Histoire de la magie. Eliphas Levi
religieuse, qui ne saurait exister en dehors de la hiérarchie miraculeuse et légitime de l'Église catholique, la seule qui ait conservé toutes les traditions de la science et de la foi.
La tradition première de la révélation unique a été conservée sous le nom de kabbale par le sacerdoce d'Israël. La doctrine kabbalistique, qui est le dogme de la haute magie, est contenue dans le Sepher Jézirah, le Sohar et le Talmud. Suivant cette doctrine, l'absolu c'est l'être dans lequel se trouve le Verbe, qui est l'expression de la raison d'être et de la vie.
L'être est l'être, היהא רסא היהא. Voilà le principe.
Dans le principe était, c'est-à-dire est, a été, et sera le Verbe, c'est-à-dire la raison qui parle.
Εν αρχη λογος!
Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi est l'expression de la foi qui vivifie la science. Le Verbe, λογος, est la source de la logique. Jésus est le Verbe incarné. L'accord de la raison avec la foi, de la science avec la croyance, de l'autorité avec la liberté, est devenu dans les temps modernes l'énigme véritable du sphinx; et en même temps que ce grand problème on a soulevé celui des droits respectifs de l'homme et de la femme; cela devait être, car entre tous ces termes d'une grande et suprême question, l'analogie est constante et les difficultés, comme les rapports, sont invariablement les mêmes.
Ce qui rend paradoxale, en apparence, la solution de ce noeud gordien de la philosophie et de la politique moderne, c'est que pour accorder les termes de l'équation qu'il s'agit de faire, on affecte toujours de les mêler ou de les confondre.
S'il y a une absurdité suprême, en effet, c'est de chercher comment la foi pourrait être une raison, la raison une croyance, la liberté une autorité; et réciproquement, la femme un homme et l'homme une femme. Ici les définitions mêmes s'opposent à la confusion, et c'est en distinguant parfaitement les termes qu'on arrive à les accorder. Or, la distinction parfaite et éternelle des deux termes primitifs du syllogisme créateur, pour arriver à la démonstration de leur harmonie par l'analogie des contraires, cette distinction, disons-nous, est le second grand principe de cette philosophie occulte, voilée sous le nom de kabbale et indiquée par tous les hiéroglyphes sacrés des anciens sanctuaires et des rites encore si peu connus de la maçonnerie ancienne et moderne.
On lit dans l'Écriture que Salomon fit placer devant la porte du temple deux colonnes de bronze, dont l'une s'appelait Jakin et l'autre Boaz, ce qui signifie le fort et le faible. Ces deux colonnes représentaient l'homme et la femme, la raison et la foi, le pouvoir et la liberté, Caïn et Abel, le droit et le devoir; c'étaient les colonnes du monde intellectuel et moral, c'était l'hiéroglyphe monumental de l'antinomie nécessaire à la grande loi de création. Il faut, en effet, à toute force une résistance pour appui, à toute lumière une ombre pour repoussoir, à toute saillie un creux, à tout épanchement un réceptacle, à tout règne un royaume, à tout souverain un peuple, à tout travailleur une matière première, à tout conquérant un sujet de conquête. L'affirmation se pose par la négation, le fort ne triomphe qu'en comparaison avec le faible, l'aristocratie ne se manifeste qu'en s'élevant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir fort, que le peuple puisse conquérir une position aristocratique, c'est une question de transformation et de progrès, mais ce qu'on peut en dire n'arrivera qu'à la confirmation des vérités premières, le faible sera toujours le faible, peu importe que ce ne soit plus le même personnage. De même le peuple sera toujours le peuple, c'est-à-dire la masse gouvernable et incapable de gouverner. Dans la grande armée des inférieurs, toute émancipation personnelle est une désertion forcée, rendue heureusement insensible par un remplacement éternel; un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait l'esclavage du monde et l'anarchie dans une seule et indisciplinable cité, comme il en était à Rome du temps de sa plus grande gloire. Une nation de souverains serait nécessairement aussi anarchique qu'une classe de savants ou d'écoliers qui se croiraient maîtres; personne n'y voudrait écouter, et tous dogmatiseraient et commanderaient à la fois.
