Les Troubadours: Leurs vies — leurs oeuvres — leur influence. Anglade Joseph

Les Troubadours: Leurs vies — leurs oeuvres — leur influence - Anglade Joseph


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      Les limites de la langue d'oc ne paraissent pas avoir changé depuis le moyen âge. La ligne qui sépare les deux langues de la France part de la rive droite de la Garonne, à son confluent avec la Dordogne, remonte vers le nord, en laissant Angoulême dans le domaine de la langue d'oïl et en dépassant Limoges, Guéret et Montluçon; elle redescend ensuite vers Lyon par Roanne et Saint-Étienne.

      Une partie du Dauphiné (jusqu'au-dessous de Grenoble), la Franche-Comté (jusqu'aux environs de Montbéliard) et les dialectes romans de la Suisse forment un groupe linguistique que le savant Ascoli a dénommé franco-provençal [3], à cause des traits communs aux langues française et provençale que présentent les dialectes de cette région.

      En redescendant vers la Méditerranée la frontière linguistique se confond avec la frontière politique, sauf en ce qui concerne le Val d'Aoste qui appartient au franco-provençal et quelques villages italiens de langue d'oc.

      Au sud-ouest, la limite linguistique dépassait de beaucoup les limites de la France actuelle; car le catalan, avec Barcelone, Valence et les îles Baléares est du domaine de la langue provençale.

      La région que nous venons de délimiter à grands traits comprenait, comme aujourd'hui, plusieurs dialectes. Les principaux étaient le limousin, qui voisinait avec les dialectes de la langue d'oïl (saintongeais et poitevin), le gascon, qui occupait, à peu près comme aujourd'hui, la boucle formée par la Garonne, le languedocien, les dialectes d'Auvergne et de Dauphiné et le provençal proprement dit. Aujourd'hui ces dialectes présentent des différences profondes; livrés à eux-mêmes pendant des siècles, ils ont librement évolué. Il n'en était pas de même aux origines; les différences étaient beaucoup moins sensibles.

      De plus, il se forma de bonne heure une sorte de langue littéraire. Sans Académie, sans règles, par la force des choses, disons mieux, par la force de la poésie, la langue des premiers troubadours s'imposa à leurs successeurs. On peut reconnaître des différences dialectales—en petit nombre—chez quelques-uns d'entre eux; mais, dans l'ensemble, la langue resta la même, du début du XIIe siècle à la fin du XIIIe.

      Le dialecte auquel cette langue était le plus apparentée était le dialecte limousin. Il y a là une indication précieuse, qui n'a pas échappé à ceux qui se sont occupés les premiers des origines de la poésie provençale. La linguistique a servi de point de départ aux recherches d'histoire littéraire. C'est dans ce dialecte limousin qu'ont été écrites les premières poésies des troubadours, c'est lui qui s'est imposé aux poètes du XIIe et du XIIIe siècle [4].

      Il se produisit même un phénomène peu fréquent dans l'histoire littéraire. La langue limousine-provençale devint la seule langue poétique non seulement du midi de la France, mais d'une partie de l'Espagne et de l'Italie. Des poètes nés dans le domaine de langue d'oïl, en Saintonge par exemple, écrivirent en provençal. Une légende attribuait à Dante l'intention d'écrire la Divine Comédie dans cette langue (n'oublions pas que son maître, Brunetto Latini, écrivit en français, et son compatriote Sordel en provençal); ce qui est certain, c'est qu'il est l'auteur des vers provençaux qu'il met dans la bouche d'Arnaut Daniel dans la Divine Comédie.

      Mais il est temps de revenir à la question des origines, que nous avons dû laisser en suspens: elle est d'ailleurs déjà résolue.

      Pour la résoudre, il fallait connaître auparavant ce fait si important que les premières œuvres poétiques nous viennent de l'ouest et du sud-ouest, du Limousin, du Poitou, de la Saintonge; il fallait savoir que la langue des troubadours s'appela d'abord langue «limousine». C'est en effet dans le Limousin, et en partie dans le Poitou, plus vraisemblablement à la limite commune des deux provinces, qu'on peut placer le berceau de la poésie des troubadours. Le premier d'entre eux n'est-il pas Guillaume VII, comte de Poitiers [5]?

