Dictionnaire de la langue verte. Alfred Delvau

Dictionnaire de la langue verte - Alfred Delvau


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       Alfred Delvau

      Dictionnaire de la langue verte

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066078010

       PRÉFACE DE L'AUTEUR I

       DICTIONNAIRE DE LA LANGUE VERTE

       PRÉFACETTE AU SUPPLÉMENT

       SUPPLÉMENT

       I

       Table des matières

      Après l'étude des insectes, ces infiniment petits de la création divine, il n'en est peut-être pas de plus attrayante que l'étude des mots, ces infiniment petits de la création humaine,—aussi destructeurs les uns que les autres, les uns du sol, les autres de l'âme. Le jour où l'homme est devenu savant, il est devenu méchant: la bouche est un arc dont les syllabes sont les flèches. C'est avec cela que nous nous entretuons depuis l'invention de la parole et de sa sœur de lait l'écriture.

      Qu'on se rassure! Je ne veux pas remettre de béquet au paradoxe usé de Jean-Jacques, lequel, d'ailleurs, quoique usé, peut marcher encore longtemps: je me contente de constater en passant l'influence désastreuse d'un bienfait. Je regrette peut-être de savoir écrire et de savoir parler, mais je ne regrette pas de savoir lire et de savoir écouter: si mon esprit n'y a rien gagné en ornements, il y a gagné en autre chose. J'ai souffert de savoir, j'en souffrirai jusqu'au bout de ma vie mortelle, mais je suis trop civilisé et trop Parisien pour ne pas aimer les picotements de mes plaies. Quand je rendrai mon âme au Créateur,—qui en sera probablement aussi embarrassé que j'en ai été moi-même—je ne me serai pas beaucoup amusé, mais j'aurai été violemment distrait en ayant été violemment houspillé. Distraction passe rentes.

      Bonne ou mauvaise, la parole—ou l'écriture, car toutes deux marchent de pair,—est une invention sur laquelle il n'y a pas à revenir. Cela est, que cela soit! Mais précisément parce que cela est, l'entomologie littéraire est une science fort attrayante qui a consumé au moins autant de vaillants cerveaux que l'autre entomologie. Celle-ci compte parmi ses illustrations Réaumur, Linné, Bonnet, Latreille, Lamarck, Van Geer, Duméril, etc., etc. Celle-là compte parmi les siennes:—pour ne pas remonter trop haut:—Érasme, Guillaume Budé, les Scaliger, les Vossius, Casaubon, Turnèbe, Saumaise, les Estienne, Du Cange, Estienne Pasquier, P. Borel, le président Fauchet, Gilles Ménage, Dom Rivet, Le Duchat, Bernard de la Monnoye, Lacurne de Sainte-Palaye, Dupont de Nemours, et, en se rapprochant davantage de nous, Gabriel Peignot, Roquefort, Charles Nodier, Francisque Michel, F. Genin, Marty-Laveaux, Burgaud des Marets, Charles d'Héricault, le comte Jaubert, et d'autres encore. Ah! les entomologistes littéraires ne manquent pas en France!

      Moi, je ne compte pas, bien entendu; je fais nombre seulement,—comme les zéros. Je n'ai jamais mis ma gloire à écrire un livre utile sur la matière, comme ont fait la plupart de mes illustres devanciers: j'ai chassé aux mots comme on chasse aux papillons,—pour mon propre plaisir. Aux papillons et aux scarabées aussi, aux chenilles aussi, aux anoplures aussi,—aux anoplures surtout, dirai-je hardiment, sans vergogne aucune. Pourquoi m'en défendre? Toutes les curiosités sont permises: les yeux ont le droit de voir, les oreilles de tout entendre; seules, les lèvres n'ont pas toujours le droit de tout révéler,—ce qui est un mal. J'ai laissé aux délicats d'en haut, aux aristocrates de la philologie, le soin de trier, de classer et d'étiqueter leurs trouvailles de choix. Ravageur littéraire, j'ai obscurément, pendant sept ou huit ans, battu de mon crochet tous les ruisseaux, promené ma lanterne sourde dans les coins ténébreux, ramassant sans cesse et sans fin, heureux d'un tesson comme Rousseau d'une pervenche, et enrichissant chaque jour mon musée d'un nouveau débris, sans lui enlever un grain de sa poussière, un atome de sa boue, une parcelle de sa rouille: tel trouvé, tel conservé. En mouchant une expression malpropre, on s'expose à lui arracher le nez, c'est-à-dire le caractère, l'originalité.