On peut en dire autant de l'émancipation radicale de la femme. Si la femme passe de la condition passive à la condition active, intégralement et radicalement, elle abdique son sexe et devient homme, ou plutôt, comme une telle transformation est physiquement impossible, elle arrive à l'affirmation par une double négation, et se pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne stérile et monstrueux. Telles sont les conséquences forcées du grand dogme kabbalistique de la distinction des contraires pour arriver à l'harmonie par l'analogie de leurs rapports.
Ce dogme une fois reconnu, et l'application de ses conséquences étant faite universellement par la loi des analogies, on arrive à la découverte des plus grands secrets de la sympathie et de l'antipathie naturelle, de la science du gouvernement, soit en politique, soit en mariage, de la médecine occulte dans toutes ses branches, soit magnétisme, soit homoeopathie, soit influence morale; et d'ailleurs, comme nous l'expliquerons, la loi d'équilibre en analogie conduit à la découverte d'un agent universel, qui était le grand arcane des alchimistes et des magiciens du moyen âge. Nous avons dit que cet agent est une lumière de vie dont les êtres animés sont aimantés, et dont l'électricité n'est qu'un accident et comme une perturbation passagère. A la connaissance et à l'usage de cet agent se rapporte tout ce qui tient à la pratique de la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientôt à nous occuper, pour satisfaire la curiosité de ceux qui cherchent dans les sciences secrètes plutôt des émotions que de sages enseignements.
La religion des kabbalistes est à la fois toute d'hypothèses et toute de certitude, car elle procède par analogie du connu à l'inconnu. Ils reconnaissent la religion comme un besoin de l'humanité, comme un fait évident et nécessaire, et là seulement est pour eux la révélation divine, permanente et universelle. Ils ne contestent rien de ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi leur doctrine, en marquant nettement la ligne de séparation qui doit éternellement exister entre la science et la foi, donne-t-elle à la foi la plus haute raison pour base, ce qui lui garantit une éternelle et incontestable durée; viennent ensuite les formules populaires du dogme qui, seules, peuvent varier et s'entre-détruire; le kabbaliste n'est pas ébranlé pour si peu et trouve tout d'abord une raison aux plus étonnantes formules des mystères. Aussi sa prière peut-elle s'unir à celle de tous les hommes pour la diriger, en l'illustrant de science et de raison, et l'amener à l'orthodoxie. Qu'on lui parle de Marie, il s'inclinera devant cette réalisation de tout ce qu'il y a de divin dans les rêves de l'innocence et de tout ce qu'il y a d'adorable dans la sainte folie du coeur de toutes les mères. Ce n'est pas lui qui refusera des fleurs aux autels de la mère de Dieu, des rubans blancs à ses chapelles, des larmes même à ses naïves légendes! Ce n'est pas lui qui rira du Dieu vagissant de la crèche et de la victime sanglante du Calvaire; il répète cependant au fond de son coeur, avec les sages d'Israël et les vrais croyants de l'Islam: «Il n'y a qu'un Dieu, et c'est Dieu;» ce qui veut dire pour un initié aux vraies sciences: «Il n'y a qu'un Être, et c'est l'Être!» Mais tout ce qu'il y a de politique et de touchant dans les croyances, mais la splendeur des cultes, mais la pompe des créations divines, mais la grâce des prières, mais la magie des espérances du ciel; tout cela n'est-il pas un rayonnement de l'être moral dans toute sa jeunesse et dans toute sa beauté? Oui, si quelque chose peut éloigner le véritable initié des prières publiques et des temples, ce qui peut soulever chez lui le dégoût ou l'indignation contre une forme religieuse quelconque, c'est l'incroyance visible des ministres ou du peuple, c'est le peu de dignité dans les cérémonies du culte, c'est la profanation, en un mot, des choses saintes. Dieu est réellement présent lorsque des âmes recueillies et des coeurs touchés l'adorent; il est sensiblement et terriblement absent lorsqu'on parle de lui sans feu et sans lumière, c'est-à-dire sans intelligence et sans amour.
L'idée qu'il faut avoir de Dieu, suivant la sage kabbale, c'est saint Paul lui-même qui va nous la révéler: «Pour arriver à Dieu, dit cet apôtre, il faut croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent.»