      Il a existé des «sons» poitevins (mélodies). Dans cette partie de la France où les dialectes d'oc et ceux d'oïl étaient en contact, il semble qu'on ait composé de nombreux chants populaires, romances, aubes, pastourelles, rondes et danses: c'est dans ces chants qu'il faut chercher l'origine de la poésie des troubadours.

      La forme artistique de leurs premières compositions, la technique élégante de leur métrique, toutes choses qui nous éloignent de la facture simple et fruste de la poésie populaire, ne doivent pas nous faire illusion sur les humbles origines de leur art. La chanson courtoise, qui est le produit le plus remarquable de la poésie des troubadours, a eu pour aïeule la chanson populaire, chanson d'amour ou rondes de printemps. Rondes de printemps surtout, si on en juge par le début des chansons courtoises qui rappellent presque toutes la réapparition des feuilles et des fleurs, avec le retour des oiseaux; la mention du mois de mai, du rossignol, de l'hirondelle ou de l'alouette, oiseaux populaires et poétiques, laisse entrevoir dès les premiers vers des chansons les plus conventionnelles les origines lointaines de cette poésie.

      D'ailleurs parmi les genres traités par les troubadours, il en est quelques-uns qui ont gardé leur type populaire. Rappelons seulement que les principaux d'entre eux sont la pastourelle, dialogue entre un chevalier, qui est ordinairement le poète, et une bergère; l'aube, genre curieux où un personnage qui a veillé toute la nuit sur un rendez-vous amoureux annonce à son ami la naissance du jour et l'avertit en même temps du danger; les ballades et danses dont il reste quelques exemples et quelques autres genres plus rares qu'il est inutile de citer ici [6].

      Mais en dehors de ces genres, qui ont conservé surtout au début un certain caractère populaire, la poésie des troubadours est une poésie essentiellement artistique, de l'art le plus raffiné. Un seul détail marque bien sa différence avec la poésie populaire qui lui a donné naissance. On sait que celle-ci ne présente pas une très grande variété dans l'emploi des mètres et dans la combinaison des strophes; les moyens d'expression de la poésie et de la musique populaires, compagnes habituelles, sont simples. Eh bien, c'est par centaines qu'on a pu compter les formes de strophes dans la lyrique provençale; on en a relevé 817 et le compte est incomplet. En réalité on peut dire qu'il y en a près d'un millier, depuis la courte strophe de trois vers jusqu'à la strophe de quarante-deux vers. Il y a là une richesse strophique, une technique telle qu'aucune poésie lyrique peut-être n'en peut offrir de semblable. Le caractère artistique de cette poésie s'affirme avec évidence à mesure qu'on avance dans son étude; qu'il suffise pour le moment d'avoir marqué par un aperçu très sommaire de sa forme combien elle s'est éloignée de la simplicité qu'elle a dû avoir à ses origines [7].

      A quelle époque peut-on fixer ces origines? On comprend qu'étant donné le caractère populaire de cette première poésie il est bien difficile de donner une date même approximative. La chanson populaire, avec ses thèmes assez simples, dans leur apparente variété, a existé de tout temps. Le folklore relève à peu près dans tous les pays, au moins dans les pays dits civilisés, si différents qu'ils soient de race et de civilisation, des chansons qui ont entre elles de nombreux traits communs. L'auteur des Origines de la Poésie lyrique en France a pu citer (p. 457), dans la poésie populaire russe contemporaine, des chansons sur le thème de la Mal mariée où un cosaque joue auprès de la dame abandonnée le même rôle de consolateur que jouent les chevaliers dans les chansons populaires du moyen âge. N'essayons donc pas de fixer une date à la première période de la poésie des troubadours. Pour nous cette poésie commence avec Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, dont le règne s'étend de 1087 à 1127. Il est cependant vraisemblable que le début et le milieu du XIe siècle ont vu se multiplier les chansons populaires, c'est la période préparatoire, la période de germination pour ainsi dire. Les preuves ne manquent pas, ou du moins les hypothèses peuvent s'appuyer sur des faits incontestables.

      D'abord, si la poésie lyrique est peu développée pendant le XIe siècle, s'il ne nous en reste que quelques fragments, il s'est conservé jusqu'à nos jours des poésies d'un genre différent, comme la paraphrase de Boèce, et la chanson de sainte Foy d'Agen, déjà citées. Ce dernier poème surtout a été une heureuse surprise pour les érudits, qui en soupçonnaient l'existence depuis que le président Fauchet l'avait cité


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