Alfred de Musset. Barine Arvède

Alfred de Musset - Barine Arvède


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remarquable de la bourgeoise française du siècle dernier. Elle avait infiniment de bon sens, et cela ne l'empêchait point d'être une fille spirituelle de Rousseau, passionnée comme Julie et Saint-Preux, et comme eux éloquente dans les heures d'émotion. Non point l'éloquence qui fait dire d'une femme qu'elle parle comme un livre, mais l'éloquence pathétique qui remue. Elle produisait alors une impression profonde sur les siens, habitués à la voir tranquille et grave. Mme de Musset-Pathay, sa fille aînée, tenait beaucoup d'elle.

      On voit que les origines intellectuelles de Musset sont faciles à démêler pour qui s'intéresse aux mystères de l'hérédité. Nous venons de trouver parmi ses ascendants plusieurs hommes d'esprit, pleins d'une verve joyeuse et plus ou moins poètes, et deux femmes d'une sensibilité vive, d'une éloquence naturelle et chaude. C'est à ces dernières que se rattachent les Nuits et toute la partie brûlante et passionnée de l'œuvre de Musset. Quant à sa tante la chanoinesse, elle a rempli le rôle de la fée Carabosse, qui ne pouvait manquer au baptême d'un Prince Charmant. Lorsque Musset s'accuse dans ses lettres d'être grognon, lorsqu'il écrit: «J'ai grogné tout mon saoul», ou bien: «Je commence même à m'ennuyer de grogner», c'est la chanoinesse qui fait des siennes; elle s'est vengée d'avoir un neveu poète en lui insufflant un peu—très peu—de sa mauvaise humeur.

      L'enfant en qui allait s'épanouir la race était un joli blondin caressant. Il existe un portrait de lui à trois ans, dans le goût troubadour, qui était de mode au temps de la reine Hortense. Le bambin est assis en chemise dans un site poétique, les pieds dans un ruisseau. Ses longues papillotes lui donnent un air de petite fille bien sage. Auprès de lui est une grande épée, qu'il avait demandée «pour se défendre contre les grenouilles». Un autre portrait le représente plus âgé de quelques années, mais gardant encore ses belles boucles blondes. Il a aussi conservé son expression placide et ingénue. Ce n'était pourtant pas faute de prendre au tragique les peines de l'existence, ou de jouir avec ardeur de ses joies. Il était déjà, au suprême degré, impressionnable, excitable, et même éloquent, s'il faut en croire son frère Paul. Celui-ci raconte qu'à peine hors des langes, le petit poète en herbe avait des «mouvements oratoires et des expressions pittoresques» pour peindre ses malheurs ou ses plaisirs d'enfant. Déjà aussi, il avait l'«impatience de jouir» et la «disposition à dévorer le temps» qui ne le quittèrent jamais. Un jour qu'on lui avait apporté des souliers rouges et que sa mère ne l'habillait pas assez vite à son gré, il s'écria en trépignant: «Dépêchez-vous donc, maman; mes souliers neufs seront vieux». Enfin, il avait déjà des palpitations de cœur et des suffocations.

      Il faut des mains intelligentes et légères pour manier ces organisations frémissantes. M. de Musset-Pathay n'était que trop indulgent. Il eût pu dire, lui aussi:

      Quoi qu'il ait fait, d'abord je veux qu'on lui pardonne,

       Lui dis-je, et ce qu'il veut, je veux qu'on le lui donne.

       (C'est mon opinion de gâter les enfants.)

      Musset commença ses études avec un précepteur qui grimpait dans les arbres avec ses élèves. Les leçons n'en allaient pas plus mal. Il y eut cependant un moment difficile quand l'écolier découvrit les Mille et une Nuits et la Bibliothèque bleue. Sa petite tête en tourna. Pendant des mois, il ne pensa, en classe et hors de classe, qu'aux enchanteurs et aux paladins. Il cherchait dans la maison de ses parents, rue Cassette, les passages secrets qui font qu'on entend marcher dans les murs, et les portes dérobées par où surgissent les traîtres et les libérateurs. On lui donna Don Quichotte, qui le calma, sans le corriger de l'idée que la vie ressemble à la forêt enchantée où les quatre fils Aymon rencontrèrent leurs aventures merveilleuses. Il était né avec la foi au hasard, et il fut toujours de ceux qui croient aux surprises du sort, quitte à s'estimer trompés et frustrés, quand il n'arrive que ce qui devait arriver. Les hommes de cette humeur subissent la vie au lieu de la faire, et ce fut le cas d'Alfred de Musset.

      Nous savons également par son frère qu'il s'est peint lui-même dans le portrait de Valentin par où débutent les Deux Maîtresses. La page qu'on va lire est donc un souvenir personnel, et elle nous montré aussi un enfant trop impressionnable; «Pour vous le faire mieux connaître, il faut vous dire un trait de son enfance. Valentin couchait, à dix ou douze ans, dans un petit cabinet vitré, derrière la chambre de sa mère. Dans ce cabinet d'assez triste apparence, et encombré d'armoires poudreuses, se trouvait, entre autres nippes, un vieux portrait avec un grand cadre doré. Quand, par une belle matinée, le soleil donnait sur ce portrait, l'enfant, à genoux sur son lit, s'en approchait avec délices. Tandis qu'on le croyait endormi, en attendant que l'heure du maître arrivât, il restait parfois des heures entières le front posé sur l'angle du cadre; les rayons de lumière, frappant sur les dorures, l'entouraient d'une sorte d'auréole où nageait son regard ébloui. Dans cette posture; il faisait mille rêves; une extase bizarre s'emparait de lui. Plus la clarté devenait vive, plus son cœur s'épanouissait.... Ce fut là, m'a-t-il dit lui-même, qu'il prit un goût passionné pour l'or et le soleil.» Notons encore à treize ans, pendant une partie de chasse où il avait failli blesser son frère, une attaque de nerfs assez violente pour amener la fièvre, et nous aurons la clef de bien des incidents de son existence tourmentée.

      Les années de collège furent aussi dénuées d'événements que celles de la première enfance. Musset fut externe à Henri IV à partir de la sixième et fit de bonnes études. Il reçut quelquefois des coups de poing. J'aime à croire qu'il en rendit. Il nous a dit le reste dans les Deux Maîtresses. «Ses premiers pas dans la vie furent guidés par l'instinct de la passion native. Au collège, il ne se lia qu'avec des enfants plus riches que lui, non par orgueil, mais par goût. Précoce d'esprit dans ses études, l'amour-propre le poussait moins qu'un certain


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