Nos femmes de lettres. Flat Paul

Nos femmes de lettres - Flat Paul


Скачать книгу
chevalerie française: véritable coup de pied d'âne, à double titre faut-il dire, par l'élégance dont il fut administré, et par la qualité littéraire de ceux qui le donnèrent.

      Plus délicate encore, plus fausse assurément, en face de la Femme-auteur, l'attitude de l'homme, s'il est son mari ou son amant. C'est là qu'une fois de plus nous observons le danger de toute interversion des lois de la Nature, laquelle requiert implacablement la supériorité du mâle. Une sorte d'habitude ancestrale, remontant aux époques les plus reculées, nous fait voir dans l'élément viril le traditionnel symbole de toute vigueur, physique et intellectuelle, si bien que notre sentiment de l'ordre se trouve froissé par la moindre indication opposée. Il n'y a rien à faire là contre, et si l'on veut une image physique, il suffit de se rappeler l'invincible sourire qu'amène aux lèvres la vue d'un petit homme, levant les yeux vers sa compagne qui le dépasse de toute la hauteur de la tête. Dans l'ordre intellectuel il en va de même: on ne peut effacer de son souvenir l'image du pauvre M. Geoffrin, mari de cette illustre présidente de la société des Gens de lettres au dix-huitième siècle, dont Sainte-Beuve rapporte cette anecdote: Un jour, un étranger demanda à Mme Geoffrin ce qu'était devenu ce vieux Monsieur qui assistait autrefois régulièrement aux dîners, et qu'on ne voyait plus:—«C'était mon mari, fit-elle, il est mort»!—Faisons la part du trait qui exagère presque nécessairement ces sortes d'aventures: celle-là n'en demeure pas moins expressive, et tous les maris de femmes-auteurs y pourront méditer. C'est une attitude insoutenable, un rôle que nul acteur social ne devrait accepter, celui de mari effacé d'une femme dont les journaux habituellement impriment le nom. Montreur d'objet rare, sorte de prince-époux qui accompagne un phénomène, on est toujours tenté de placer dans sa bouche le drôlatique et peu respectueux jeu de mots dont notre moquerie française tendait à ridiculiser l'attitude du prince Albert, au temps du Second Empire:—«Je suis les talons de la Reine!»

      On trouvera dans ces pages une entière liberté d'esprit et la plus complète indépendance de jugement; pour tout dire, rien de cette galanterie à la française, qui régit les habituels rapports des deux sexes dans l'attitude de l'homme à l'égard de la femme, et qui risque de fausser, ou du moins d'atténuer la valeur d'un jugement. J'aurai pu me tromper. Je me serai certainement plus d'une fois trompé, car nul d'entre nous n'est à l'abri de l'erreur, surtout en des matières où le goût personnel tient une telle place et représente un élément déformateur propre à celui qui écrit. Mais on ne rencontrera pas un trait qui ait été dicté par un mouvement de passion, de ceux que l'on aiguise moins en faveur de M. X... que contre M. Y... Car il existe deux façons—je l'ai montré autre part[1]—d'être agréable à qui l'on commente. Et la première, c'est celle qui consiste à le vanter tout uniment. Mais la seconde, de beaucoup la plus raffinée et la plus efficace, c'est de dénigrer ou simplement d'omettre un rival.

      Je n'ai jamais aimé les petites chapelles, coteries littéraires, ou de quelque nom qu'on les nomme, et puis me rendre cette justice de n'avoir pas tenté une démarche en vue de participer aux bénéfices du groupement. Non que je méconnaisse—il faudrait être aveugle—les incomparables avantages de ces secrètes associations, de cette franc-maçonnerie où le premier article des statuts consiste en un engagement tacite de mutuel agenouillement. On les rencontre dans tous les efforts où trouve son application le symbole expressif de l'aveugle et du paralytique,... dans la Peinture, où tant de réputations furent édifiées que le Temps s'est déjà chargé de remettre à leur place; dans la Musique, où d'ingénieux assimilateurs, munis d'une technique savante, furent baptisés les continuateurs de Beethoven... mais dans la Littérature surtout, qui demeure notre art national. Combien parmi nous, de ceux qui ont un nom, un petit nom littéraire, ne le doivent qu'à la puissance de leurs relations—vigoureux cheval de renfort qui hissa leur œuvre au sommet de la côte... leur œuvre, fardeau lourd de poids, mais léger de valeur, qui, faute d'un tel appui, fût demeurée aux régions inférieures. Mais voilà, on ne refait pas son tempérament, et pas plus qu'on ne saurait ajouter un centimètre à sa taille, une échine vraiment droite ne se plie aux voussures de certaines portes. J'ajouterai que, lorsqu'une coterie littéraire a pour point central et foyer de rayonnement un jeune astre féminin qui monte à l'horizon, il devient plus délicat encore d'y prendre place.

