Ghislaine. Hector Malot

Ghislaine - Hector Malot


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avec ses sentiments: triste, ils étaient tristes aussi: «Tu te plains d'être abandonnée; mais nous? Tu te plains de ta solitude; mais la nôtre? Tu penses mélancoliquement au présent et à l'avenir en te rappelant le passé; et nous?»

      Mais, ce soir-là, ce ne fut pas par des plaintes que ses confidents lui répondirent. Comme ils s'étaient associés à ses tristesses, ils s'associèrent à ses espérances: on allait donc revoir les fêtes d'autrefois; les promenades des amis dans les allées; les danses dans les charmilles illuminées; les joyeuses cavalcades qui traverseraient le parc pour gagner le rendez-vous de chasse dans la forêt.

      L'entretien se prolongea, et la nuit était si douce, éclairée par la pleine lune de mai, parfumée par les senteurs des roses et des chèvrefeuilles, qu'il était tard lorsqu'elle se décida à fermer doucement sa fenêtre et se mettre su lit. Mais le sommeil ne vint pas tout de suite, et quand à la fin elle s'endormit, ce fut pour continuer son rêve de la soirée.

      Le temps avait marché: on célébrait son mariage avec le comte d'Unières, dans l'église Saint-François Xavier; elle avait la toilette ordinaire des mariées, la robe de satin blanc et le voile en point d'Alençon. Mais le comte était en prince Charmant, celui de la Belle au Bois dormant, tel qu'elle l'avait vu dans les dessins de Doré: justaucorps de satin rose, toque à plumes, épée; en même temps, par un dédoublement de personnalité tout naturel dans un songe, elle assistait au baptême de son premier né.

      Ce n'était point l'habitude de Ghislaine d'être distraite pendant ses leçons; mais le lendemain, quand M. Lavalette commenca son explication de Chatterton, elle montra une inattention qui frappa lady Cappadoce: évidemment, il se passait quelque chose d'extraordinaire.

      Quand, la leçon finie, M. Lavalette se retira, la gouvernante l'accompagna jusque dans la cour où attendait la voiture qui devait le reconduire à la station.

      —Je suppose, dit-elle en marchant près de lui, que vous avez remarqué le trouble de votre élève?

      —Mon Dieu non, répondit le professeur qui n'était pas homme à remarquer quoi que ce fût quand il s'écoutait parler.

      —C'est à peine si elle vous a entendu.

      —Vraiment?

      —Son esprit était ailleurs, et il n'y a rien d'étonnant à cela avec un pareil sujet.

      —Mais il est anglais, ce sujet.

      —Non, monsieur; dites que les personnages ont des noms anglais, je vous l'accorde, mais pour les sentiments, les idées, les moeurs, les actions, ces gens-là sont des Français, et voilà le mal, le danger: croyez-vous qu'un pareil sujet, traité comme il l'est, ne soit pas de nature à éveiller les idées d'une jeune fille?

      —Et comment voulez vous que j'enseigne notre littérature contemporaine sans parler de ses oeuvres, typiques?

      —Eh bien! monsieur, ne l'enseignez pas; tenez-vous en à des modèles plus anciens; pour moi, j'ai appris le français dans les Mémoires de Joinville, et je m'en suis bien trouvée.

      —C'est un point de vue, dit le professeur, qui ne voulait pas engager une discussion inutile, je le soumettrai à M. le comte de Chambrais.

      —Alors, je l'en entretiendrai moi-même demain, répliqua lady Cappadoce qui n'avait jamais admis qu'on lui répondit ironiquement.

      Mais le lendemain elle ne put pas réaliser ce dessein, car lorsque M. de Chambrais arriva, il emmena Ghislaine dans le jardin comme il l'avait fait le jour de l'émancipation, et elle en fut réduite à les observer de derrière une persienne pour tâcher de comprendre à leur pantomime ce qu'ils se disaient; malheureusement, elle était si discrète, cette pantomime, qu'elle ne laissait rien deviner: la pluie, le beau temps, un mariage, une affaire d'intérêts, il pouvait être aussi bien question de ceci que de cela.

