Albert Durer a Venise et dans les Pays-Bas. Albrecht Durer

Albert Durer a Venise et dans les Pays-Bas - Albrecht  Durer


Скачать книгу

       Je ne connais que bien peu de génies qui aient été en même temps des héros du cœur. Michel Cervantes dans les lettres et Michel-Ange dans les arts sont pour moi les types de cette double grandeur; notre Albert Dürer peut aussi revendiquer ces deux auréoles. Sa vie a été une lutte continuelle, soyons plus vrai,—un long martyre causé par celle qui aurait dû précisément arracher les ronces et les épines de sa route.

      Marié de bonne heure, sans qu'on eût consulté son inclination, à une femme froide et avare, il n'a pas eu la consolation de se reposer dans la douce vie du foyer des tracasseries envieuses auxquelles un homme de sa valeur devait nécessairement se trouver exposé.

      Dès l'âge de 23 ans il devenait le seul soutien de sa famille. «Deux ans après la mort de mon père, je pris aussi ma mère avec moi (il s'était déjà chargé de son frère Hans), car elle n'avait plus rien. En 1513 elle tomba subitement malade. Ses souffrances durèrent une année entière, et elle fut mourante du premier au dernier jour.»

      Dans ces conditions il fut obligé de se livrer à un travail assidu et pénible; en outre sa femme l'excitait sans cesse au labeur et le stimulait avec ses avaricieuses exigences. Et pourtant c'est à peine si, dans ses écrits, on entend l'écho d'une plainte contre celle qui le faisait tant souffrir; tout au plus dans sa correspondance avec Bilibald Pirkeimer, correspondance si franche et si naïve, hasarde-t-il de temps en temps quelque allusion prudente à ses affaires de ménage. Encore en parle-t-il avec tant de mansuétude et de bonne humeur, qu'on ne soupçonnerait pas la profondeur de sa blessure si ses amis n'avaient pas pris la peine de la sonder.

      «Il était fort contre l'adversité, dit Schrober, mais il est vrai qu'il n'avait que trop le moyen de s'exercer à la patience, sa femme se chargeait tous les jours de lui en fournir l'occasion.»

      C'est assez clair, et cependant les lettres de G. Hartmann et de Pirkeimer sont encore plus explicites.

      En voici des extraits:

      G. HARTMANN A M. BUCHLER.

      «. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

       . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      «Elle était d'une piété et d'une honnêteté si intolérantes, qu'il aurait mieux valu pour Albert Dürer être le mari d'une coquine avec un caractère aimable, que d'avoir à ses trousses une de ces dévotes qui sont d'une humeur si féroce, qu'elles vous laissent à peine des moments suffisants pour respirer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .»

      AUTRE LETTRE DE GEORGES HARTMANN.

      «Il ne faut imputer le décès de Dürer à personne qu'à sa femme. Elle lui avait si bien rongé le cœur, elle lui avait fait endurer de telles souffrances, qu'il semblait en avoir perdu la raison. Elle ne lui permettait jamais d'interrompre son travail, l'éloignait de toutes les sociétés, et par des plaintes continuelles, répétées le jour et la nuit, le tenait rigoureusement enchaîné à l'œuvre, afin qu'il amassât de l'argent pour le lui laisser après sa mort. Elle avait sans cesse la crainte de périr dans la misère, et cette crainte la torture encore maintenant, quoique Dürer lui ait légué près de 6,000 florins. Elle est insatiable: elle a donc été vraiment la cause de sa mort, etc.»

      LETTRE DE PIRKEIMER A TZERTE,

       Architecte de l'Empereur, à Vienne.

      «J'ai positivement perdu, dans la personne d'Albert Dürer, un des meilleurs amis que j'aie eus de ma vie. Sa mort m'a fait d'autant plus de peine qu'elle s'est produite sous l'influence de causes bien pénibles. En effet, je ne puis l'attribuer, après Dieu, qu'à sa femme qui lui a causé de si vifs chagrins et l'a tourmenté d'une façon si cruelle, qu'elle l'a poussé vers la tombe, et l'a rendu sec comme de la paille. Le pauvre homme n'avait plus de courage et ne recherchait plus aucune société. Cette mégère prenait soin de ses intérêts, et poussait son mari au travail nuit et jour afin qu'il lui laissât le plus d'écus possible. . . . . . . . . . . Je lui ai souvent reproché ses procédés, et je lui ai même prédit ce qui est arrivé; mais cela ne m'a valu que de l'ingratitude. Du reste, tous ceux qui aimaient le pauvre Albert détestent sa femme, qui le leur rend bien. En somme, c'est elle qui a mis le cher homme en terre.»