      Ce sont ces mots morveux que je me suis plu à colliger pendant sept ou huit ans et à réunir en un corps de livre dont je n'espérais jamais tirer parti que pour moi seul, pour ma propre édification. Le hasard—qui est le dieu des livres encore plus que des hommes—en a décidé autrement; le Dictionnaire de la langue verte a paru et l'empressement du public à en épuiser la première édition jusqu'au dernier exemplaire m'a prouvé qu'il y avait de par le monde d'autres curieux que moi. Je m'en réjouis sans m'en enorgueillir, ayant pour vice capital la modestie, et, quoique mon nom soit désormais fatalement accolé au Dictionnaire de la langue verte comme celui du Florentin Vespuce au Nouveau-Monde, je ne fais aucune difficulté pour déclarer que je n'ai pas eu l'honneur de découvrir cette Amérique; il y a eu avant moi de hardis ravageurs parisiens. Je n'ai pas à leur décerner de remerciements, n'ayant pas jugé bon de me servir d'eux, ni à leur adresser d'éloges, n'en ayant déjà pas de trop pour moi. Car enfin, il faut bien que je me décide à le répéter: enfant du pavé de Paris, et d'une famille où l'on est faubourien de père en fils depuis cinq ou six générations, j'ai cueilli sur leur tige et ramassé sur leur fumier natal tous les mots de mon Dictionnaire, tous les termes bizarres, toutes les expressions pittoresques qui s'y trouvent accumulées: il n'en est pas une seule que je n'aie entendue de mes oreilles, cent fois au moins, dans la rue Saint-Antoine ou dans la rue Neuve-Bréda, dans un atelier de peintres ou dans un atelier d'ouvriers, dans les brasseries littéraires ou dans les cabarets populaciers, ici ou là, même ailleurs où beaucoup de délicats n'osent pas aller de peur de s'y crotter l'oreille et de s'y salir l'esprit, et où je n'ai pas craint d'aller, moi, parce que nous avons, nous autres moralistes, le double privilège de la salamandre et de l'hermine, et que nous pouvons traverser toutes les flammes sans en être roussis, toutes les fanges sans en être souillés.

      Voilà ce qui constitue le mérite, j'oserai ajouter la saveur, du dictionnaire de la Langue verte, dont je désire qu'on dise—au lieu de le redouter—ce qu'on a dit du Tableau de Paris de Sébastien Mercier, qu'il a été pensé dans la rue et écrit sur une borne: cette ironie serait son éloge et ma récompense, parce qu'elle prouverait qu'il est un fidèle tableau des mœurs ondoyantes et diverses des Parisiens de l'an 1865-66. Et puis, qu'on m'en sache gré ou non, j'ai la conviction d'avoir fait quelque chose d'utile en remuant cette fange, en plongeant résolument dans les entrailles mêmes de cet océan de boue, d'où, si j'ai rapporté des madrépores et des polypes monstrueux, j'ai dû rapporter aussi quelques coraux et quelques perles.

      II

      Maintenant, pourquoi Dictionnaire de la Langue verte? Ce n'est pas là, qu'on daigne me croire, un titre de fantaisie choisi pour accrocher le regard du passant et forcer son attention: je ne l'ai pris que parce que je devais le prendre, parce que les mots de ce Dictionnaire appartiennent à la Langue verte.

      Je n'ai pas plus inventé cette appellation singulière que je n'ai inventé les divisions de cant et de slang, qui servent à distinguer les argots anglais, et qui m'aideront à distinguer les argots parisiens. Le [1],cant c'est l'argot particulier; le slang, c'est l'argot général. Les voleurs parlent spécialement le premier; tout le monde à Paris parle le second,—je dis tout le monde; si bien qu'un étranger, un Russe par exemple, ou un provincial, un Tourangeau, sachant à merveille «la langue de Bossuet» et de Montesquieu, mais ignorant complètement la langue verte, ne comprendrait pas un mot des conversations qu'il entendrait en tombant à l'improviste dans un atelier de peintres ou dans un cabaret


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