      —Eh bien! mon enfant, as-tu pensé à ce que je t'ai dit avant-hier, avait commencé M. de Chambrais lorsqu'ils avaient été à une certaine distance de la maison?

      —Oh! mon oncle, pouvez-vous le demander!

      —Et tu as trouvé?

      —Comment voulez-vous que je sache?

      —En me disant le nom ou les noms qui te sont venus à l'esprit.

      —Mais je vous assure que cela m'est tout à fait difficile; je n'ose pas.

      —Pourquoi? Nos sentiments ne se décident-ils pas le plus souvent en vertu de certaines affinités mystérieuses dans lesquelles notre volonté ne joue aucun rôle? Ce que je te demande, c'est uniquement si parmi les jeunes gens que tu as vus et qui peuvent être des maris pour toi, il en est un, ou plusieurs, pour qui tu te sentes de la sympathie. Cela, rien de plus.

      —Il y en a un qu'une jeune fille dans ma position pourrait, il me semble, accepter pour mari.

      —Un seul?

      —J'ai vu si peu de monde!

      —C'est vrai. Eh bien! quel est ce mari possible?

      Elle hésita un moment, détournant la tête pour cacher sa confusion, car il lui semblait que c'était là un aveu.

      Son oncle lui prit le bras et, le passant sous le sien, il continua d'un ton tout plein d'une tendre affection:

      —Crois-tu que je ne t'aime pas assez pour mériter d'être ton confident?

      —Ce n'est pas du confident que j'ai peur, c'est de la confidence. Mais j'ai tort, je le sais, et ne veux pas plus longtemps me défendre sottement: j'ai pensé à M. d'Unières.

      Il poussa une exclamation de joie.

      —Eh bien! ma mignonne, c'est précisément de d'Unières qu'il s'agit. Tu vois maintenant combien j'ai eu raison de t'imposer cette épreuve... un peu aventureuse, j'en conviens. Elle est décisive, et me prouve que nous pouvons nous engager dans ce mariage avec la certitude qu'il sera heureux. Vous vous êtes vus quatre ou cinq fois....

      —Trois.

      —C'est encore mieux; les affinités dont je parlais se manifestent plus franchement; sans vous connaître, vous avez été l'un à l'autre attirés, par une sympathie qui ne demande qu'à devenir un sentiment plus tendre, et qui le deviendra. Tu m'aurais demandé un mari que je ne t'en aurais pas choisi un autre que d'Unières; tu as fait ce choix toi-même, c'est beaucoup mieux. De tous les jeunes gens que j'ai observés en pensant que j'aurais un jour la responsabilité de ton mariage, je n'en connais aucun qui soit comme lui digne de toi. Sa maison est ancienne; si sa fortune n'est pas l'égale de la tienne, elle est cependant suffisante; enfin c'est un homme d'intelligence supérieure et d'esprit sérieux. Au lieu de perdre sa jeunesse dans les frivolités à la mode, il a travaillé; il a fait de bonnes études en droit; il a voyagé, en séjournant dans les pays étrangers où il y a à apprendre, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, et avec le don de la parole qui est naturel chez lui, on peut être certain que, quand il entrera à la Chambre, il sera un des meilleurs députés de notre parti.

      —Quel âge a-t-il donc?

      —Il aura juste vingt-cinq ans à son élection. C'est pour la préparer qu'il est en ce moment dans son département. Il en reviendra dans six semaines. Et alors nous déciderons le mariage. Tu seras comtesse d'Unières, ma mignonne; et comme tu apporteras à ton mari la Grandesse d'Espagne, il pourra timbrer ses armes de la couronne ducale.

       Table des matières

      Si lady Cappadoce ne supportait que difficilement et à son corps défendant les leçons de littérature française contemporaine, par contre elle était passionnée pour celles de musique; que cette musique fût allemande, italienne ou française, ancienne ou nouvelle, peu importait, pour elle il n'y avait ni nationalité, ni


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