      Il me faut donc déclarer ici que je ne connais à aucun titre, sinon à titre littéraire, les femmes-auteurs qui font l'objet de cet Essai. Jamais avec aucune d'elles je n'ai même fait ce banal échange de cartons par où l'on remercie de l'envoi d'un livre ou d'un article. Si la première page des Magazines illustrés ne nous avait abondamment renseignés, en des dimensions qui s'imposent à la vue, sur leur personnalité physique, j'ignorerais jusqu'à la forme de leurs traits, au point de ne pouvoir les identifier, sur le devant d'une loge à une première représentation, ou dans la cohue mondaine d'un vernissage. Ce sont là, on voudra bien le reconnaître, les meilleures garanties extérieures pour les juger littérairement. A leur égard, et dans toute la force du terme, j'ai mis en application le principe d'hygiène morale que je recommandais dans une de mes Chroniques de Théâtre: «Un bon critique ne doit jamais dîner hors de chez lui.»

       Table des matières

      On sait la force des arguments par lesquels l'Empereur Napoléon justifiait l'Adoption: le contrat artificiel, créé par une volonté qui tente de suppléer aux insuffisances de la Nature, est conçu à l'imitation de la Nature elle-même. Mais qui n'en pressent les défaillances? Il n'est jamais qu'une doublure: il peut se substituer dans certains cas à l'ordre naturel... il ne le remplace jamais. Et de même qu'à certains traits moraux s'affirmant soudain chez l'enfant, le père adoptif prend conscience de l'abîme qui les sépare, nous tous qui sommes de pure tradition française, pouvons discerner chez cette Française d'adoption des éléments inassimilables.

      Ravivons des souvenirs: images enregistrées dans notre mémoire, si peu que soit vivace en nous l'impression des physionomies observées. Combien de fois est-il arrivé, pénétrant dans un salon, dans une salle de concert ou de spectacle, ou tel autre lieu public, que nos yeux s'arrêtent à une figure expressive, d'autant plus expressive qu'elle est plus différente de ce qu'ils sont accoutumés à fixer. Est-ce la couleur des yeux, le galbe du visage, certains contours de physionomie qui soudain nous viennent avertir? De tout cela sans doute il y a quelque chose, mais quelque autre chose encore, que nous ne pouvons exactement préciser: le quid proprium d'où naît aussitôt l'intuition, équivalente à une certitude: cette créature vivante ordonne ses sensations suivant une méthode qui n'est pas la nôtre; elle subit des réactions que nous ne saurions partager et pareillement il est en nous toute une région de l'âme qui à jamais lui demeurera impénétrable. Gardons-nous de nous abandonner au charme dangereux de cette étrangeté: c'est le chant de la Sirène qui perd celui qui s'y arrête. Être différent, voilà une raison suffisante de fixer l'attention. Oublierons-nous pour cela la logique expressive des mots: Étrange... Étranger... syllabes qui se superposent exactement. Dégageons aussitôt des conséquences qui s'imposent d'elles-mêmes.

      Il faut être logique en tout: comment la seule investiture d'un nom illustre, fût-il le plus français d'ailleurs par atavisme et par tradition, atteindrait-elle à supprimer vingt années de culture antérieure, où les images de notre pays ne se réfléchirent qu'assez indirectement? L'auteur n'en faisait-il pas comme un aveu dépouillé d'artifice, le jour où il dédiait un de ses romans: «Aux jeunes écrivains de France... à ceux, ajoutait-il, dont la sympathie m'a chaque jour dans mon travail aidé...» N'a-t-il pas fait mieux encore, en allant plus loin et plus profondément que les hommes? N'a-t-il pas voulu se rattacher à la terre elle-même, quand il dédiait son premier volume de poèmes: «Aux paysages de l'Ile de France, ardents et limpides, pour qu'ils le protègent de leurs ombrages.» Le geste est élégant, le mouvement plein de grâce, en tout digne du sexe qui d'instinct sait trouver les attitudes et camper son personnage. Et je ne doute pas que cet appui ait été réel. Pourtant je me plais à y voir plus encore: un jalon pour l'avenir. Flatterie et caresse de la femme qui reparaît sous


Скачать книгу