Histoire de la magie. Eliphas Levi
et qui ne saurait par conséquent rien être à la chair, si on ne l'en suppose créateur et maître comme Dieu!
Un immense mensonge réalisé, personnifié, éternel!
Une mort qui ne peut mourir!
Un blasphème que le verbe de Dieu ne fera jamais taire!
Un empoisonneur des âmes que Dieu tolérerait par une contradiction de sa puissance, ou qu'il conserverait comme les empereurs romains avaient conservé Locusta, parmi les instruments de son règne!
Un supplicié toujours vivant pour maudire son juge et pour avoir raison contre lui puisqu'il ne se repentira jamais!
Un monstre accepté comme bourreau par la souveraine puissance et qui, suivant l'énergique expression d'un ancien écrivain catholique peut appeler Dieu le Dieu du diable en se donnant lui-même comme un diable de Dieu!
Là est le fantôme irréligieux qui calomnie la religion, ôtez-nous cette idole qui nous cache notre sauveur. A bas le tyran du mensonge! A bas le Dieu noir des manichéens! A bas l'Arimane des anciens idolâtres! Vive Dieu seul et son Verbe incarné, Jésus-Christ, le sauveur du monde, qui a vu Satan tomber du ciel! et vive Marie, la divine mère qui a écrasé la tête de l'infernal serpent!
Voilà ce que disent, avec unanimité, la tradition des saints et les coeurs de tous les vrais fidèles: Attribuer une grandeur quelconque à l'esprit déchu, c'est calomnier la divinité; prêter une royauté quelconque à l'esprit rebelle, c'est encourager la révolte, c'est commettre, en pensée du moins, le crime de ceux qu'au moyen âge on appelait avec horreur des sorciers.
Car tous les crimes punis autrefois de mort sur les anciens sorciers, sont réels et sont les plus grands de tous les crimes.
Ils ont ravi le feu du ciel, comme Prométhée.
Ils ont chevauché, comme Médée, les dragons ailés et le serpent volant.
Ils ont empoisonné l'air respirable, comme l'ombre du mancenillier.
Ils ont profané les choses saintes et fait servir le corps même du Seigneur à des oeuvres de destruction et de malheur.
Comment tout cela est-il possible? C'est qu'il existe un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et spirituel, un médiateur plastique universel, un réceptacle commun des vibrations du mouvement et des images de la forme, un fluide et une force qu'on pourrait appeler en quelque manière l'imagination de la nature. Par cette force tous les appareils nerveux communiquent secrètement ensemble; de là naissent la sympathie et l'antipathie; de là viennent les rêves; par là se produisent les phénomènes de seconde vue et de vision extranaturelle. Cet agent universel des oeuvres de la nature, c'est l'od des hébreux et du chevalier de Richembach, c'est la lumière astrale des martinistes, et nous préférons, comme plus explicite, cette dernière appellation.
L'existence et l'usage possible de cette force sont le grand arcane de la magie pratique. C'est la baguette des thaumaturges et la clavicule de la magie noire.
C'est le serpent édénique qui a transmis à Ève les séductions d'un ange déchu.
La lumière astrale aimante, échauffe, éclaire, magnétise, attire, repousse, vivifie, détruit, coagule, sépare, brise, rassemble toutes choses sous l'impulsion des volontés puissantes.
Dieu l'a créée au premier jour lorsqu'il a dit le FIAT LUX!
C'est une force aveugle en elle-même, mais qui est dirigée par les égrégores, c'est-à-dire par les chefs des âmes. Les chefs des âmes sont les esprits d'énergie et d'action.
Ceci explique déjà toute la théorie des prodiges et des miracles. Comment, en effet, les bons et les méchants pourraient-ils forcer la nature à laisser voir les forces exceptionnelles? comment y aurait-il miracles divins et miracles diaboliques? comment l'esprit réprouvé, l'esprit égaré, l'esprit dévoyé, aurait-il plus de force en certain cas et de certaine manière que le juste, si puissant de sa simplicité et de sa sagesse, si l'on ne suppose pas un instrument dont tous peuvent se servir, suivant certaines conditions, les uns pour le plus grand bien, les autres pour le plus grand mal?