      Dans les premiers temps de son mariage, Albert Dürer avait fait des efforts héroïques pour se soustraire à la domination de sa femme, mais la lutte ne convenait pas à son caractère; peu à peu il avait fini par courber le front, et, aux derniers jours de sa vie, il obéissait comme un enfant à cette nouvelle Xantippe.

      Poussait-il la douceur jusqu'à la pusillanimité?—Nous ne le croyons pas,—car plusieurs fois, pendant sa trop courte existence, il a prouvé qu'avec les hommes il savait parler en homme.—Ou puisait-il cette patience angélique dans la religion? En voyant le portrait d'Agnès Frey qu'il a dessiné lui-même, et que l'on trouve encore aujourd'hui à Vienne, nous croyons plutôt qu'il fut toujours amoureux de sa femme,—car elle était fort belle.—Son front était froid, mais l'intelligence s'y jouait comme un rayon de soleil sur une plaque d'acier poli; ses yeux étaient durs, mais grands, veloutés et noirs; sa bouche était hautaine, mais correcte; ses traits étaient sévères, mais remarquablement beaux; ils ne commandaient pas la sympathie cependant: on sentait que celui qui avait aimé cette femme l'aimerait toute sa vie, dût-il mourir de son amour.

      Quelle personnalité attachante que celle d'Albert Dürer!

      Il était beau, et la noblesse de ses traits reflétait la pureté de son âme et la lumière de son intelligence.

      Qui a vu une fois un de ses portraits ne peut plus l'oublier. De beaux cheveux blonds cendrés qui flottent sur ses épaules, un front élevé et pur où le génie a imprimé sa sévère majesté, de grands yeux bleus, bien enchâssés dans leur arcade et ombragés de longs cils plus foncés que ses cheveux, une bouche rêveuse, un cou flexible qui porte une tête digne du ciseau de Phidias, comme la tige du lis porte la fleur des rois, tels sont les traits principaux de cette figure ravissante.

      ALBERT-DÜRER P.

       AH.-CABASSON D.

       TAMISIER. SC. 1850.

      Toute sa personne était sympathique et séduisante.

      «Il avait de la noblesse et de l'aisance dans les mouvements, et sa haute raison et son rare bon sens perçaient naturellement dans ses discours.» «Sermonis tanta in eo suavitas et lepor erat, dit Joachim Camerarius, ut nihil esset audientibus magis contrarium quam finis

      Et Schrober dit aussi:

      «Il y avait quelque chose de si doux et de si harmonieux dans sa manière de parler, qu'on l'écoutait avec ravissement.» Du reste son instruction était fort étendue.

      Peintre, dessinateur, graveur, orfévre, architecte, statuaire, ingénieur et géométrien, comme l'écrit Loys Meygret, le traducteur de son livre des Proportions humaines, il fut tout ce qu'il voulut être [1].

       On l'a souvent comparé à Raphaël, mais du côté de l'universalité des connaissances, il a bien plus de points de contact avec Michel-Ange.

      J'ai vu quelque part qu'on lui reconnaît aussi le talent de l'écrivain. On prétend même qu'il a contribué à fixer la langue allemande,—mais c'est là une assertion que je ne peux admettre. Pour ses traités didactiques, il est certain que Pirkeimer y mettait la main, car ils diffèrent notablement, comme style et comme orthographe, de sa correspondance intime. Dans ses lettres à Pirkeimer, le même mot est écrit parfois de quatre ou cinq façons différentes, et l'on ne peut s'empêcher de rire à la vue de ses essais de versification.

      Comme artiste, Albert Dürer est un des esprits les plus originaux que je connaisse. C'est un peintre qui est avant tout de son pays et de son époque, grande qualité, si l'on y réfléchit, et à ce titre il mérite pleinement la qualification de père de l'école


Скачать книгу