LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Lenormand s’approcha de lui, et, de sa voix la plus nette :
– écoutez-moi. M. Kesselbach est mort assassiné Voyons, soyez calme, les cris sont inutiles Il est mort assassiné, et toutes les circonstances du crime prouvent que le coupable était au courant de ce fameux projet. Y aurait-il quelque chose dans la nature de ce projet qui vous permettrait de deviner ?…
Steinweg restait interdit. Il balbutia :
– C’est de ma faute… Si je ne l’avais pas lancé sur cette voie
Mme Kesselbach s’avança suppliante.
– Vous croyez… vous avez une idée Oh ! Je vous en prie, Steinweg…
– Je n’ai pas d’idée… je n’ai pas réfléchi, murmura-t-il, il faudrait que je réfléchisse…
– Cherchez dans l’entourage de M. Kesselbach, lui dit Lenormand… Personne n’a été mêlé à vos conférences à ce moment-là ? Lui-même n’a pu se confier à personne ?
– À personne.
– Cherchez bien.
Tous deux, Dolorès et M. Lenormand, penchés sur lui, attendaient anxieusement sa réponse.
– Non, fit-il, je ne vois pas.
– Cherchez bien, reprit le chef de la Sûreté, le prénom et le nom de l’assassin ont comme initiale un L et un M.
– Un L, répéta-t-il… je ne vois pas… un L un M.
– Oui, les lettres sont en or et marquent le coin d’un étui à cigarettes qui appartenait à l’assassin.
– Un étui à cigarettes ? fit Steinweg avec un effort de mémoire.
– En acier bruni… et l’un des compartiments intérieurs est divisé en deux parties, la plus petite pour le papier à cigarettes, l’autre pour le tabac…
– En deux parties, en deux parties, redisait Steinweg, dont les souvenirs semblaient réveillés par ce détail. Ne pourriez-vous me montrer cet objet ?
– Le voici, ou plutôt en voici une reproduction exacte, dit Lenormand en lui donnant un étui à cigarettes.
– Hein ! Quoi !… fit Steinweg en prenant l’étui.
Il le contemplait d’un œil stupide, l’examinait, le retournait en tous sens, et soudain il poussa un cri, le cri d’un homme que heurte une effroyable idée. Et il resta là, livide, les mains tremblantes, les yeux hagards.
– Parlez, mais parlez donc, ordonna M. Lenormand.
– Oh ! fit-il comme aveuglé de lumière, tout s’explique.
– Parlez, mais parlez donc…
Il les repoussa tous deux, marcha jusqu’aux fenêtres en titubant, puis revint sur ses pas, et se jetant sur le chef de la Sûreté :
– Monsieur, monsieur l’assassin de Rudolf, je vais vous le dire… Eh bien…
Il s’interrompit.
– Eh bien ?… firent les autres.
Une minute de silence… Dans la grande paix du bureau, entre ces murs qui avaient entendu tant de confessions, tant d’accusations, le nom de l’abominable criminel allait-il résonner ? Il semblait à M. Lenormand qu’il était au bord de l’abîme insondable, et qu’une voix montait, montait jusqu’à lui… Quelques secondes encore et il saurait…
– Non, murmura Steinweg, non, je ne peux pas…
– Qu’est-ce que vous dites ? s’écria le chef de la Sûreté, furieux.
– Je dis que je ne peux pas.
– Mais vous n’avez pas le droit de vous taire ! La justice exige.
– Demain, je parlerai, demain il faut que je réfléchisse… Demain je vous dirai tout ce que je sais sur Pierre Leduc… tout ce que je suppose à propos de cet étui… Demain, je vous le promets…
On sentait en lui cette sorte d’obstination à laquelle se heurtent vainement les efforts les plus énergiques. M. Lenormand céda.
– Soit. Je vous donne jusqu’à demain, mais je vous avertis que si demain vous ne parlez pas, je serai obligé d’avertir le juge d’instruction.
Il sonna, et prenant l’inspecteur Dieuzy à part :
– Accompagne-le jusqu’à son hôtel… et restes-y… je vais t’envoyer deux camarades… Et surtout, ouvre l’œil et le bon. On pourrait essayer de nous le prendre.
L’inspecteur emmena Steinweg, et M. Lenormand, revenant vers Mme Kesselbach que cette scène avait violemment émue, s’excusa :
– Croyez à tous mes regrets, madame… je comprends à quel point vous devez être affectée…
Il l’interrogea sur l’époque où M. Kesselbach était rentré en relations avec le vieux Steinweg et sur la durée de ces relations. Mais elle était si lasse qu’il n’insista pas.
– Dois-je revenir demain ? demanda-t-elle.
– Mais non, mais non. Je vous tiendrai au courant de tout ce que dira Steinweg. Voulezvous me permettre de vous offrir mon bras jusqu’à votre voiture… Ces trois étages sont si durs à descendre…
Il ouvrit la porte et s’effaça devant elle. Au même moment des exclamations se firent entendre dans le couloir, et des gens accoururent, des inspecteurs de service, des garçons de bureau…
– Chef ! Chef !
– Qu’y a-t-il ?
– Dieuzy !…
– Mais il sort d’ici…
– On l’a trouvé dans l’escalier.
– Mort ?…
– Non, assommé, évanoui…
– Mais l’homme ?… l’homme qui était avec lui ?… le vieux Steinweg ?…
– Disparu…
– Tonnerre !…
– 2 –
Il s’élança dans le couloir, dégringola l’escalier, et, au milieu d’un groupe de personnes qui le soignaient, il trouva Dieuzy étendu sur le palier du premier étage.
Il aperçut Gourel qui remontait.
– Ah ! Gourel, tu viens d’en bas ? Tu as rencontré quelqu’un ?
– Non, chef…
Mais Dieuzy se ranimait, et tout de suite, les yeux à peine ouverts, il marmotta :
– Ici, sur le palier, la petite porte…
– Ah ! Bon sang, la porte de la septième chambre ! s’écria le chef de la Sûreté. J’avais pourtant bien dit qu’on la ferme à clef… Il était certain qu’un jour ou l’autre…
Il se rua sur la poignée.
– Eh parbleu ! Le verrou est poussé de l’autre côté, maintenant. La porte était vitrée en partie. Avec la crosse de son revolver, il brisa un carreau, puis tira le verrou et dit à Gourel :
– Galope par là jusqu’à la sortie de la place Dauphine…
Et, revenant à Dieuzy :
– Allons, Dieuzy, cause. Comment t’es-tu laissé mettre dans cet état ?
– Un coup de poing, chef
– Un coup de poing de ce vieux ? Mais il ne tient pas debout !
–