant au front, que peut-il te faire?

      --Je l'ignore, mais j'ai peur.

      --Veux-tu que je ne le reçoive plus.

      --Gardez-vous-en bien; ce serait hâter le malheur qui me menace.

      --Allons, tu perds la tête et te plais à te créer des chimères.

      Au même moment un domestique annonça don Juan Perez que entra dans le salon.

      Le jeune homme était vêtu à la dernière mode de Paris; l'éclat des bougies rayonna sur son beau visage.

      Le père et la fille tressaillirent.

      Don Juan s'approcha de dona Linda, la salua avec grâce et lui offrit un superbe bouquet de fleurs exotiques. Elle remercia d'un sourire, prit le bouquet, et, presque sans le regarder, le posa sur un guéridon.

      On annonça successivement le gouverneur, don Luciano Quiros, accompagné de tout son état-major, et deux ou trois famille, en tout une quinzaine de personnes. Peu à peu la réunion s'anima, on causa.

      --Eh bien! colonel, demanda don Luis au gouverneur, quelles nouvelles de Buenos-Ayres?

      --Notre grand Rosas, répondit le colonel qui étouffait dans son uniforme, a encore battu à plates coutures les sauvages unitaires d'Oribe.

      --Dieu soit loué! peut-être cet avantage nous procurera-t-il un peu de tranquillité dont le commerce a besoin.

      --Oui, reprit un colon, les communications deviennent si difficiles que ar terre on ne peut plus rien expédier.

      --Est-ce que les Indiens se remueraient? demanda un négociant inquiet de ces paroles.

      --Oh! interrompit le gros commandant, il n'y a pas de danger: la dernière leçon qu'ils ont reçue a été rude, ils s'en souviendront longtemps, et de longtemps ils n'oseront envahir nos frontières.

      Un sourire presque invisible passa sur les lèvres de don Juan.

      --En cas d'invasion, les croyez-vous capables de troubler sérieusement la colonie?

      --Hum! reprit don Luciano, en somme, ce sont de pauvres hères.

      Le jeune homme sourit de nouveau d'une façon amère et sinistre.

      --Monsieur le gouverneur, dit-il, je suis de votre avis; je crois que les Indiens feront bien de rester chez eux.

      --Pardieu! exclama le commandant.

      --Mon dieu, mademoiselle, dit don Juan en se tournant vers dona Linda, serait-ce trop exiger de votre grâce que de vous prier de chanter le délicieux morceau du Domino noir que vous avez si bien chanté l'autre jour?

      La jeune fille, sans se faire prier, se mit au piano, et d'une voix pure chanta la romance du troisième acte.

      --J'ai entendu à Paris cette romance par madame Damoreau, ce rossignol envolé, et je ne saurais dire qui de vous ou d'elle y apporte plus de goût et de naïveté.

      --Don Juan, répondit dona Linda, vous avez trop longtemps vécu en France.

      --Pourquoi donc, mademoiselle?

      --Vous en êtes devenu un détestable flatteur.

      --Bravo! gloussa le gouverneur avec un gros rire. Vous le voyez, don Juan, nos créoles valent les Parisiennes pour la vivacité de la repartie.

      --Incontestablement, colonel, reprit le jeune homme; mais laissez-moi faire, ajouta-t-il avec un accent indéfinissable, je prendrai bientôt ma revanche.

      Et il enveloppa dona Linda dans un regard dont elle frissonna.

      --Don Juan, demain, je l'espère, demanda le gouverneur, vous assisterez au Te Deum chanté en l'honneur de notre glorieux Rosas?

      --Impossible, colonel; ce soir même, je pars pour un voyage forcé.

      --Allons bon! encore une de vos excursions mystérieuses?

      --Oui, mais celle-là ne sera pas longue et bientôt je serai de retour.

      --Tant mieux!

      --Quien sabe? (Qui sait?) murmura le jeune homme d'une voix sinistre.

      Dona Linda, qui avait entendu ces dernier mots, ne fut pas maîtresse de son effroi.

      Les visiteurs prirent congé les uns à la suite des autres. Don Juan Perez était enfin seul avec ses hôtes.

      --Senorita, dit-il en faisant ses adieux, je pars pour un voyage où je courrai sans nul doute de grands dangers. Puis-je espérer que vous daignerez, dans vos prières, vous souvenir du voyageur?

      Linda le regarda un instant en face, et, avec une rudesse qui ne lui était pas naturelle, elle répondit:

      --Senor Caballero, je ne puis prier pour la réussite d'une expédition dont je ne connais pas


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