Les chats: Histoire; Moeurs; Observations; Anecdotes. Champfleury

Les chats: Histoire; Moeurs; Observations; Anecdotes - Champfleury


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d'entrailles d'animaux & de rebuts de boucherie coupés en morceaux qui servent de pâture aux chats du voisinage. A l'heure habituelle, toutes les terrasses en sont couvertes; on les voit aux alentours du Mehkémeh, sauter d'une maison à l'autre à travers les ruelles du Caire pour ne pas manquer leur pitance, descendre de tous côtés le long des moucharabyehs & des murailles, se répandre dans la cour où ils se disputent, avec des miaulements & un acharnement effroyables, un repas fort restreint pour le nombre des convives. Les habitués ont fait table rase en un instant: les jeunes & les nouveaux venus qui n'osent participer à la lutte en sont réduits à lécher la place.—Quiconque veut se débarrasser de son chat va le perdre dans la cohue de cet étrange festin: j'y ai vu porter des couffes pleines de jeunes chats, au grand ennui des voisins.»

      Le même fait se reproduit en Italie & en Suisse. A Florence, il existe un cloître, situé près de l'église San-Lorenzo, qui sert, me dit-on, de maison de refuge pour les chats. Lorsque quelqu'un ne peut ou ne veut conserver son chat, il le conduit à cet établissement, où l'animal est nourri & traité avec humanité. De même chacun est libre d'y aller choisir un chat à sa convenance; il y en a de toute espèce & de toute couleur. C'est une des institutions curieuses que le passé a léguées à la ville de Florence.

      A Genève, les chats rôdent par les rues comme les chiens à Constantinople. Ils sont respectés par le peuple, qui a soin de la nourriture de ces animaux libres; aussi les chats arrivent-ils à la même heure pour prendre leurs repas sur le seuil des portes.

      Je reviens à l'Égypte & au récit de M. Prisse d'Avennes:

      «Les chats sont beaucoup plus attachés & plus sociables en Égypte qu'en Europe, probablement à cause des soins qu'on leur donne & de l'affection qui va souvent jusqu'à leur permettre de manger à la gamelle du maître.

      «Les Arabes ont d'autres motifs de respecter les chats & d'épargner leur vie. Ils croient généralement que les Djinns prennent cette forme pour hanter les maisons & racontent gravement à ce sujet des histoires extravagantes, dignes des Mille & une Nuits. Les habitants de la Thébaïde sont plus superstitieux encore & leur imagination poétise à leur insu le sommeil léthargique de la catalepsie. Ils prétendent que lorsqu'une femme met au monde deux jumeaux, garçons ou filles, le dernier né qu'ils appellent baracy & quelquefois tous les deux éprouvent, pendant un certain temps & souvent toute leur vie, d'irrésistibles envies de certains mets, & que, pour satisfaire leur gourmandise plus facilement, ils prennent souvent la forme de divers animaux & en particulier du chat. Pendant cette transmigration de l'âme dans un autre corps, l'être humain reste inanimé comme un cadavre; mais dès que l'âme a satisfait ses désirs, elle revient vivifier sa forme habituelle.—Ayant un jour tué un chat qui faisait maints ravages dans ma cuisine à Louqsor, un droguiste du voisinage vint, tout effrayé, me conjurer d'épargner ces animaux & me raconta que sa fille, ayant le malheur d'être baracy, adoptait souvent la forme d'une chatte pour manger ma desserte.

      «Les femmes condamnées à mort pour cause d'adultère sont jetées au Nil, cousues dans un sac avec une chatte: raffinement de cruauté, dû peut-être à cette idée orientale que de toutes les femelles d'animaux la chatte est celle qui ressemble le plus à la femme par sa souplesse, sa fausseté, ses câlineries, son inconstance & ses fureurs.»

Fac-simile d'une gravure japonaise.

       Table des matières

       Table des matières

      Il est singulier qu'après le culte & l'adoration des Égyptiens pour les chats, cet animal soit tout à fait délaissé chez les Grecs & les Romains.

      Qu'en Grèce le chat ne fût pas représenté par les sculpteurs voués aux grandes lignes, cela est presque admissible, quoique les artistes égyptiens aient su trouver de solennels profils à travers le pelage de l'animal; mais on s'explique difficilement que les Romains, qui se plaisaient à peindre des scènes domestiques ainsi que les objets qui frappaient leurs yeux, aient négligé la représentation des chats.

      Cet animal semble avoir subi à Athènes & à Rome le contre-coup de sa popularité en Égypte, car s'il en est question dans les poëtes, ce n'est que dans ceux de la décadence. Aussi, en songeant au long intervalle qui sépare la représentation des chats sur les monuments égyptiens & les monuments romains du Bas-Empire, j'agirai avec la prudence qui fait hésiter l'historien Wilkinson à voir des animaux domestiques semblables aux nôtres dans les chats se jetant à l'eau pour aller chercher au milieu des roseaux les oiseaux blessés par le bâton des Égyptiens. Les naturalistes modernes crurent d'abord que le chat égyptien momifié était le même que notre chat domestique; ensuite ils lui reconnurent des variantes tout à fait particulières. (Voir aux Appendices.)

      Le chat dont les Égyptiens se servaient à la chasse semble une sorte de guépard; sa robe offre quelque analogie avec celle de ces carnassiers.

      Les Grecs & les Romains ne se soucièrent pas de faire entrer dans les maisons des animaux sans doute utiles pour la chasse, mais d'une nature trop sauvage pour des intérieurs tranquilles. Cependant Théocrite, faisant gourmander une esclave par sa maîtresse dans le dialogue des Syracusaines:

      Par cette comparaison des chattes avec une esclave paresseuse, Théocrite donne l'idée de l'animal tel qu'il nous est parvenu. C'était le chat domestique déjà assez commun dans les intérieurs pour que le poëte l'introduisît à l'état d'image dans son dialogue.

      Entre les artistes égyptiens de la XVIIIe dynastie (1638 avant J.-C.), qui décoraient les tombeaux de représentations de chats, & le poëte Théocrite, qui naquit 260 ans avant l'ère chrétienne, on ne trouve pas, à proprement parler, de chat domestique autre que celui du charmant dialogue des Syracusaines.

      Sans se lancer dans de hasardeuses hypothèses, ne peut-on dire que l'acclimatation du chat, dédaignée à Athènes & à Rome, fut produite sans doute par hasard dans le Bas-Empire; qu'un couple de ces chats égyptiens aurait été recueilli curieusement, comme nos officiers d'Afrique ont élevé des lionceaux depuis la conquête d'Alger, qu'il y eut lente domestication & abâtardissement du chat par la perte de sa liberté, qu'on le jugea utile pour la destruction des rats, & que, quoique méconnu par les poëtes, l'effigie de l'animal fut conservée par les peintres mosaïstes.

      Les petits poëtes de la décadence méprisent tout à fait le chat, n'accusent que ses défauts & se répandent en imprécations sur sa voracité.

      Agathias, épigrammatiste du Bas-Empire, avocat ou scholasticus à Constantinople, qui vécut de 527 à 565, sous le règne de Justinien, a laissé deux épigrammes funéraires dans lesquelles le chat ne joue pas le beau rôle:

      «Pauvre


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