Les chats: Histoire; Moeurs; Observations; Anecdotes. Champfleury
plus tes ailes par elle réchauffées. Un chat t'a tranché la tête. Je me suis emparé du reste de ton corps & il n'a pu assouvir son odieuse voracité. Que la terre ne te soit pas légère, mais qu'elle recouvre pesamment tes restes, afin que ton ennemi ne puisse les déterrer.»
Ainsi rime Agathias s'abandonnant à la douleur. Après avoir versé quelques pleurs, le poëte songe à la vengeance, sujet de sa seconde épigramme:
«Le chat domestique qui a mangé ma perdrix se flatte de vivre encore sous mon toit. Non, chère perdrix, je ne te laisserai pas sans vengeance, &, sur ta tombe, je tuerai ton meurtrier. Car ton ombre qui s'agite & se tourmente ne peut être calmée que lorsque j'aurai fait ce que fit Pyrrhus sur la tombe d'Achille.»
Pour avoir croqué une perdrix, le malheureux chat sera immolé à ses mânes.
Un disciple d'Agathias, Damocharis, que ses contemporains appellent la Colonne sacrée de la grammaire, touché de la douleur de son maître, crut sans doute lui prouver sa sympathie en accablant à son tour de ses invectives le même chat:
«Rival des chiens homicides, chat détestable, tu es un des dogues d'Actéon. En mangeant la perdrix de ton maître Agathias, c'était ton maître lui-même que tu dévorais. Et toi, tu ne penses plus qu'aux perdrix, & aussi les souris dansent en se délectant de la friande pâtée que tu dédaignes.»
A regarder l'exagération des invectives de Damocharis, on se demande si le disciple ne s'est pas moqué du maître. Voilà bien du tapage pour une perdrix, & les imprécations adressées au chat rival des chiens homicides, assimilé aux dogues d'Actéon, semblent un peu énormes.
Toutefois, quel que soit le motif qui ait fait rimer Damocharis, on voit par ces rares fragments du Bas-Empire que les chats étaient loin du culte que leur rendait l'Égypte.
J'ai parcouru plus d'un musée antique, compulsé de nombreuses publications, interrogé divers archéologues; il semble que le chat ne soit représenté ni sur un vase, ni sur une médaille, ni sur une fresque.
On trouve au Cabinet des Médailles une cornaline gravée représentant un sceptre[9] & un épi séparé par l'inscription:
LVCCONIAE
FELICVLAE.
[9] Caylus dit, & c'est également aujourd'hui l'avis du Directeur du Cabinet des Médailles, que le sceptre représente plutôt une aiguille de tête.
«L'inscription qui paraît sur le cachet, écrit M. Chabouillet dans son catalogue, nous donne les noms de son possesseur, qui fut une femme nommée Lucconia Felicula. Felicula signifie petite chatte. Le travail annonce une époque assez basse.»
Tel est le rare monument, consacré aux chats sous la décadence, qu'on peut voir dans nos musées. En province & en Italie les preuves de l'acclimatation des chats sont plus nombreuses.
Millin[10] vit à Orange une mosaïque représentant un chat qui vient d'attraper une souris; mais la partie où se trouvait l'animal avait été détruite.
[10] Voyage dans le midi de la France, t. II, p. 153. 1807-1811, 4 vol. in-8º.
La mosaïque de Pompéi (dessin page 27) est plus significative; le chat croquant un oiseau peut servir d'illustration aux épigrammes de l'Anthologie, qui sont presque de la même époque[11].
[11] Suivant Pline, l'art de la mosaïque date du règne de Sylla, à peu près cent ans avant l'ère chrétienne.
On voit au Musée des antiques de Bordeaux, sur un tombeau de l'époque gallo-romaine, la représentation d'une jeune fille tenant un chat dans ses bras. Un coq est à ses pieds. De même qu'à cette époque on enterrait avec le corps des enfants leurs jouets, de même on représentait les animaux familiers au milieu desquels ils avaient vécu. Malheureusement la partie principale de ce précieux monument du IVe siècle, le chat, qui m'intéresse particulièrement, a été détruite au point de ne plus laisser de l'animal qu'une forme vague[12].
[12] On lit à la gauche de la tête:
DM
LAFTVS
PAT.
L'autre côté de la niche étant détruit, on ne sait le nom de la jeune fille; le père s'appelait vraisemblablement LAPITVS ou LAFITVS.
Les anciens auteurs d'ouvrages sur les blasons donnent également quelques renseignements tirés d'auteurs latins.
Suivant Palliot[13], les Romains faisaient entrer leurs chats fréquemment en «leurs Targues & Pavois.»
[13] La Vraye & parfaicte science des armoiries. Paris, MDCLXIV. In-4º.
«La compagnie des soldats, Ordines Augustei, qui marchoient sous le colonel de l'infanterie, sub Magistro peditum, portoient en leur escu blanc ou d'argent, un Chat de couleur de prasine, qui est de sinople ou à mieux dire de vert de mer, comme qui diroit couleur de gueules, le Chat courant & contournant sa teste sur son dos. Vne autre compagnie du même régiment, appelée les heureux Viellards, Felices seniores, portoit vn demy Chat ou Chat naissant de couleur rouge sur vn Bouclier de vermeil ou de gueules: In parma punicea diluciore, qui sembloit se ioüer avec ses pieds, comme s'il eut voulu flatter quelqu'un. Sous le mesme Chef, vn troisième Chat de gueules passant avec vn œil & vne oreille, qui est en vne rondelle de sinople à la Bordure d'argent, estoit portée par les soldats, qui Alpini vocabantur.»
Je donne ici, d'après Palliot, le dessin d'un de ces étendards, tel que cet auteur s'imaginait qu'il existait chez les Romains.
On pourrait multiplier ces exemples en compulsant d'anciens ouvrages sur le blason; mais des monuments imaginaires seraient d'une médiocre utilité pour les curieux.
CHAPITRE IV.
POÉSIES, TRADITIONS POPULAIRES.
Il est curieux de rapprocher des invectives des poëtes de la décadence contre les chats, quelques fragments de nos poésies populaires de campagne.