Les magiciens de Pharaon faisaient d'abord les mêmes prodiges que Moïse. L'instrument dont ils se servaient était donc le même, l'inspiration seule était différente, et quand ils se déclarèrent vaincus, ils proclamèrent que suivant eux les forces humaines étaient à bout, et que Moïse devait avoir en lui quelque chose de surhumain. Or cela se passait dans cette Égypte, mère des initiations magiques, dans cette terre où tout était science occulte et enseignement hiérarchique et sacré. Était-il plus difficile cependant de faire apparaître des mouches que des grenouilles? Non, certainement; mais les magiciens savaient que la projection fluidique par laquelle on fascine les yeux ne saurait s'étendre au delà de certaines limites, et pour eux déjà ces limites étaient dépassées par Moïse.
Quand le cerveau se congestionne ou se surcharge de lumière astrale, il se produit un phénomène particulier. Les yeux, au lieu de voir en dehors, voient en dedans; la nuit se fait à l'extérieur dans le monde réel et la clarté fantastique rayonne seule dans le monde des rêves. L'oeil alors semble retourné et souvent, en effet, il se convulse légèrement et semble rentrer en tournant sous la paupière. L'âme alors aperçoit par des images le reflet de ses impressions et de ses pensées, c'est-à-dire que l'analogie qui existe entre telle idée et telle forme, attire dans la lumière astrale le reflet représentatif de cette forme, car l'essence de la lumière vivante c'est d'être configurative, c'est l'imagination universelle dont chacun de nous s'approprie une part plus ou moins grande, suivant son degré de sensibilité et de mémoire. Là est la source de toutes les apparitions, de toutes les visions extraordinaires et de tous les phénomènes intuitifs qui sont propres à la folie ou à l'extase.
Le phénomène d'appropriation et d'assimilation de la lumière par la sensibilité qui voit, est un des plus grands qu'il soit donné à la science d'étudier. On trouvera peut-être un jour que voir c'est déjà parler, et que la conscience de la lumière est le crépuscule de la vie éternelle dans l'être, la parole de Dieu, qui crée la lumière, semble être proférée par toute intelligence, qui peut se rendre compte des formes et qui veut regarder.--Que la lumière soit! La lumière, en effet, n'existe à l'état de splendeur que pour les yeux qui la regardent, et l'âme amoureuse du spectacle des beautés universelles, et appliquant son attention à cette écriture lumineuse du livre infini qu'on appelle les choses visibles, semble crier, comme Dieu à l'aurore du premier jour, ce verbe sublime et créateur: FIAT LUX!
Tous les yeux ne voient pas de même, et la création n'est pas pour tous ceux qui la regardent de la même forme et de la même couleur. Notre cerveau est un livre imprimé au dedans et au dehors, et pour peu que l'attention s'exalte, les écritures se confondent. C'est ce qui se produit constamment dans l'ivresse et dans la folie. Le rêve alors triomphe de la vie réelle et plonge la raison dans un incurable sommeil. Cet état d'hallucination a ses degrés, toutes les passions sont des ivresses, tous les enthousiasmes sont des folies relatives et graduées. L'amoureux voit seul des perfections infinies autour d'un objet qui le fascine et qui l'enivre. Pauvre ivrogne de voluptés! demain ce parfum du vin qui l'attire sera pour lui une réminiscence répugnante et une cause de mille nausées et de mille dégoûts!
Savoir user de cette force, et ne se laisser jamais envahir et surmonter par elle, marcher sur la tête du serpent, voilà ce que nous apprend la magie de lumière: dans cet arcane sont contenus tous les mystères du magnétisme, qui peut déjà donner son nom à toute la partie pratique de la haute magie des anciens.
Le magnétisme, c'est la baguette des miracles, mais pour les initiés seulement; car pour les imprudents qui voudraient s'en faire un jouet ou un instrument au service de leurs passions, elle devient redoutable comme cette gloire foudroyante qui, suivant les allégories de la fable, consuma la trop ambitieuse Sémélé dans les embrassements de Jupiter.
Un des grands bienfaits du magnétisme, c'est de rendre évidente, par des faits incontestables, la spiritualité, l'unité