Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz. Christine de Pizan
& sustrait de toute gent les genoulx a terre les mains joinctes les yeulx ou ciel le cueur eslevé par si haulte pensee que elle va devant dieu contempler & regarder par saincte inspiration la benoiste trinité la court du ciel & les joyes qui y sont & en cel estat est le parfait contemplatif souventeffois tellement que il semble qu'il ne soit mie en soymesmes & la consolation doulceur & joye que il sent adonc ne pourroit estre a celle comparee. Car il sent ja & gouste des gloires & joyes de paradis c'est assavoir il voit dieu en esperit par contemplation il art a son amour si a souffisance parfaicte en ce monde. car il ne veult ne desire autre chose & dieu le reconforte. Car il est son servant & le repaist des doulx metz de son saint paradis c'est de pures & des choses qui sont ou ciel et de parfaicte esperance d'aller a celle joyeuse compaignie. Si n'est nulle joye pareille a celle. Ceulx qui le scevent qui l'ont essayé combien que parler je n'en puis dont il me poise fors ainsy que l'aveugle des couleurs. Et ceste vie soyt sur toutes autres aggreable a dieu est apparu maintes fois au monde visiblement si comme il est apparu & escript de plusieurs saintz & sainctes contemplatis qui ont esté veuz quant ilz estoyent en leur contemplation eslevés dessus terre par miracle de dieu si que il sembloit que le corps voulsist suyvre la pensee qui montee estoit au ciel de ceste saincte & treslevee vie ne suis digne assez de a son droit parler ne la descripre si que a sa dignité appartient. mais de ce treuve l'en assez de sainctes escriptures plaines qui plus en vouldra veoir. La vie active est ung aultre estat de servir dieu qui est telle que la personne qui la veult suyvre sera tant charitable que elle vouldroit si elle povoit a tous servir pour l'amour de dieu. Si cerche les hospitaulx visite les malades & les povres & les sequeure du sien et de la peine de son corps pour l'amour de dieu selon son povoir / a si grant pitié des creatures que elle voit en pechié ou en misere & tribulation que elle en pleure comme de son mesmes fait ayme le bien de son prouchain comme le sien propre tousjours est en labour de bien faire ne jamais n'est oyseuse son cueur art sans cesser de desirer de acomplir les oeuvres de misericorde esquelles s'employe de tout son povoir. Telle creature porte toutes injures & tribulations paciemment pour l'amour de dieu & ceste vie active sert sicomme tu peulx veoir plus au monde que la devantdicte. Si sont toutes deux de grant excellence mais de la plus parfaictes des deux nostreseigneur Jhesucrist luy mesmes donna la sentence lorsque marie magdalene en qui est figuree la vie contemplative estoit seant aux piez de nostre seigneur comme celle qui n'avoit le cueur a aultre chose et qui toute ardoit de sa saincte amour et Marie marthe sa seur de laquelle est entendue de la vie active qui estoit hostesse de nostre seigneur et besongnoit aval l'hostel pour le service de luy et de ses apostres se plaingnit a nostreseigner de ce que marie la sa seur ne luy aydoit & nostreseigneur l'excusa en disant marie tu es moult dilligente et ton oeuvre bonne & necessaire mais non pourtant marie a esleu la meilleur partie pour laquelle partie de luy on peut sçavoir que non obstant que la vie active soit de grant excellence / & necessaire pour l'ayde & secours de plusieurs Toutesfoys la contemplation qui est de laisser tout le monde & les embesongnemens qui y sont pour seullement penser a luy est de plus grant dignité et plus parfaicte & pour celle cause furent trouvez & establies des saintz prudhommes jadis les religions qui est le plus hault estat vers dieu qui soit qui en faict son devoir affin que ceulx qui vouldront vivre a contemplation puissent la estre separés du monde au service de dieu sans autre soing & pleust a eulx mesmes / car a dieu plairoit bien que chascun y fist son devoir.
