Alfred de Musset. Barine Arvède

Alfred de Musset - Barine Arvède


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je lui dois d'avoir pu consulter le Journal manuscrit de Sainte-Beuve et de nombreuses correspondances inédites. M. Maurice Clouard, qui sait tout ce qu'on peut savoir sur Musset, m'a prêté libéralement le concours de son inépuisable érudition et de sa riche bibliothèque. M. Taigny a mis gracieusement à ma disposition des lettres autographes et en grande partie inédites de Musset. D'autres m'ont fourni des renseignements qui ne sont point dans les livres ni dans les manuscrits. J'acquitte ici envers tous ma dette de gratitude.

      A. B.

       Table des matières

       Table des matières

      Chaque génération chante pour elle-même et dans son langage. Elle a ses poètes, qui traduisent ses sentiments et ses aspirations. Puis viennent d'autres hommes, avec d'autres idées et d'autres passions, toutes contraires, le plus souvent, à celles de leurs aînés. Ces nouveaux venus demeurent insensibles à ce qui paraissait la veille si émouvant. Leurs préoccupations ne sont plus les mêmes, ni leurs yeux, ni leurs oreilles, ni leurs âmes. S'ils goûtent d'aventure les poètes de la génération précédente, c'est à la réflexion, après une étude, comme s'il s'agissait d'écrivains d'un temps lointain. Encore est-ce à condition de n'avoir plus rien à redouter de leur influence; sinon ils les prennent en aversion, parce qu'il y a chez les jeunes gens un besoin inné, et peut-être salutaire, de penser et de sentir autrement qu'on ne l'avait fait avant eux; ce n'est qu'à cette condition qu'ils prennent conscience d'eux-mêmes.

      Musset commence à être un de ces poètes de la veille, que les têtes grisonnantes restent seules à comprendre sans effort. Aucun autre, dans notre siècle, n'avait été aussi aimé. Aucun n'avait éveillé dans les cœurs autant de ces longs échos qui ne naissent que d'un accord intime avec le lecteur, et qu'un simple plaisir d'art est impuissant à produire. Il n'en a pas moins subi la loi commune. Nos enfants ont déjà besoin qu'on leur explique pourquoi nous ne pouvons entendre un vers de lui, fût-ce le plus insignifiant, sans ressentir une émotion, triste ou joyeuse; pourquoi chacun de nos bonheurs, chacune de nos souffrances, fait remonter à notre mémoire une page de lui, une ligne, un mot qui nous console ou nous rit. Leur dire ces choses, c'est trahir le secret de nos rêves et de nos passions, c'est avouer combien nous étions romanesques et sentimentaux, et nous couvrir de ridicule aux yeux de nos fils, qui le sont si peu. Tel sera pourtant l'objet de ce petit livre, et tous les historiens à venir de Musset seront contraints d'en faire autant, quoi qu'il puisse leur en coûter. L'âme du poète des Nuits est reliée par des fils, si nombreux et si forts à l'âme des générations qui eurent vingt ans entre 1850 et 1870, qu'il serait vain d'essayer de les séparer. Qu'on en fasse un reproche à Musset, ou qu'on y voie au contraire son principal titre de gloire, il n'importe: parler de lui, c'est parler des multitudes qu'il avait subjuguées, pour leur bien ou pour leur mal.

      On ne saurait imaginer pour un enfant de génie un berceau plus heureux que celui d'Alfred de Musset. Il naquit à Paris, le 11 décembre 1810, dans une vieille famille où l'amour des lettres était de tradition et où tout le monde, de père en fils, avait de l'esprit. Sans remonter jusqu'à Colin de Musset, ménestrel de profession au XIIIe siècle, qui ne s'appelait peut-être que Colin Muset, un grand oncle du poète, le marquis de Musset, avait eu un vif succès, en 1778, avec un roman par lettres, «dicté par l'amour de la vertu», disait la préface, et portant ce titre assorti à la préface: Correspondance d'un jeune militaire, ou Mémoires de Luzigny et d'Hortense de Saint-Just. Ce vieux marquis, qui ne mourut qu'en 1839, représentait pour ses petits-neveux l'ancien régime, y compris les temps féodaux. Son château avait des parties moyen âge, aux embrasures profondes, aux planchers doubles, dissimulant trappe et cachette. Lui-même marchait le jarret tendu et les pointes en dehors, en homme qui avait porté la culotte courte. Il méprisait profondément les journaux, ne manquait jamais de se découvrir lorsqu'il rencontrait dans une «gazette» le nom d'un membre de la famille royale, et n'avait cependant pas complètement échappé à l'influence de Rousseau. Il lui arrivait d'écrire des phrases à la Jean-Jacques: «On n'est heureux qu'à la campagne, on n'est bien qu'à l'ombre de son figuier». D'une dévotion extrême, il avait fait sur ses vieux jours, en 1827, une satire contre les Jésuites, signée Thomas Simplicien. Les jeunes gens de la famille se trouvaient chez lui en pays de Cocagne, mais il ne comprenait rien au romantisme.

      Le père d'Alfred de Musset, M. de Musset-Pathay, beaucoup plus jeune que le marquis, n'en voulait pas comme lui à la Révolution, qui lui avait rendu le service de lui ôter son petit collet et lui avait donné son empereur. Il avait entremêlé dans son existence la guerre, la littérature et les fonctions publiques. La même diversité se retrouve dans ses écrits, où il y a un peu de tout: roman, histoire, récits de voyages, travaux d'érudition. Sa biographie de Rousseau, où il prend sa défense contre la coterie Grimm, est une œuvre patiente et sérieuse, et il avait d'autre part le goût et le talent des vers plaisants. Gai, spirituel, prompt à la riposte et mordant à l'occasion, c'était au demeurant le meilleur des hommes. Il fut un père aimable, trop indulgent, très XVIIIe siècle d'esprit. Ce dernier point est à retenir.—Pas plus que son oncle le marquis, M. de Musset-Pathay ne comprenait rien au romantisme.

      La lignée maternelle d'Alfred de Musset n'était pas moins savoureuse. Son aïeul Guyot-Desherbiers, qui avait été jadis de robe, et avait fréquenté les idéologues, avait l'imagination poétique, l'esprit jaillissant et gai. Il était sorti de ce mélange un Fantasio XVIIIe siècle, plus mousseux encore que celui que nous connaissons, et ne lui cédant en rien pour le pittoresque du langage, mais sans la note mélancolique et attendrie du héros de Musset. M. Guyot-Desherbiers ne songeait guère à s'apitoyer sur les peines des princesses de féerie; en revanche, il avait sauvé des têtes, et non toujours sans péril, pendant les convulsions qui suivirent le 9 Thermidor. Ses petits-fils purent jouir de sa verve intarissable; Fantasio devenu grand-père était resté Fantasio. Il mourut chargé de jours en 1828.—M. Guyot-Desherbiers faisait des vers à ses moments perdus.

      Son grand ouvrage fut un poème en plusieurs chants sur les Chats. Il faisait du chat un humanitaire, ami des pauvres et de leur maigre cuisine:

      C'est pour eux que son dos se gonfle,

       Pour eux, dans sa poitrine, ronfle

       La patenôtre du plaisir.

      Il se plaisait aux difficultés techniques, comme d'écrire sur trois rimes—et sans chevilles!—tout un chant de son poème, ou d'inventer des rythmes compliqués. Il avait deviné Théodore de Banville plutôt que Victor Hugo. Son influence manqua à son petit-fils quand celui-ci eut à défendre


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