¶ Cy devise de la voye que la bonne princesse se delibere a tenir. Chapitre. vi
Adviser te convient ce dit a soymesmes la bonne princesse de dieu inspiree laquelle de ses subdictes voyes tu veulx tenir il est dit communement / et il est vray que discrecion est mere des vertus. Et pourquoy est elle mere / pource que elle conduyt & maine les autres & qui n'entreprent par elle quelconques chose que l'en veult faire tout l'ouvraige vient a neant et est de nul effect / pource n'est necessaire ouvrer par discrecion / comment par discrecion / c'est ce que doy adviser ains que j'entrepreigne quelconque chose. Premierement la force ou foiblesse de mon povre corps & la fragilité a qui je suis encline & aussi a quel subgection il convient que je obeysse selon l'estat ou dieu en ce monde m'a appellee & commise & si je considere au vray ces choses je me treuve quelque bonne voulente que j'ay tresfoible de corps pour souffrir grant abstinence & grant peine & foible d'esperit par fragilité & inconstance & puis que je me sens telle je ne doy mye de moy mesmes preserver que je soye de tel vertu non obstant que dieu dit tu lairras pere & mere pour mon nom que je me pense du tout a ce disposer & laisser mary enfans estat mondain & toutes occupations terriennes pour entendre du tout a servir dieu en la vie contemplative sicomme ont fait les plus perfaictes creatures. Si ne doy entreprendre chose ou a le perseverer je peusse suffire. Que feray doncques chemineraige par voye active. Helas heureulx sont ceulx qui prennent les oeuvres qui ont esté commandés excercer Hé dieu que me eusses tu ores establie ou monde en l'estat d'une povre femme affin que je te peusse en ycelle a tout le moins parfaictement servir en administrant et faisant service a tes membres se sont les povres pour l'amour de toy. Helas comment acomplirayge ce que je ne me sens mye du tout disposee a vouloir a toutes fins de laisser tout estat pour moy employer / beau sire dieu conseilles moy et me inspires que je doy faire pour me saulver. Car quoy que je sache bien que autre chose ne fait a aymer ne desirer que toy seul & que toute aultre joye est neant je n'ay force en moy que je puisse du tout le monde relenquir. Si suis moult espoventee que je feray / car tu dis que impossible est que le riche soit saulvé. Adonc vient saincte informacion a la bonne princesse qui luy dist en telle maniere. Or vecy que tu feras dieu ne commande mye que on laisse tout pour le suyvre si ce n'est a ceulx qui du tout veullent estre de la tresplus parfaicte vie. Si ce peut chascun saulver en son estat & ce que dieu dist que impossible est que ung riche soit saulvé est a entendre des riches sans vertus se leurs richesses ne distribuent en aulmosnes & biensfais desquelz toute leur felicité est en leur avoir n'est mye doubte que telz gens dieu hét & que ja n'enterons ou ciel tant qu'ilz soyent telz et des povres dont il dit que ilz sont bieneurez / c'est a entendre de povres d'esperit laquelle chose peut estre mesmement ung tresriche et habondant homme. C'est assavoir celluy qui ne prisera riens les richesses du monde & se il a il les distribuera en bonnes oeuvres & au service de dieu ne pour honneur ne se orgueillist ne pour richesse ne se tient plus grant et telle creature quoy que elle habonde en biens mondains et povre d'esperit et possedera le royaume des cieulx & tu le peuz veoir n'a il pas esté grant foison de roys et de princes qui sont sains en paradis si comme sainct loys de france et plusieurs aultres qui ne laissoyent pas le monde ensois regnoyent & possedoyent leurs seigneuries au plaisir de dieu mais ilz vivoyent justement ne pource n'assavouroyent en vaine gloire ne en boubant les honneurs que on leur faisoit et reputoyent que l'honneur fust a l'estat de sa seigneurie dont ilz estoyent vicaires de dieu en terre et non mye a leurs personnes et semblablement a esté de roynes de princesses moult grant foison qui sont sainctes en paradis si comme la femme du roy de france aussi saincte baudour saincte helysabeth royne de hongrie & assez d'autres. Si n'ayez point de doubte que dieu veult estre servy de gens de tous estatz et en chascun estat on se peut saulver qui veult. Car l'estat ne fait mye le dampnement mais n'en sçauroit user sagement c'est ce qui damne la creature pource en conclusion je voy bien que puis que je ne me sens de tel force que je puisse du tout en tout eslire & suyvre l'une des deux dessusdictes vies je mettray peine a tout le moins de tenir le moyen si comme saint pol le conseille & prendre de l'une & de l'autre vie selon ma possibilité le plus que je pourray.
¶ Cy devise comment la bonne princesse vouldra attraire a soy toutes vertus. Chapitre .vii.
Toutes ces choses ou les semblables pensera la bonne princesse par divine information & pour les mettre a effet tiendra tel voye elle vouldra estre bien informee par bons & saiges que est bien & que est mal affin que le bien puist eslire & le mal eschever & quoy que toute personne mortelle soit par nature encline en peché se gardera a son povoir par especial de peschié mortel